Trois jours se sont écoulés dans le silence, je déambule dans les couloirs jusqu'à trouver un endroit calme, absente.

L'isolement est pesant, tout autant que cette épée de Damoclès qui plane au-dessus de ma tête depuis mon altercation avec ces imbéciles. Je me sens impuissante, n'attendant plus que d'être renvoyée pour mes fautes.

Je ne mange plus, ne dors plus et, inévitablement, mes performances universitaires chutent déjà, plongeant le peu de moral qu'il me reste dans une spirale descendante.

Croisant Sophie au détour d'un couloir, je n'ai même plus la force de la haïr. J'ignore son regard noir et je sors de l'établissement. Fatiguée, je marche, l'esprit dans le vague, jusqu'à atteindre un arbre sous lequel je m'allonge, cherchant refuge dans son ombre.

C'est triste, mais dans ces moments, j'en viens à me demander ce qui me retient dans ce monde.

Je sursaute brusquement en sentant une main se poser sur la mienne, tombant nez à nez avec Lynn et ses bouclettes brunes. Très surprise de la voir là, il me faut quelques secondes pour deviner qu'elle vit probablement à proximité, enfin, je crois.

Elle semble avoir quelque chose à me dire, mais étrangement, son assurance semble avoir diminué depuis notre première rencontre. Plus étrange encore, tous les regards semblent être braqués sur nous, mais je mets ça sur le compte de mon imagination.

• Je ne t'ai pas entendue approcher, dis-je pour mettre fin au silence gênant qui s'est installé.

Postée là sans un mot, elle finit enfin par se décider et me tend le paquet qu'elle tenait en main depuis le début.

• Tiens… mange.
• Non, merci.

Visiblement très surprise de mon refus, comme si elle ne s'y attendait pas, elle perd ses mots l'espace d'un instant. L'air confus, elle continue à insister pour que je prenne le plat. Mais rien n'y fait, je reste campée sur mes positions.

Plus je l'observe, moins j'ai l'impression de la cerner. Un coup elle est pleine d'assurance et de l'autre elle paraît handicapée socialement.

Voyant qu'elle commence à perdre ses moyens, j'envisage un instant d'accepter sa proposition, mais au même moment, elle s'enfuit se cacher derrière un jeune homme qui nous observait en retrait.

Décontenancée par la scène, je me demande ce qui vient de se passer quand le jeune homme en question s'approche à son tour.

• Bonjour ! salue-t-il avec entrain. Pardonne l'attitude de ma sœur, elle a souvent du mal à interagir avec les inconnus.

Ce n'est pas l'impression qu'elle m'a donnée la première fois.

• Bonjour. Merci, je comprends mieux maintenant.

Il se penche vers moi et se met à chuchoter.

• Ça ne te dérange pas d'accepter ce plat ? Elle l'a fait spécialement pour toi et elle se sentirait très mal que tu refuses.
• Ne le prends pas mal, mais ces jours-ci particulièrement, je me garde de faire confiance aux inconnus.
• Ah, mais que je suis bête ! Je ne me suis même pas présenté.

Un sourire charmeur sur le visage, il pose le genou pour se mettre à ma hauteur.

• Edwin Haliburton, ravi de te rencontrer.

Figée l'espace d'un instant, je me ressaisis au plus vite pour ne pas lui laisser le plaisir de se délecter de ma réaction. Son sourire laisse place à un rictus menaçant.

• Ma sœur a préparé ce plat rien que pour toi. J'ignore pourquoi elle te porte autant dans son cœur, mais dis-toi que c'est uniquement grâce à elle que tu es là à te prélasser sous cet arbre au lieu de pourrir en cellule.

Il marque une petite pause, puis remet son masque de fausse sympathie.

• Je serais très reconnaissant que tu l'acceptes, répète-t-il.

Sans un mot de plus, je me relève sous son regard insistant et pars à la rencontre de Lynn qui attend en retrait, le plat à la main. Elle a du mal à me regarder dans les yeux, je fais en sorte d'être assez douce pour ne pas la brusquer.

• Merci… d'avoir pris le temps de cuisiner ça pour moi.
• Tu veux bien le prendre ? demande-t-elle timidement.

J'acquiesce silencieusement.

• Et si vous en profitiez pour passer du temps ensemble ? propose Edwin en me mettant la main sur l'épaule.

Mal à l'aise, j'hésite un moment, mais le regard pétillant de Lynn me fait changer d'avis. Heureuse de me voir acquiescer, elle court faire un câlin à son frère qui finit par s'éclipser quelques minutes après.

• Ce fut un plaisir ! lance-t-il en s'éloignant.

Quel duo étrange...