04. Soirée mousse

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Livia

J’enclenche l’alarme du shop et verrouille la porte après avoir récupéré mon sac à main et le petit sachet de mini-pains au chocolat que mon père a préparé spécifiquement pour le petit kangourou de la famille. Demain, le petit déjeuner sera plein de miettes et de sourires, et il va vouloir passer par le magasin pour faire un gros bisou à son papy avant d’aller à l’école.

C’est fou comme Mathis m’a manqué. Je l’ai pourtant déposé moi-même à l’école ce matin, et le weekend a été compliqué. Le problème, quand on est un parent célibataire, c’est que c’est vraiment H24. Personne pour prendre le relais, pour nous permettre de souffler. Personne pour nous dire “va prendre un bain, je gère”, ou pour jouer le garde-fou quand c’est la galère. Alors j’avoue que ce matin, aussi mignon eût-il été quand il m’a fait un gros câlin et dit qu’il m’aimait plus gros que le soleil, j’étais contente de le déposer à l’école et de quitter la peau de Maman l’espace d’une journée. Sauf que, finalement, il m’a manqué toute la journée. C’est quoi, cette dépendance, quand on devient parent, sérieux ? Est-ce qu’on est tous comme ça ou je suis une pauvre petite fleur bleue incapable de respirer sans la chair de ma chair ?

Je passe le porche de mon immeuble et toque à la porte du rez-de-chaussée avant d’entrer. Mes parents sont en train de dîner et je tire la tronche en constatant que Mathis n’est pas avec eux.

— Il dort déjà ?

— Oui. Les journées complètes d’école, c’est beaucoup pour ces petits loups, me répond ma mère en se levant pour aller me chercher un verre d’eau. Si seulement il y avait un homme dans ta vie, tu pourrais travailler à mi-temps et le garder à la maison l’après-midi. La maîtresse m’a dit que c’était compliqué pour lui de dormir avec les autres.

Et c’est reparti. A peine arrivée et j’ai déjà droit à une remarque.

— Ça a été, la fermeture du Shop, ma Chérie ?

— Oui, super, Papa. Le ménage est fait, tout est prêt pour demain.

Je ne peux m’empêcher de penser au dernier client, celui qui m’a dit être “d’ici et d’ailleurs” et qui a littéralement passé la fin de journée à rêvasser et à observer la rue. On aurait dit un extraterrestre qui débarquait sur Terre, c’est fou. Bon, il n’en restait pas moins mignon pour autant. Et je me demande si finalement je ne l’aurais pas déjà vu à l’agence ou au café. Moi qui ai la mémoire des visages, j’ai l’impression qu’il ne m’est pas inconnu, mais je n’arrive pas à le visualiser dans les lieux.

— Je vous laisse Mathis pour la nuit, du coup ? Vous m’appelez s’il se réveille et je viendrai m’en occuper.

— Oui, ça vaut mieux. Il ne faut pas le réveiller, Petit Cœur. Il t’a réclamée, tu sais.

— Je sais, Maman, soupiré-je. Je vais aller l’embrasser.

— Fais attention à ne p…

— Maman, c’est bon, la coupé-je. Je connais mon fils.

Je me dirige vers leur chambre et souris quand mes yeux se posent sur mon bébé endormi sur le matelas, au sol. Mes parents possèdent les trois logements du petit immeuble dans lequel nous habitons. En fait, c’était une seule et même grande maison, dans laquelle ils ont fait trois habitations. Mon deuxième frère, Louis, vit au premier étage, avec sa femme et ses trois enfants, et moi, j’ai fait un crédit pour leur acheter le logement du deuxième. Je n’ai pas le plus grand des appartements, mais j’ai quand même deux chambres et un petit bureau avec clic-clac. C’est clair que ma pièce de vie n’est pas gigantesque et qu’il suffit que la tornade Mathis passe avec ses jouets pour que ce soit un bordel monstre, mais je m’y plais beaucoup, j’ai aménagé les lieux à mon image. Bref, tout ça pour dire que mes parents sont au rez-de-chaussée et ont fait de l’ancienne pièce de vie de la maison un appart’ complet, si bien qu’il n’y a qu’une chambre.

Je m’allonge à côté du matelas où mon fils dort profondément et remonte la couverture sur son petit corps que je crève d’envie de dévorer. Il serre son petit doudou, un kangourou qu’il appelle Rourou, et tète sa tétine de temps à autre. Je caresse sa petite joue dodue, niche mon nez dans ses cheveux qu’il va falloir que je coupe car ils sont trop longs, et respire son odeur pendant une éternité. Je me repais de mon fils comme une droguée en manque, c’est pathétique, non ?

En sortant, je salue rapidement mes parents et les remercie de s’occuper de Mathis avant de gagner mon appartement. Je prends le temps de caresser Moustache, la boule de poils noire et blanche qui nous sert de chat, et ramasse les jouets qui traînent en me demandant ce que je vais bien pouvoir faire. C’est fou, généralement, à vingt-heures trente, vingt-et-une heures, je suis tranquille, le kangourou est au lit et j’ai ma soirée, mais le fait de ne pas le trouver dans sa chambre me fait bizarre. Je suis totalement paumée sans lui.

Malgré tout, quand je file à la salle de bain avec l’intention de prendre une bonne douche, un sourire se dessine sur mes lèvres. En moins de cinq minutes, la baignoire est pleine, le Mojito est prêt et je me glisse dans l’eau sur une chanson d’Adele en fond sonore. Je crois que je n’ai pas fait trempette depuis plus d’un an, et je savoure le calme et la détente. La zénitude ne dure pas longtemps et j’imagine que mon fils est réveillé quand j’entends mon téléphone, posé sur l’étagère derrière moi, sonner. Une partie de moi est déçue que ce ne soit pas mes parents qui appellent, mais je m’auto-engueule en décrochant.

— Oh, Diego ! Ça me fait plaisir que tu m’appelles, souris-je. Tu ne devineras jamais où je suis. Dans mon bain, c’est trop le pied ! Comment tu vas ?

Diego, c’est mon frère jumeau. Lui et moi sommes des accidents. Mes parents se satisfaisaient très bien de leurs deux enfants, ce qui explique la différence d’âge. Charles, qui vit à Toulouse, a quarante-cinq ans, Louis quarante-deux, et nous trente-et-un. Ma moitié vit à l’autre bout de Paris, il s’est éloigné de la famille pour une simple et bonne raison : mauvaise orientation sexuelle pour l’esprit étriqué de mes parents. Il n’y a qu’à voir comment ils ont réagi en apprenant qu’Isabelle était lesbienne. Et comme mes frangins ne sont pas beaucoup plus ouverts d’esprit qu’eux, je suis la seule au courant qu’il aime les hommes… Et nous nous charrions souvent sur le fait que j’ai dû le dégoûter du genre féminin in utero. On dédramatise comme on peut, hein ?

— Bonsoir, Miss Liberty, tu ne m’as même pas laissé le temps de deviner ! C’est pas juste ! De toute façon, ma vie est injuste…

— Désolée, de toute façon tu n’aurais pas trouvé, ris-je. Qu’est-ce qui t’arrive, frérot ?

— Tu me manques. Voilà le gros problème de ma vie. Tu crois qu’on peut se voir, ce weekend ? J’ai le cœur en miettes, là. C’est une question de vie ou de mort !

— Je bosse samedi matin, mais je suis toute à toi à partir de quatorze heures. Enfin… A toi et au kangourou. On peut venir crécher chez toi, si tu veux. Je t’assure que des câlins de ton filleul, il n’y a rien de mieux pour retrouver le moral.

— Ah oui, j’ai vraiment besoin d’un câlin de mon petit Bisounours ! Tu sais que les mecs, ce sont vraiment tous des cons ? Il faut que mon Bisounours ne le devienne pas, je compte sur toi, hein !

— Tu parles à la nana qui s’est faite lourder quand elle a dit à son mec qu’elle était enceinte, je te rappelle. Forcément que je le sais. Il faut qu’on se mette aux filles, Diego, ce sera plus simple, plaisanté-je.

— Tu as sûrement raison. On voit que tu es la vieille de notre duo. Si sage… soupire-t-il alors que j’entends du jazz derrière lui, signe de sa mélancolie.

— Qu’est-ce qui s’est passé, cette fois ? Tu veux que je sorte de mon bain pour aller lui casser la figure ? Un seul mot de ta part et j’y cours.

— Ah non, il est trop beau, ça serait bête de l'abîmer. C’est juste qu’on est sortis ensemble. Je l’ai rencontré dans un bar au Marais, j’y ai cru, tu vois ? Mais non, le gars n’a pas de couilles. Je crois qu’il ne s’assume pas encore et il a fini par me traiter de tarlouze. Alors que je suis sûr que s’il ne se réfrénait pas comme ça, on pourrait être en train de profiter de la vie à deux…

— Je vois… Pas facile de trouver l’entre-deux… Qui s’assume, mais pas trop pour ne pas vouloir rencontrer les darons trop vite. Tu ne peux pas lui reprocher de ne pas assumer son orientation sexuelle, mon chat. Même aujourd’hui, c’est la galère d’être homo, non ?

— Ouais, c’est pas encore demain la veille que je vais trouver le père de notre futur enfant. Des fois, j’en ai marre, Miss L. J’aimerais être comme les autres, c’est nul d’être différent et ne pas se couler dans le moule de la société. Même à notre époque si merveilleuse.

Je soupire et prends le temps de boire quelques gorgées de mon Mojito avant de répondre.

— Tu serais deux fois plus ennuyeux si tu n’étais pas différent. Déjà que tu es bien chiant, t’imagines un peu ? le taquiné-je en tentant de dédramatiser la situation.

— Oui, je vais arrêter de me plaindre. Et toi, quoi de neuf sous le soleil ?

— Tu sais bien que tu peux te plaindre autant que tu veux avec moi, Diego… Et tu peux aussi prendre le métro et venir dormir à la maison, si vraiment ça ne va pas. Mathis dort chez les parents, on s’ouvre une bouteille et tu vides ton sac. Je peux même te cuisiner un truc, si tu veux.

— Ah non, je ne ressors pas ce soir, mais merci pour l’invitation. Ça me fait toujours du bien de te parler. C’est quand même bien d’avoir une grande sœur.

— Comme tu le sens. Ici ça va. Les parents sont chiants, comme d’habitude. Ce matin, j’ai laissé traîner une tasse sale dans l’évier au shop, je me suis pris une soufflante devant les clients. Normal. Tout roule sous le soleil, on ne change pas les bonnes vieilles habitudes.

— Faut qu’ils arrêtent, eux ! Déjà qu’ils t’exploitent, si en plus ils se permettent de râler… Tu ne cherches vraiment pas autre chose pour le moment ?

— Je regarde, mais je ne suis pas sûre de vouloir retourner vendre des voyages. Je ne sais pas trop ce que je veux faire de ma peau, en fait. Pour les parents… pas de commentaire, on fait avec. J’ai besoin de nourrir mon fils et de rembourser mon crédit.

— Ils devraient te payer plus ou te faire payer moins pour l’appart, je trouve. Bref, si un jour, ils t’embêtent trop, tu me le dis et je leur parle de mes conquêtes, ça devrait détourner leur attention pour… les prochains mois ! rit mon frangin qui semble avoir oublié ses mésaventures relationnelles.

— Tu es mon joker de luxe, souris-je. Mais je ne te trahirai pas, mon chat. Hors de question. J’encaisse, je m’en fous. Y a pire dans la vie, hein ? Et puis, qui sait, ils vont peut-être bientôt prendre leur retraite et me léguer le shop. Tu viendras bosser avec moi et on en fera un lieu de rendez-vous des homos ?

— Ah oui, au milieu des prolos de Saint Denis, ça pourrait être cool. Je passe te voir ce weekend, si tu veux. On ira au parc avec le Bisounours, ça te va ?

— Tu ne veux plus qu’on envahisse ton espace avec les dinos et les camions de travaux ? gloussé-je. Tu sais comme Mathis adore mettre le bazar dans ton petit chez-toi !

— Bon, je cède. Je vous attends à seize heures samedi, après la sieste du petit, c’est bon pour toi ? Sauf si tu as un rencard amoureux, là on s’arrange autrement, hein ?

— Un rencard quoi ? Connais pas. A samedi, mon chat. Je ramène le goûter !

— A Samedi, Miss Liberty ! Bisous à mon neveu d’amour !

— Et moi ? Il n’y en a vraiment que pour lui, hein ? ris-je. Bisous Frérot.

Je raccroche en l’entendant ricaner et m’enfonce dans l’eau en souriant. Qu’est-ce qu’il me manque… Le voir s’éloigner des parents et donc de moi, n’a pas été facile, même si je sais qu’il a besoin de cet espace. Lui et moi partagions tout, et je me demande souvent si j’ai bien fait d’acheter l’appartement aux parents plutôt que de trouver quelque chose dans le même quartier que Diego. Ça aurait assurément été plus compliqué niveau garde pour Mathis, parce qu’ils m’aident bien à ce niveau, mais mon jumeau aurait été à portée, et ça, ce n’est pas rien. L’un ne va pas sans l’autre.

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