03. Mis à la porte

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Sacha

— Monsieur Moretti, vous avez fait votre sac ? me demande le garde qui vient d’ouvrir la porte.

Cerbère à mes côtés s’est tendu et est prêt à bondir, mais le maton fait attention et reste derrière la porte, se protégeant ainsi de toute agression. Je me lève et m’interpose entre les deux afin de pouvoir avoir une vraie discussion.

— J’ai encore le temps de préparer mes affaires. C’est pas comme si on vivait dans un hôtel de luxe et que j’avais tout un tas de trucs à débarrasser. D’ici demain, ça devrait aller pour rassembler mes revues pornos, tu sais ?

— Demain c’est aujourd’hui. Vous sortez et c’est l’heure.

— Tu parles comme un livre, là. On dirait du Rossini. Tu peux pas t’exprimer clairement ? Je sais que ma sortie, c’est demain. Si tu penses que tu vas m’avoir et me faire prendre un ou deux mois de plus pour tentative de fuite, tu te mets le doigt dans l'œil.

— Je comprends mieux pourquoi vous vous êtes fait choper, Moretti. Clairement pas le plus futé de la bande, soupire-t-il. C’est votre jour de sortie, aujourd’hui, alors à moins que vous ne vouliez faire une requête au juge pour profiter de votre cellule encore un moment, il est temps de laisser la place. Un bisou à votre colocataire et dehors.

C’est quoi cette histoire de sortir aujourd’hui ? Encore un coup de l’administration pour me mettre dans la galère, c’est certain. L’éduc que j’ai vue a réussi à me trouver une place, mais si je sors aujourd’hui, je vais me retrouver à la rue. C’est mort, je ne sors pas, moi.

— Pourquoi je sors un jour plus tôt que prévu ? Vous n’en pouvez plus de moi ? Je te préviens qu’avec Cerbère, vous ne trouverez pas quelqu’un qui accepte de venir ici.

— J’en sais rien, moi. Vous pouvez arrêter de me faire perdre mon temps et vous presser un peu ? J’ai autre chose à faire que de taper la discute, là.

Je me dépêche de récupérer mes vêtements et le peu d’effets de toilette que j’ai, sans oublier le petit doudou que je me suis fabriqué avec les emballages en papier des couverts en plastique qu’on nous donne chaque jour. Je ne vais pas faire un bisou à Cerbère mais je le salue et, à ma grande surprise, il répond en me serrant dans ses bras, première marque d’affection dont il me témoigne depuis qu’on se connaît. Dire qu’il a fallu attendre presque trois ans pour ça ! Je sors et le maton me conduit au bricard, son chef. Le gars, il ne branle rien de ses journées, il est juste là pour faire beau, mais il prend un malin plaisir à nous saluer avant notre départ et à nous souhaiter “à bientôt” en rigolant. Le con.

— C’est quoi, ce sac ? demandé-je en regardant le petit paquet que me tend le bricard.

— Tes effets personnels. T’es arrivé avec ça sur toi, tu repars avec. Vérifie qu’il y a tout et signe la paperasse. Et ensuite, t’es libre.

Je regarde ce qu’il me donne. A part une petite bague qui a appartenu à ma mère, le reste est à pleurer. Je vais faire quoi de ces vieilles cigarettes abîmées ? Et j’adore l’argent qui m’est remis. Avec tout ce que j’avais dans mes poches, je ne sais même pas si je pourrais m’acheter un sandwich.

— C’est bon, je peux me tirer et ne plus voir vos sales tronches ?

— Tu peux y aller, oui. On se revoit dans quelques semaines, te fais pas d’illusions, Gamin.

J’ai envie de le fracasser, le bricard, quand il dit ça de son air goguenard. J’ai envie de lui faire perdre son sourire et son dentier avec, mais je me retiens, frustré de devoir une nouvelle fois baisser la tête. Le gars m’ouvre la porte et me fait une petite révérence alors que je passe à côté des portiques qui sont censés empêcher toute marchandise frauduleuse d’entrer dans l’enceinte. La bonne blague.

Je me retrouve sur un parking sans vraiment savoir où aller. A l’entrée, au moins, on a le taxi avec chauffeur, garde du corps et les sirènes qui vont avec si on n’est pas sage. Là, rien. Le soleil, quand même. Une dame passe à côté de moi avec un bébé. Je le scrute et me rends compte que ça fait presque trois ans que je n’en ai pas vu, c’est fou. Je la suis en me disant qu’elle doit savoir où elle va. Le gamin ne doit pas dormir là et si je les suis, je finirai bien par me retrouver quelque part loin du zonzon.

Nous arrivons à un arrêt de bus dans lequel je vais pouvoir utiliser le ticket généreusement donné par l’administration pénitentiaire. Leur générosité les perdra. Quand je vois la réaction de la mère de famille à mes côtés et qui s’éloigne de moi, je me dis que je dois faire peur en tout cas. Il est vrai que ce matin, je n’ai pas pris le temps de tailler ma barbe ou même de coiffer mes cheveux qui doivent être un peu longs. C’est clair que je ne suis pas un simple visiteur et elle doit se demander si je ne vais pas lui sauter dessus ou si je vais m’en prendre à son petit garçon. Rien que pour ça, je hais ce que je suis devenu. Et encore, je crois que je préfère la peur à la pitié.

Le bus arrive enfin et je m’installe au fond du véhicule alors que mes partenaires de voyage restent sur les places juste à côté du chauffeur. Cela me fout encore plus en colère et je me renfrogne sur mon siège. Qu’ils aillent tous se faire voir, ces enfoirés. Ce n’est pas parce que j’ai fait de la prison que je suis un violeur de femmes ou un agresseur d’enfants. Et je serais vraiment con de tenter quelque chose à peine sorti du mitard.

Arrivé au centre ville de Saint-Denis, je sors du bus et suis obligé de m’arrêter quelques instants contre l’abribus. Cela fait tellement longtemps que je n’ai pas vu autant de monde. Et tous ces gens qui marchent, courent, se parlent, sans gardiens qui les surveillent, ils ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont ! Et moi, ça me donne le tournis. Le foyer dont j’ai l’adresse n’est pas loin mais je n’ose pas m’y présenter, ils ne m’attendent que demain et je ne vais surtout pas aller quémander une place comme un simple mendiant. Je ne suis pas un clodo, moi. Je me dirige donc vers un coffee shop dont la devanture me semble accueillante et y entre en regardant tout autour de moi, toujours aussi surpris que personne ne m’empêche d’aller là où je le souhaite.

Je m’installe à une table qui donne sur la place et observe toute l’agitation en me demandant ce que je vais bien pouvoir faire jusqu’à demain. Une jeune femme s’approche de moi. Elle a des formes qui feraient bander un mort. Ou un sortant de prison comme moi qui n’a rien vu de tel depuis des années. Ses longs cheveux noirs ondulés encadrent un visage que je trouve à la fois mature mais innocent, des yeux expressifs mais réservés. Cette femme est une terre de contrastes.

— Bonjour, sourit-elle en se plantant face à moi. Qu’est-ce que je vous sers ? Le patron a fait des muffins pomme-cannelle aujourd’hui, vous devriez vous laisser tenter, ils sont succulents.

— Euh, ça coûte combien ? demandé-je en sortant mon petit portefeuille pour voir combien j’ai sur moi.

Des muffins… Wow… J’en bave déjà d’envie. Cela va me changer de la gamelle à laquelle j’ai fini par m’habituer.

— Vous êtes nouveau ici ? Je… je n’ai pas souvenir de vous avoir déjà vu. Le muffin est offert si vous prenez une boisson. Mais juste pour cette fois. A moins que vous ne vouliez autre chose, continue-t-elle en me montrant la vitrine pleine de pâtisseries du doigt.

— Non, le muffin avec un grand café noir, ça me va. Merci Mademoiselle.

Je ne sais même plus comment on parle à une femme. Ou à une serveuse. Bref, j’ai l’impression d’être à la fois trop poli et pas assez. Comme si je n’avais plus ma place dans cette société qui m’a mis au ban pendant de si longs mois.

— Faites attention, les féministes ne sont pas fans du “mademoiselle”. Je vous apporte ça, et appelez-moi Livia, me dit-elle en tournant déjà les talons.

Je ne la quitte pas des yeux et me dis que la meuf, elle est toujours bonne pour son âge. Et ça, c’est clairement pas féministe, mais là, je ne peux pas me contrôler. Trois ans que je n’ai pas fréquenté la gent féminine à part quelques agents pénitentiaires en uniforme. Et clairement, le legging ajusté et le petit haut coloré dont les derniers boutons ne sont pas refermés, c’est quand même beaucoup plus agréable à mater que l’uniforme foncé des matons.

Je la remercie quand elle m’apporte ce que j’ai commandé et effectivement, je me régale du muffin. Et le café, wow ! Quelle intensité aussi ! C’est pas de l’eau noire avec un peu de goût, c’est une boisson à part entière qui se répand dans tout mon organisme et me donne l’impression de revivre. Je regarde l’heure et me demande ce que je vais faire pendant le reste de la journée. Je crois que la serveuse a compris que je n’avais pas trop de sous et elle me laisse tranquille, assis à ma table devant la fenêtre. J’essaie de rassembler mes idées, mais rien ne vient vraiment. A cause de cet enfoiré de Directeur de prison qui m’a accordé une journée de liberté supplémentaire, je vais me retrouver à la rue. Dormir dehors, ce soir. Tu parles d’un cadeau.

Après plusieurs heures passées ainsi dans la salle de ce coffee shop, la serveuse, Livia, revient me voir et je lève les yeux vers elle, espérant presque qu’elle m’invite à dormir chez elle pour que je ne me retrouve pas à dormir à la belle étoile ce soir.

— Je suis désolée, mais il est l’heure que je ferme la boutique. Il me reste un fond de café frais, je vous le mets en gobelet ? Je déteste jeter.

— Oh déjà ? ne puis-je m’empêcher de réagir.

Mes yeux regardent rapidement autour de moi et je constate en effet que nous sommes seuls dans l’espace restauration. Je manque de tomber en ramassant mon sac avant de me reprendre.

— Si ça ne vous dérange pas pour le café, je veux bien, oui.

— Pas du tout, sourit-elle en me faisant signe de la suivre. Je vous dirais bien que vous êtes un privilégié, mais j’offre toujours la fin de cafetière au dernier client. Ce petit grain du Costa Rica est tellement bon que j’en ai abusé et que je risque de finir en tachycardie si j’en bois encore une tasse.

Purée ! Quel cul ! Non mais j’ai vraiment l’impression de rêver alors que je la suis jusqu’au comptoir. Ce legging est une véritable tuerie ! Je suis obligé de faire semblant d’être attiré par le panneau qui indique que la maison ne fait pas de crédit pour ne pas me faire surprendre en train de la mater. Vu son petit sourire, je me demande d’ailleurs dans quelle mesure je me suis fait gauler.

— Je vais vous sauver de la crise cardiaque alors, ça me fera plaisir, dis-je en lui souriant.

— C’est bien aimable à vous, rit-elle en me tournant à nouveau le dos pour remplir un gobelet qu’elle dépose devant moi. Vous êtes du coin ? Sans vouloir faire ma curieuse, vous m’avez eu l’air perdu tout l’après-midi…

— Pas vraiment non. Je suis d’ici et d’ailleurs si vous voyez ce que je veux dire, répliqué-je un peu sèchement. Merci pour le café. Bonne soirée.

— Bonne soirée à vous aussi. A bientôt, j’espère.

A bientôt, ça m’étonnerait. Comme si j’avais les moyens de me payer un café à ce prix-là de manière régulière. Enfin, pour profiter de la vue qu’elle offre, ça pourrait me tenter, mais là, clairement, j’ai d’autres priorités que de bander sur le corps de la serveuse. Il faut que je me trouve un coin où pioncer et franchement, ça va être la galère. Je commence par retourner à l’abribus où je suis arrivé et m’assois sur le siège, mais le regard des voyageurs me dérange un peu. Je me remets donc à déambuler sans but dans le centre ville. J’arrive ainsi à proximité du stade de France, immense et magnifique. Mais rien pour vraiment m’abriter, me cacher. Je finis par m’installer dans un petit recoin avec vue sur le périphérique. Ce n’est pas calme du tout, il y a un bruit de fou. Mais l’endroit est tellement peu accueillant que j’y suis à peu près seul. Et c’est un vrai luxe, non ? J’espère que demain, le centre m’accueillera. En attendant, il faut que je trouve les moyens de me reposer et de tenir jusqu’à demain où j’irai voir à quoi ressemble ce centre dont on m’a vanté les mérites. Ma première nuit de liberté s’annonce lugubre et triste, mais au fond de moi, je suis content d’être enfin libre. Si seulement je pouvais trouver les moyens de ne pas remettre les pieds en zonze.

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