Mala Vida

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J’ai soufflé ma trente-et-unième bougie il y’a quelques jours. Auprès des miens. Le tiramisu était délicieux. Il n’a pas fait long feu. C’est avec une profonde sincérité et une humilité certaine que je décide de faire un état des lieux sur ce projet pharaonique qu’est la vie. Pas de place à l’analyse ou à l’interprétation. Uniquement des constats à l’instant t.

C’est à contrecœur qu’on m’assimile à un numéro de passeport vert-kaki, à un numéro de sécurité sociale inscrit en noir sur une carte verte, à un numéro de code postal, à un numéro de téléphone ou à un travail que j’accomplis pour renflouer le solde d’un numéro de compte bancaire. Des chiffres, encore des chiffres. La société dans laquelle je vis étant ce qu’elle est, obnubilée par les chiffres et les statistiques, je me dois tout de même de rentrer dans ce moule étriqué. La personne en charge du marketing pour la marque à la virgule doit être un tantinet philosophe pour avoir eu l’idée de son slogan, indémodable malgré les années qui défilent, le « just do it ». Dans le mille. A l’aube de cette nouvelle année, le constat peut paraître de prime abord tiède voire froid. Nul besoin des compétences d’un contrôleur de gestion, ceinture noire – quatrième dan de karaté en matière de chiffres, pour analyser mes chiffres à moi. Mon document de voyage expire en 2025. Encore des chiffres. Mon numéro de sécurité sociale est orphelin d’une complémentaire santé. Je n’ai aucune adresse à mon nom depuis quelques mois. Mon exil en Tunisie ne me permet pas d’utiliser mon numéro de téléphone à bon escient en raison des tarifs exorbitants. Ma recherche d’emploi s’éternise. Enfin, il y’a de cela quelques mois, le solde de mon compte bancaire a vu l’émergence d’un signe moins et je commence à peine à réussir à me dépêtrer de cette situation pour le moins handicapante étant donné le moule qui a façonné la société. Le constat s’avère tout compte fait glacial. Satané moule !

C’est pourtant avec le cœur léger que je trace ma route. Je préfère regarder au-delà des chiffres. Point positif, et non des moindres, le corps répond bien. Pour l’instant. Malgré mon hygiène de vie loin d’être exemplaire et la scoliose qui dévie ma colonne vertébrale, ma santé n’est pas à plaindre. Pour l’instant. En témoignent les innombrables parties de football organisées ou improvisées entre amis. Parfois avec des inconnus devenus amis. Que la météo soit clémente ou non. M’auront également marqués les un contre un musclés de basketball sur les terrains granuleux de Monastir. Sans oublier les haletantes parties de beach-volley sur la plage à Hammamet et les incalculables points échangés au tennis aux quatre coins du pays. Il m’arrive également de me remémorer les finales de handball perdues au lycée sur des décisions arbitrales plus que litigieuses. Trop tard pour me mettre au rugby. Le point d’orgue de ma carrière de « sportif du dimanche » restera ce premier marathon de Paris couru avec fougue. Et sur un coup de tête. Au diable la préparation. La meilleure façon d’appréhender un marathon est d’être sûr de sa force. De croire en soi. Ne pas s’en mêler les pinceaux dans la coordination des membres inférieurs peut s’avérer bénéfique à bien des égards. Jambe droite. Jambe gauche. Jambe droite. Jambe gauche. Inlassablement. Le tout sur quarante-deux mille cent-quatre-vingt-quinze mètres. Une folie douce pour une breloque à la clé et un torrent d’émotion. A l’arrivée, mes glandes lacrymales ont laissé s’extirper quelques gouttes qui sont venues humidifier mes joues comme on humidifie la pâte à pizza avant de la mettre au four. Cela dépend bien évidemment de la marque de pâte à pizza. Lors de mon second marathon de Paris, ce sont des larmes de douleur qui ont coulé. Elles ont coulé à flot. La faute à une préparation ô combien douteuse. Et à une hanche droite pour le moins frileuse. C’est au onzième kilomètre que la douleur s’est intensifiée laissant planer le doute quant à une arrivée sur les Champs-Elysées. Peut-être était-ce le douzième. Les larmes brûlantes, elles, ont commencé à se déchaîner entre le vingt-neuvième et le trentième kilomètre. Entre la Tour Eiffel et le Trocadéro. J’ai tout de même rallié dignement la ligne d’arrivée et j’ai récupéré fièrement ma seconde médaille. Je ne chiffrerai pas les mètres sur lesquels mes gouttes se sont déversées. Je n’aime pas les chiffres. Satanés chiffres !

C’est avec le cœur pur que je maintiens le cap. De plus en plus sûr de moi. J’ai longtemps erré, égaré sur le chemin de ma destinée. Heureusement, mes doutes s’estompent au fur et à mesure que les bougies s’accumulent. Je gagne en maturité, je gagne en assurance, je gagne en sagesse. Je gagne. Encore et encore. C’est ça l’esprit. On dit que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Je surfe sur ce fleuve semé d’embûches qu’est la vie. J’ai appris à me connaître et à maîtriser mes craintes. A les métaboliser en certitudes. Tout en muselant ce diable d’égo en cage. Je suis loin d’être parfait et je n’aspire pas à l’être. Tout ce que je souhaite, c’est être la meilleure version possible de moi-même. Simple. Sobre. Epuré. Pour cela, je me gave au positivisme et me saoule à la bienveillance. Un peu niais diront certains. Soit. Mon libre-arbitre en a décidé ainsi. J’ai fini par trouver mon équilibre et m’apprête à funambuler. Libéré. Aérien. Si comme l’a dit Sartre, « l’enfer c’est les autres », je préfère penser que le paradis c’est nous-mêmes. Tant qu’on trouve sa paix intérieure, en harmonie avec celle des autres. L’ingrédient secret qui permet cette osmose, c’est selon moi l’amour. J’aime aimer. J’aime ma famille, celle proche et celle plus éloignée. J’aime mes amis, ceux de longue date et ceux croisés dans la journée. J’aime la boulangère qui me demande constamment « avec ceci Monsieur ? ». J’aime le caissier à qui je ne prends jamais le ticket de caisse. L’amour rend résolument aveugle. J’aime l’obscurité. J’ai dans le cœur un phare qui illumine mes pensées. Je me noie dans cette flaque d’émotions et suffoque de plaisir. J’ai encore tant de chemin à parcourir. Tant de belles choses à découvrir, tant d’îles à conquérir. Je me sens pirate. J’ai levé l’ancre et vogue vers l’inconnu. Libre. Je pars à l’aventure. Je suis une aventure. Sacrée vie !

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