51. Le rameur en galère

9 minutes de lecture

Sacha

Je suis en colère, là. Il faut que je me calme, je le sais, mais je n’y arrive pas. J’en reviens pas que je représente si peu pour elle qu’elle n’accepte même pas d’envisager venir avec moi au restau alors que Mathis n’a sûrement qu’un rhume ! Franchement, après tous les efforts que j’ai faits pour rendre cela possible, le boulot que j’ai accepté de continuer juste pour me ranger, mes refus de retourner au quartier pour bénéficier de cet appartement, c’est normal que je veuille en profiter, non ? Elle pense quoi ? Que je suis si peu important qu’elle peut jouer avec moi comme elle l’entend ? J’ai ma fierté, moi. Je ne vais pas me laisser faire comme ça !

Je regarde vers la fenêtre de l’appartement de Livia en sortant du bâtiment et sens toute ma colère s’intensifier encore. Je fais quoi, maintenant ? Je passe pour un con et j’annule le restaurant ? Non, mais c’est abusé, là. Vu comment elle m’abandonne, elle mériterait que j’y aille quand même et que j’invite n’importe quelle meuf à le partager avec moi. Ou mieux, tiens, je vais inviter ma sœur et en profiter pour renouer vraiment avec elle. Moi aussi, je vais privilégier la famille proche et tant pis pour la personne que j’aime. Je verrai quand j’aurai à nouveau le temps de l’inviter ! Et ça ne sera pas pour tout de suite, c’est certain.

Je marche à vive allure vers le métro et prends plusieurs fois mon téléphone. J’hésite entre appeler le restau et tout annuler et contacter ma sœur pour l’inviter. Quel bordel, quand même. Alors que je pensais que j’allais pouvoir passer une belle soirée, voilà que tout tombe à l’eau. Il manquerait plus que ce soit Jordan au centre qui m’accueille et se moque de moi pour annuler mon autorisation de sortie et ce serait le pompon ! Tout ça parce que Madame s’inquiète pour son gamin ! Il est trop gâté, lui. Pourquoi c’est lui qui a le droit aux câlins alors que j’en ai autant besoin que lui ? C’est vraiment injuste. Je n’ai toujours pas décidé ce que je vais faire quand je reçois un texto de Marina qui me demande comment va Mathis. Comme si je savais ! Il doit être en train de se mater un dessin animé et profiter de sa mère alors que moi, je suis relégué à rentrer au centre.

— Salut Marina, c’est moi, grogné-je au téléphone dès qu’elle décroche. Pourquoi tu me demandes à moi comment il va ? C’est pour te moquer, c’est ça ?

— Me moquer ? Pourquoi je me moquerais ? Je voulais juste savoir, Livia m’a prévenue qu’il n’y avait pas besoin ce soir, mais elle ne m’a pas dit comment allait le petit et ne répond pas à mon message, c’est tout. Ça va pas, toi ?

— Non, ça ne va pas. A cause de Mathis qui fait semblant d’être malade, Livia a annulé notre soirée en amoureux. Je me retrouve tout seul comme un con, avec un restau à annuler et une soirée super à passer au centre. Tu vois le tableau ? Ah, et j’oubliais, Livia est en colère contre moi et me trouve égoïste. C’est du grand n’importe quoi, je te dis !

— Wow… T’as l’air en colère, mais… c’est normal qu’elle veuille rester avec son fils, non ?

— Tu trouves ça normal de me planter comme ça au dernier moment ? Et après, c’est moi l’égoïste ?

J’espère qu’elle au moins, ma propre sœur, va me comprendre et se ranger de mon côté. Parce que si elle joue la carte de la solidarité féminine, ça ne va pas le faire !

— Heu… t’énerve pas contre moi aussi, s’il te plaît, mais si je réfléchis un peu, je me dis que c’est un peu normal, j’avoue…

— Tu veux dire quoi, que je ne réfléchis pas, moi ? C’est ça ? commencé-je de manière un peu virulente avant de vite me reprendre. Excuse-moi, ce n’est pas contre toi, c’est que je ne comprends pas comment j’en suis arrivé à me disputer avec Livia. C’est la première fois et ça me rend fou. J’ai horreur de ça…

— Tu te rappelles de ce que faisait Maman quand on était malades ? me demande-t-elle doucement après un silence.

J’essaie de me rappeler et les seuls souvenirs qui me viennent en tête, ce sont des dessins animés et du chocolat chaud. Rien de particulier.

— Elle nous faisait des chocolats chauds et on regardait la télé, non ? Je ne vois pas le rapport, là.

— Ah non ? Elle ne venait pas nous chercher à l’école, peu importe ce qu’elle faisait ? Moi, je me souviens qu’elle nous bichonnait, qu’on avait droit à la dose de câlins, qu’elle nous préparait nos plats préférés… Elle ne nous a jamais laissés à l’école ou chez la nounou quand on était malades, elle s’occupait de nous. Surtout quand on était petits.

Je réfléchis à ce qu’elle est en train de me dire et sens ma colère s’évaporer comme neige au soleil. C’est vrai que j’ai ce souvenir de chaleur et de réconfort qui me fait chaud au cœur. Purée, j’étais moi aussi un petit monstre comme Mathis quand j’étais un gamin ?

— Tu veux dire que c’est normal qu’elle se consacre à son fils et pas à moi, c’est ça ? Et que j’ai été con de m’emporter alors…

— Ben… con, je sais pas, mais je pense que c’est compréhensible qu’elle veuille s’occuper de son fils malade, non ? En plus, je pense pas qu’elle aurait été à cent pour cent avec toi au restau. Sans compter que quand je m’occupais de lui alors qu’il avait de la température, il n’arrêtait pas de demander sa mère, je pouvais rien faire…

— C’est vrai que si elle était venue, elle aurait eu la tête à son fils et je me serais fâché parce qu’elle ne faisait pas attention à moi. C’est horrible, non ? Je crois qu’elle a raison et que j’ai été trop égoïste… Merde… Je fais quoi, maintenant ? J’ai tout gâché, non ?

— C’était pas contre toi, tu l’as pris trop personnellement, rit-elle. T’es bien un mec, toi ! Et sans vouloir en rajouter une couche, elle avait hâte d’être à ce soir. Je sais pas ce que tu dois faire… Revenir la queue entre les jambes ? La supplier de te pardonner ?

— Purée, tu fais chier, mais tu as raison… J’ai bien fait de t’appeler, moi. Souhaite-moi bonne chance, je crois que je vais galérer pour rattraper le coup…

— Ouais, bon courage, soupire-t-elle. Et tiens-moi au courant pour l’état de Mathis, OK ? Je… je suis contente que tu m’aies appelée, tu sais ?

— Moi aussi, même si je réalise que je suis dans la plus grosse merde de ma vie. Je crois que ça va être pire que la prison, là. En tout cas, merci, soeurette, ça fait du bien d’avoir quelqu’un à qui parler. A plus par messages.

Je raccroche et compose immédiatement le numéro de Livia qui tarde à répondre. Alors que je pense qu’elle boude trop pour décrocher, j’entends finalement le son de voix.

— Livia, c’est moi… Je… je m’excuse mais j’étais un gros con. Je… je ne sais pas comment te le dire mais j’ai fait n’importe quoi tout à l’heure, je suis désolé.

— Ah ça, je confirme que tu as fait n’importe quoi, oui, me répond-elle d’une voix blanche.

— Je ne sais pas si c’est une excuse valable, mais je voulais vraiment passer la soirée avec toi, tu sais. J’avais tout préparé et je n’ai pas vu plus loin… Il va comment, Mathis, là ?

— Moi aussi je voulais passer la soirée avec toi, et j’en ai déjà eu envie alors que tu devais rentrer au centre. Aux dernières nouvelles, je ne t’ai jamais piqué de crise, même quand tu rentrais pour aller voir ta petite éducatrice.

— Ah non, pas de reproche sur ça ! Tu peux déjà m’en faire assez sur ma connerie de tout à l’heure sans rajouter ça, dis-je en essayant de plaisanter un peu. Comment je peux me faire pardonner ? Je peux revenir tout de suite et t’aider à t’occuper du petit malade, si tu veux ? J’ai pas envie de passer la soirée tout seul au centre alors que je pourrais être avec toi.

— Non, pas ce soir… Il fallait y réfléchir avant, Sacha. Je peux comprendre que changer les plans de notre soirée t’a dérangé, mais je t’ai proposé qu’on la passe à la maison et tu as préféré t’énerver et te barrer, non sans me préciser que je te faisais chier. Alors non, je préfère autant que ce soit chacun chez soi, ce soir.

— Tu m’en veux tant que ça ? J’ai été impulsif, mais c’est parce que je t’aime trop, tu sais ? Et… tu n’as pas besoin d’aide pour t’occuper de Mathis ? Ou pour que quelqu’un s’occupe de toi et te donne plein de temps pour que tu te consacres à lui ?

— Ce dont j’ai besoin, c’est que tu prennes le temps de bien réfléchir à nous. Parce que toi et moi, ça ne se fera pas sans Mathis. Et si tu n’es pas prêt à l’accepter à cent pour cent, à faire avec les contretemps et à accepter que parfois, ce soit lui qui passe avant toi, peut-être qu’il vaudrait mieux qu’on s’arrête là, soupire-t-elle.

— Non, je ne veux pas arrêter, mon Amour. J’ai pas été à la hauteur, je te l’ai dit. J’ai compris et je sais que Mathis fait partie de ta vie. Je ne voudrais pas que ce soit différent. J’étais juste frustré tout à l’heure et je n’ai pas réfléchi, c’est tout. Je te l’ai dit et te le redis, je suis désolé. Mais faut pas qu’on arrête. Je ne peux pas vivre sans toi. Et sans sa petite bouille de malade non plus ! Livia, je t’aime. Comme tu es. Et encore plus de voir à quel point tu lui es dévouée. Je suis peut-être parfois un peu con et jaloux, mais tu vois, je m’excuse et essaie de m’améliorer.

— On en rediscutera demain, ou… quand on aura un moment. Je sais que c’est pas l’idéal, de te retrouver avec Mathis en plus de moi, mais… c’est comme ça, et moi je ne peux pas me permettre de laisser Mathis s’attacher à quelqu’un qui ne restera pas dans sa vie. Et je te le dis clairement, je ne supporterai pas que tu te barres comme ça chaque fois qu’on s’accroche. Alors j’entends tes excuses, je te remercie d’avoir fait le premier pas, vraiment, mais j’ai besoin d’un peu de temps pour digérer les choses.

— Si je te rappelle dans une heure, ça ira niveau temps ? Parce que sinon, ça va faire long pour moi, tu comprends ? tenté-je pour la faire sourire. Enfin, non, je te laisse me rappeler quand tu es prête, continué-je plus sobrement. Et surtout, fais un bisou à Mathis de ma part. Je t’aime, Livia. Trop peut-être, mais tout ce que je fais, c’est par amour, je ne veux pas, je ne veux plus te faire du mal. Et surtout pas te perdre.

— Je l’embrasserai de ta part quand il sera réveillé. Bonne soirée, Sacha…
Ouh la, ça reste froid, tout ça. Même pas un petit bisou ou un “je t’aime”, c’est pire que ce que je croyais mais bon, je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même.

— Tu n’hésites pas à m’appeler si tu as besoin, hein ? Je viens tout de suite, que ce soit pour Mathis ou des bisous pour toi. Je t’aime, Livia, ne l’oublie pas, s’il te plaît, même quand je suis bête, je t’aime.

— Je n’oublie pas, Sacha, soupire-t-elle. Je t’aime aussi. A demain.

Je raccroche soulagé d’avoir obtenu cette petite victoire qui rend son refus de me voir plus supportable. J’ai vraiment déconné et heureusement que j’ai parlé avec ma sœur, elle m’a sauvé la vie sur ce coup-là. Sans elle, je crois que je n’aurais pas réussi à voir le point de vue de Livia. Enfin si, sûrement, mais pas aussi rapidement. Je lui dois une fière chandelle et je lui envoie un petit message pour la remercier et lui dire que Mathis dort, mais que je n’ai pas d’autres infos. J’envoie aussi un petit message à Livia pour lui dire à nouveau que je l’aime et que je suis désolé. J’espère que dès demain, elle aura un peu oublié tout ça. Je pense que je ne supporterais vraiment pas si notre histoire devait se terminer, je suis trop accro.

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