Sceller le pacte

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Les semelles d’Hérisse frappaient la roche à un rythme saccadé. Elle s'arrêta un instant pour retrouver son souffle.

Des cris résonnèrent dans le labyrinthe de pierre.

« Par ici ! », « Cours, cours, petit lapin. On te trouvera ! »

Elle porta la main à sa blessure et retint un gémissement mêlant douleur et colère. Pourquoi avoir pris ce col ?! Il était pourtant sécurisé ! 

L'effondrement de rocs les avaient tous surpris, et coupé leur cheffe du reste de la troupe.

Quelqu'un cherchait à l'isoler.

C'était chose faite.

Un cri percuta son dos. Elle se baissa de justesse alors qu'une flèche frôlait sa tête avant de reprendre sa course.

Un barbare lui bloqua le passage, elle plongea, lui transperça la gorge. L'homme n'eut pas le temps de trahir sa position et expira dans un râle d'agonie. Hérisse le dépassa et se perdit dans le labyrinthe de pierre.

Du bruit lui parvint à sa gauche. Elle hésita.

Ami ?

Une autre flèche siffla et atteignit son bras. Elle se jeta dans la voie de droite dans l’espoir d’échapper à ses poursuivants. Un gouffre l'engloutit.

La chute fut brève. L'atterrissage, brutal.

S'appuyant de son bras valide sur sa lance, elle se redressa en serrant les dents. Un mouvement dans les ombres la fit réagir.

Trop lente.

L'acier mordit sans pitié.

Projetée contre la paroi rocheuse, Hérisse hurla de douleur, clouée par un énorme javelot à un arbre fossilisé. Ses mains tremblantes agrippèrent la hampe alors que ses forces l'abandonnaient à toute vitesse.

Une lueur éclaira la grotte de ses reflets verts. Hérisse trembla en découvrant la terrible vérité.

« Traître !

  • Ma pauvre.. »

L'air faussement inquiet, Karn appuya sur l'arme, l'enfonçant un peu plus. Hérisse ne put retenir un cri.

« Si tu savais combien de fois j'ai imaginé notre petite réunion. »

Des appels se firent au loin. Le garde poussa un soupir déçu avant de lui faire un clin d'œil. Il recula et disparut dans les ténèbres. Vint alors Bellamy. Le grand guerrier était aussi mal en point que son aimée. Celle-ci essaya de le prévenir, mais s'étouffa dans une toux sanglante.

« Hérisse ! »

Il s'activa pour la libérer, mais chacune de ses tentatives ne faisait que rapprocher son amour du trépas.

« Bellamy… »

Elle tenta d'attraper son regard sans succès. L'homme avait cédé à la panique. Elle réussit pourtant à lui saisir le visage.

« Sauve-toi… »

Elle voulait tant lui dire de quitter cet endroit. De prévenir le roi. De venger leurs frères d'armes.

Pourquoi s’était-il immobilisé ?

Il ouvrit grand la bouche, cherchant de l'air sans en trouver. Un second visage apparut aux côtés du sien. Karn affichait un sourire froid.

Bellamy s'effondra au sol, Hérisse voulut crier sa rage, mais n'en avait plus la force.

Sa vision se brouillait.

« Dors, petite chose. Cesse de lutter. »

Karn retira la lance du mur. Hérisse s'effondra, perdue au milieu d'une forêt de pierres.

o≈O≈o

Hérisse se sentait légère, si légère. Elle se releva sans mal dans un monde devenu flou. Une pâle lueur bleue éclairait un arbre aux reflets vitreux. Contre ses racines gisait un corps transpercé d'une lance, celui d’une femme aux cheveux noirs de jais. Elle lui rappelait une autre vie.

Hésitante, elle fit un pas. Sa main se dressa. D’un doigt, elle caressa la hampe aux rainures mouvantes. Des cris firent écho au bruit de l’arme retirée. Elle recula, trébucha. Sa mémoire lui revint. L'horrible trahison du garde aux secrets repassa devant ses yeux. Elle était morte, alors pourquoi ces souvenirs mortels venaient-ils la ronger ?

D'autres esprits étaient présents. Des visages familiers, qu'elle avait dirigés ou tués. Tous se déplaçaient sur un chemin pavé guidés par un feu follet.

Hérisse se plaça à leur suite, sombre, abattue.

Une étincelle attira son attention. Des vagues de colère la frappèrent de plein fouet tandis qu’un homme décharné tranchait les arbres proches de sa hache brisée.

Plus loin, une seconde âme errait à la recherche d'une direction à suivre. Elle aussi se perdait dans ses sombres souvenirs, aveugle à la lueur bleutée et le chemin qu'elle lui traçait.

Hérisse les observa, persuadée de les avoir connus. Tous deux brûlaient d'un besoin de revanche, pâle reflet de sa propre souffrance. Mais il était trop tard. Ruminer la vie ne ferait que les éloigner du repos éternel.

La lance battait son flanc. Sa lame brillait. Hérisse s'approcha. Si la vengeance les empêchait d'accéder à leur juste récompense, alors elle devait les en délivrer.

Coup après coup, elle transperça les deux esprits. Du premier, elle prit les rêves inachevés de grandeur. Du second, elle récupéra la peine de n'avoir su protéger son propre sang.

Le pacte était scellé. Hérisse avait reçu les ultimes regrets des morts. En échange, ces derniers avaient gagné l'oubli.

Ils prirent sereinement le chemin vers leur salut. Hérisse resta en arrière, écrasée par tant de malheur.

Des sanglots éclatèrent dans son dos. Un esprit s’était agenouillé au pied de l'ancienne enveloppe charnelle de Hérisse. Il essayait de prendre le corps dans ses bras.

« Pitié ! Laissez-moi l'enlacer, rien qu’une dernière fois. »

Il s'énervait, jurait, suppliait. Elle s'accroupit à ses côtés. Un flot de larmes coulait sur ses joues, elle les essuya sans qu’il s’en rende compte. Le guide s’éloignait, les esprits le suivaient. Pourquoi s’attacher à de telles futilités ?

Elle n’allait pas laisser son esprit ainsi. Hérisse affermit sa prise, mais au contraire des autres esprits, elle s’y prit plus doucement. Le défunt gardait la tête baissée, écrasé par le poids des remords. La pointe de la lance vint entailler l’arrière de son cou. Un flot de regrets amers s’en échappa sous forme de vents violents. Patiemment, elle les attrapa, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul.

L’esprit qui fut jadis un puissant guerrier se redressa. Il essuya ses larmes, sans comprendre pourquoi il avait tant pleuré. Devant lui se dressait une grande femme à la lance étincelante. Il l'observa, se demandant pourquoi elle était si triste. Elle tenta de lui prendre la main, mais il se sentait appelé... ailleurs.

Bellamy s’en alla. Hérisse resta.

Bientôt, tous les esprits avaient rejoint le feu follet. La lueur se transforma en une superbe femme à la chevelure animée de flammes glaciales. Elle adressa un long regard à Hérisse. Celle-ci déclina l’invitation.

La guerrière sentait encore de la détresse. Nombreux étaient les esprits perdus, à la vision obscurcie par le regret, la rage et la vengeance. Elle pouvait leur montrer la voie vers le salut en leur offrant l’oubli, en les délestant de leurs souvenirs mortels.

Lance en main, elle se remit en marche.

D’autres attendaient de sceller le pacte.

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