Le garde aux secrets

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Elle surplombait le champ de bataille, forte et radieuse comme le soleil. Les terres de son suzerain s’étendaient à ses pieds, rougies du sang de leurs ennemis.

Tant d’efforts pour venir mourir dans nos champs. Quel gâchis, pensa la générale en traversant les lignes d’archers. Les guerriers s’inclinèrent respectueusement devant la nièce du roi.

De sa lance, elle transperça le corps agonisant d’un barbare tombé sous les coups des soldats lantiens. Retirant l’arme de la poitrine béante, son regard aiguisé repéra la troupe avant que le sol tremble sous le galop des chevaux. Ses trois capitaines accompagnés d’une quinzaine de chevaliers cendrés venaient lui rendre conte.

« Générale ! La victoire est nôtre ! » s’exclama un colosse engoncé dans une armure noire charbon.

Une lourde hache à deux mains battait les flancs de son destrier semblant prêt à s’effondrer à tout instant. Sa générale tendit une main gantée vers les naseaux fumants pour calmer l’animal. L’imposant guerrier sauta au sol en quête d'une félicitation, mais il n'eut droit qu'à un simple hochement de tête.

« Merci pour cette précision, Keraq. Je suis persuadée que notre cheffe gardait quelques doutes. »

La capitaine Mëlys les rejoignit, toujours aussi piquante. Elle serra avec force l’avant-bras de sa sœur avant d’aller apostropher les cavaliers.

« Pied à terre ! Allez soigner vos montures et profitez de l’abreuvoir pour laver vos sales gueules, vous puez tous le sang et la mort ! »

La joie de la victoire succéda au chaos du combat. Des cris d'allégresse résonnèrent tout autour de la générale qui restait d’un calme désarmant. Son attention était concentrée sur le troisième lieutenant ne s'étant pas joints à eux, occupé à caresser distraitement l'encolure de son cheval.

Il ose m’ignorer.

Elle sentit le rouge lui monter aux joues et préféra détourner les yeux. Furieuse, elle rejoignit sa tente personnelle protégée par deux gardes royaux. À l’un, elle jeta sa cape bleutée, au second, sa lance effilée. Aucun n’émit de commentaire de peur de s’attirer ses foudres.

Dans la pénombre des lieux, elle se servit du vin avant de s’affaler sur un siège. Elle le but d'un trait.

Le calme ambiant et l’alcool aidant, elle se détendit enfin. Les yeux clos, elle ignora l’intrus qui pénétrait les lieux, n'esquissa pas un geste alors qu’il approchait avec lenteur. Elle ne réagit pas plus lorsque deux mains se posèrent sur ses épaules fourbues, pencha simplement la tête en soupirant doucement. Ses lèvres furent embrassées avec tendresse. Le temps d’un souffle, elle oublia la générale pour devenir une femme épuisée.

« Tu as tardé, Bellamy » lâcha-t-elle dans un murmure alors que son fidèle lieutenant l’enserrait dans ses bras.

« Vous auriez dû revenir depuis plus d’une heure, j’ai craint le pire.

  • Une ultime poche de résistance requérait notre présence, répliqua le solide lantien de sa voix grave. M’aimerais-tu si j’étais incompétent ? »

Il la taquinait sans gêne, elle, la plus redoutable combattante du royaume, marmonna une sourde menace sans chercher à se défaire de l’étreinte, et restèrent ainsi aussi longtemps qu’ils le purent, jusqu’à ce que la réalité les rattrape.

« Vous êtes convoquée devant le roi. »

Annonça le lieutenant Keraq en arrivant. Il était suivi des gardes d'Hérisse le menaçant de leurs épées dégainées. Hérisse l'arrêta de la pointe de sa lance dégainée prestement. La glotte chatouillée par l’acier forgé au sein des prestigieuses forges-brume, il tenta de reculer, mais elle l’accompagna d’un pas et le força à poser le genou à terre.

« C’est votre dernière maladresse, Keraq » gronda-t-elle en quittant les lieux suivie par Bellamy.

Les deux hommes échangèrent un bref regard brûlant de l’intense rivalité qui les opposait. Bellamy affichait son mépris doublé d’un amusement mordant. Keraq bouillonnait en silence, patient, attendant l’heure où il prendrait sa revanche.

o≈O≈o

La tente royale était un bijou de luxe et d’ingéniosité. Bien que constituée de simples bandes de tissus maintenue à l’aide de cordes et pieux, elle donnait l’impression à quiconque en franchissait le seuil d’être transporté dans un grand hall décoré avec faste. Il y régnait une forte animation.

De grands drapeaux ocre brodés de fils d’or avaient été plantés au sol pour cacher les piliers de soutien, tandis que de discrètes ouvertures à la base de la tente et à ses multiples sommets assuraient l’aération pour évacuer les odeurs de sang, de métal et de sueur.

La générale fit son entrée sous les harcèlements des conseillers royaux qui déjà écrivaient les récits de la journée dans lesquels ces derniers faisaient figure de héros.

Vermines.

Elle retint une grimace de dégoût devant les courbettes de ces vieux séniles, serrant plus fortement sa lance. Bellamy, en retrait, remarqua le geste et prit les devants pour s’accaparer les compliments creux et offrir ainsi un peu de répit à sa belle.

Elle l’en remercia d’une pression sur l’épaule et parcourut les derniers mètres la séparant de son oncle, le roi Fenris. Un héraut l’annonça d’une voix forte qui donna un frisson de plaisir à la jeune femme.

« Dame Hérisse, lance du trône des sables, grande générale des armées de Lantia, maîtresse officier des régiments de cendre et nièce du roi Fenris. »

Les regards se braquèrent sur elle. Silence. Puis vint le tonnerre d’applaudissements. Hérisse s’avança en victorieuse à la rencontre de son roi. Une fois encore, elle avait dirigé ses armées lorsque ce dernier n’avait fait qu’exacerber la haine que leur vouaient les pays frontaliers. De nouveau, elle avait mis en danger la vie de son aimé. Elle se demandait à quoi rimait ce jeu macabre.

Fenris était assis sur son trône, les jambes croisées et son attention entièrement tournée vers la reine Laurianne. Hérisse, comme à son habitude, fut subjuguée par la prestance de cette humble paysanne devenue reine.

Elle s’agenouilla avec respect devant le couple royal. Ses lieutenants l’imitèrent. Keraq bombait inutilement le torse sous l’armure qui ne le quittait jamais. Mëlys respectait sagement son rôle de lieutenant malgré le sang noble qui coulait dans ses veines. Quant à Bellamy, eh bien, il était là. Celui qui portait le doux surnom « d’invincible champion du roi » affichait un sourire calme et confiant.

« Seigneur. Vos ennemis sont défaits, vos soldats sont maîtres du champ de bataille ! » clama Hérisse.

La reine la gratifia d'un sourire chaleureux, mais le suzerain n'afficha que déception et mépris. Un sombre personnage apparut alors derrière les deux trônes. Sa lanterne à la flamme verdâtre projetait son ombre sur le couple royal. Une joie mauvaise se peignit sur ses traits, une attention faite à Hérisse pour la préparer à ses perfides paroles.

« Vous prétendez nous apporter de bonnes nouvelles. Pourtant, une large part de nos ennemis s’est enfuie.

  • L'adversaire nous surpassait en nombre et ont pu bénéficier d'une retraite aisée. Je regrette sincèrement de n'avoir pu tuer tous vos compatriotes. »

La réplique de la générale était cinglante, préparée à l'avance car connaissant le garde aux secrets et ses paroles insidieuses. Trop souvent, elle s’était révoltée contre le fait que le roi prenne un étranger comme conseiller, venant d'un royaume ennemi qui plus est. Hélas, son oncle n'en faisait qu'à sa tête et ses pensées allaient plus à la reine qu'aux affaires d'État. Trop souvent au front à réparer ses maladresses, Hérisse s’était éloignée de son propre sang.

Elle s'en voulait.

« Je ne sers que le seigneur de ces terres. »

Karn s’indignait d’un ton aussi malhabile que provocateur. Sa voix crissait à ses oreilles. Hérisse enrageait de voir son oncle aveugle à tant de mensonges. Mais il était le roi. Elle n'était que la servante.

« Quelle est Sa volonté ? »

Elle maudissait sa voix tremblante, au goût âcre de défaite. Sa fidélité allait au roi, et c'était du roi qu'elle prenait ses ordres. Mais Fenris resta sourd à sa détresse et continua de caresser la main de Laurianne. Ce fut Karn qui parla en son nom.

« Réparez vos erreurs. Pourchassez l'adversaire. Revenez avec quelques têtes, ou ne revenez pas. »

Un silence de mort régna suite à la menace énoncée. Hérisse quitta les lieux, furieuse.

« Attends ! »

Sa jeune sœur Mëlys courut à sa hauteur.

« Ignore cette pourriture, nous sommes là pour t’épauler, peu importe tes ordres. »

La générale ralentit brièvement le pas pour dévisager tour à tour ses trois lieutenants. Elle les savait prêts à tout pour elle, fidèles jusqu’à la mort. Cela eut le mérite de calmer ses nerfs. Mëlys se fendit d’un sourire agressif en cognant le crâne de Keraq.

Hérisse les observa distraitement se bousculer, réfléchissant à la direction à prendre. Son cœur lui criait de mettre un terme à ce funeste jeu. Sa raison, elle, conseillait d’éviter de se précipiter.

« Prenez vos meilleurs chevaliers cendrés. Le roi nous a donné des ordres que nous suivrons sans faillir. »

Tous hochèrent de la tête, même si elle ressentit leur déception. Elle haussa mentalement les épaules et se remit en marche. L’ennemi les attendait, caché dans les montagnes. Il lui faudra faire preuve d’une grande prudence pour mener sa mission à bien et briser les doutes des ultimes soutiens du garde à la cour.

Alors seulement, elle s’occupera de Karn, une bonne fois pour toutes.

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