L'art du jugement

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La soirée avait bien commencé. Après une journée de labeur des moins pénibles, un déjeuner avec une amie et quelques coups de fil sans grand importance, j’ai rejoint un ami au bar non loin du domicile. Quelques discussions plus tard et une envie certaine de profiter de la vie, nous voilà chez lui en train de placer délicatement une assiette au bleu luisant dans le micro-ondes afin de renifler tendrement des substances par nos narines.

La musique est entrainante. Les discussions endiablées et pleines de clairvoyance. Rattrapés par nos situations professionnelles respectives, nous décidons de mettre fin à cette délicieuse aventure. Pas pour moi. Je tente dans un premier temps de suivre la meute amassée sur le chemin du retour vers mon domicile. L’Ibiza.

Les échos perçus depuis mon arrivée à Rouen sur ce lieu ne prédisent rien de bon, je me fie pourtant à mon désir d’expérimentation et mon instinct dicté par cette énergie factice inhalée au cours des dernières heures. Je fais même un détour vers la voiture pour me munir de mon pass-sanitaire. Je comprends rapidement dès mon arrivée sur les lieux que la soirée sera courte étant donné l’âge de la population qui y végète. Plein de bonne volonté, j’insiste et passe la sécurité avec une tranquillité déconcertante. Un point bloquant, et non des moindres, est l’imperméable que je porte. De nos jours, porter un imperméable est facturable pour entrer dans une discothèque où la musique laisse à désirer. En Normandie. La dame qui gère ce type de litige me le fait savoir, je décide donc de rentrer chez moi, à quelques encablures de cette cour de récréation animée.`

J’arrive devant l’immeuble. Le code est 9712. Je m’obstine pourtant à vouloir prolonger la soirée. Sont-ce les substances ? Est-ce mon mood du moment ? Je décide de suivre mon instinct. Pour changer. J’arrive alors plein d’entrain rue de Crosnes où une musique fait frétiller mes oreilles. Coïncidence ou non, les férus de probabilités se reconnaîtront, un jeune homme sort de d’un immeuble - qui s’apparente plus à un hôtel particulier parisien - par une porte métallique imposante. Voilà de quoi attiser mon désir d’aventure. Je me lance alors:

  • Hello, tu as passé une bonne soirée ?
  • Très bien et toi ?
  • Ah tu as les pupilles bien dilatées quand même, j’imagine bien que ta soirée a été bonne !
  • Ah je n’ai rien consommé ce soir pourtant…

Le lien était créé.

Après quelques brefs échanges, il m’indique de manière bien aimable la marche à suivre afin d’avoir accès à l’immeuble et à à la soirée qu’il venait de quitter : « voilà, tu sonnes à l’interphone à ce nom… et tu leur dis je suis un ami de Pilou ». Ainsi soit-il. Pilou étant parti vers son destin, je m’exécute. Pas de réponse. Est-ce mon tempérament de mauvais perdant ou mon désir de prolonger la soirée, je retenté ma chance une seconde fois. Banco.

  • Oui, c’est qui ? 
  • Un ami de Pilou

Bingo !

Je pénètre alors l’immeuble sereinement. Je suis après tout un ami de Pilou, rien ne peut m’arriver en ces lieux. La cour est d’un charme simple et d’une singularité étonnante. La musique résonne. Mon envie de participer aux festivités est d’autant plus pesant. Se pointe alors à la fenêtre de l’étage une crinière blonde, la vingtaine, pleine de vitalité et d’entrain:

  • Ah c’est toi ?
  • Oui c’est moi !
  • D’accord, j’arrive.

Je sens alors quelques balbutiements au premier étage de cet hôtel particulier ô combien imposant. Je demeure tout de même sûr de moi et impassible à la situation singulière à laquelle je suis confronté. Je me pose sur le muret adjacent de la fenêtre, les jambes en croix, laissant transparaître mes chaussettes blanches imprimées d’ancres rouges et noires dont je suis si fier. Stoïque.

Les ampoules s’illuminent tout le long des couloirs du premier étage. La pression monte quelque peu. Pilou, Pilou, Pilou. Je n’ai que ce nom à l’esprit. Une porte s’ouvre sur ma gauche. C’est le moment fatidique. Je me rapproche. Décontracté, plein de bonne volonté. Mais je suis pris de court:

  • T’es qui toi ?
  • En toute transparence, j’ai rencontré Pi…

Trop tard, la porte claque. La tignasse blonde remonte les escaliers. Il lui aura fallu quelques secondes pour me juger. Peut-être moins.

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