Chapitre 30

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Cet après-midi était particulier.

Tristan avait eu le temps de s’y préparer, Solène le lui ayant proposé quelques jours plus tôt… et pourtant, il appréhendait ce moment. À vrai dire, peu habitué à ce genre d’expérience, il n’y avait pas pensé une seconde. À vrai dire, l’idée même d’affronter les beaux-parents tôt ou tard lui avait à peine effleuré l’esprit.

A priori, une sortie avec les copines de Solène devrait représenter un défi bien plus accessible pour lui. Il espérait seulement qu’elles ne seraient pas trop nombreuses.

— Regarde, elles sont là ! lança la jeune femme.

En effet, un groupe de filles était présent sur la place, devant l’entrée de la boutique où elles s’apprêtaient à s’engouffrer. Tristan sentit son cœur s’emballer. Les quatre demoiselles – il les avait vite comptées – les aperçurent à leur tour et saluèrent Solène qui accéléra le pas.

Elle fit les présentations lorsque Tristan arriva à sa hauteur. Ce dernier se contenta de les saluer d’un mouvement de la main. Il ne mémorisa aucun prénom, ou plutôt n’en écouta pas un seul, bien trop perturbé par la situation.

— Alors, c’est lui, ton nouveau mec, nota l’une d’elles, une rouquine. Pas mal, il est mignon. Et il a l’air gentil, en plus.

— Très gentil, confirma Solène. Mais te fatigue pas, tu l’auras pas !

— Oh, mais t’inquiète pas, je sais qu’il est tout à toi.

Tristan identifia alors la fille que Solène lui avait décrite. Une étudiante rousse passionnée par les garçons, à qui elle prenait plaisir à s’offrir. Une jeune femme sûre d’elle qui semblait l’évaluer du regard, le mettant mal à l’aise. À bien la regarder, elle avait effectivement quelque chose d’attirant. Peut-être cela venait-il de sa chevelure flamboyante, longue et ondulée, de son visage fin, ou tout simplement de sa silhouette mise en valeur par le pull qu’elle portait sous sa parka fourrée. Il ne saurait le dire.

En tout cas, elle était charmante.

— Bon, reprit cette dernière, on y va ?

Telle une meneuse, elle ouvrit la marche du groupe en direction du magasin. Solène la rejoignit à la tête du groupe, suivie de Tristan.

Ce dernier suivit la masse, se contentant d’écouter les deux femmes parler de choses qu’il ne comprenait pas, sans piper mot. La conversation des autres filles était inintelligible.

Son attention, tel un détecteur, fut retenue par la discussion entre Solène et la rousse au moment où celle-ci abordait sa dernière nuit avec un éphèbe athlétique. Comme à chaque fois qu’il écoutait ce genre de récit, il eut l’impression qu’un étau lui oppressait la poitrine. Tant pour des raisons d’orgueil que pour des raisons… d’expérience. Un soupçon de jalousie, aussi, envers cet heureux élu qui avait eu le privilège de profiter de son corps magnifique.

Tout l’après-midi durant, il fut ballotté de boutique en boutique. Elles passaient en revue des rayons de vêtements, dont elles essayaient la moitié et achetaient à peu près le tiers. Petit ami dévoué, Tristan proposa à Solène de participer à son budget, ce que cette dernière accepta volontiers, surprise, comme ses copines.

Parfois le jeune homme fut distrait par une autre fille de la bande. Celle-ci s’intéressant à sa vie, il lui donna la réponse habituelle : les études et son intérêt pour les sciences. Caroline – c’était son prénom – sembla finalement plus s’intéresser à Tristan qu’aux achats ; aussi préférèrent-ils discuter. Il apprit par exemple qu’elle étudiait l’économie.

Toutefois, leur conversation ne s’éternisa pas longtemps. Tristan, d’abord embarrassé, passa quelques minutes à se creuser les méninges pour trouver de quoi relancer la conversation… avant de renoncer. De toute façon, il s’aperçut que Caroline s’était déjà éloignée, assistant la troisième fille dans ses achats.

Guère à l’aise dans ce milieu qui n’était le sien, au milieu de ce groupe de filles dont il se sentait superfétatoire, le temps commençait à se dilater sous ses yeux. Feignant de consulter ses messages sur son téléphone, le garçon en vérifia l’heure régulièrement.

Moment typique où la théorie de la relativité restreinte prenait tout son sens.

Il finit par tellement se déconnecter de l’instant présent que sa réactivité lorsque les filles l’interpellaient s’en émoussait. Et le fait de les imaginer parler de lui dans son dos en les voyant discuter accentuait son malaise.

La fin d’après-midi mit un terme à cette aventure à son grand soulagement. Trop courtois pour exprimer son impatience, il laissa Solène faire ses adieux à ses copines en trépignant, hurlant intérieurement de joie lorsqu’enfin elle se décida à le rejoindre.

— Merci pour ton offre, mon Tristan. C’est adorable de ta part ! Pas trop fatigué, j’espère ?

— Non, ça va, t’inquiète. À refaire quand tu veux ! Elles ont l’air sympa, n’empêche.

— C’est des anges. Elles sont dans ma fac. J’ai vu que tu t’es bien entendu avec Caro !

— Ouais, vite fait. On a parlé cinq minutes.

Déjà étonné de constater qu’elle ne voyait pas ses efforts pour faire bonne figure, il se demandait dans combien de temps elle percerait son masque. Peut- être l’avait-elle déjà fait, il ne le sut jamais.

Pas même quand il la quitta devant son portail.

***

— Ça doit faire 10 minutes que t’es sur la même page. Tout va bien, Tris ?

Le physicien leva distraitement la tête en direction de Pascal, qui venait de l’interpeller. Comme d’habitude, ils se trouvaient à la bibliothèque pour réviser leurs notes. Sans leurs camarades, cette fois.

— Ouais, ça va. Juste un truc qui me prend la tête…

— Tu veux m’en parler ?

Hésitant, l’Avignonnais poussa un soupir, avant de se décider :

— Solène m’a fait rencontrer ses copines, samedi. Journée shopping. J’ai pas osé lui dire que j’ai trouvé ça bof.

— Ah, d’accord. C’est des choses qui arrivent. Tu devrais quand même lui dire franchement. Si tu commences à la mytho, il va partir mal, ton couple.

Tristan resta silencieux, ne sachant que répondre. Frustré et admettant qu’il n’y arriverait pas, il décida de finalement ranger sa feuille dans son trieur et posa son menton sur ses bras croisés sur la table. Son cerveau avait besoin de divaguer. L’en empêcher serait contre-productif.

— En parlant de Solène… repartit son camarade.

Il revint de ses songes, tournant derechef la tête vers lui.

— Ça m’a choqué comment elle a réagi la dernière fois devant Frédéric. T’en penses quoi, toi ?

Le jeune homme réfléchit quelques secondes avant de retrouver le moment dont il était question.

— Ah, oui… Bah, en même temps, Fred l’avait bien cherché. Nous balancer ses saletés à nous, pourquoi pas ; mais devant une fille, Solène, qui plus est… Il a pas beaucoup de jugeote, quand même.

— Non, c’était pas ça.

Tristan se redressa, intrigué.

— Genre t’as pas capté comment elle a réagi quand il a évoqué Nico. Ça a choqué tout le monde. Fred a pris sur lui de dédommager le patron du bar pour le verre qu’elle a cassé.

— Je te l’ai dit : il a pas arrêté de l’emboucaner. À force, elle a pété les plombs, voilà tout.

— Arrête de te foutre de moi. Solène, péter un câble pour si peu ? Du peu que je la connais, c’est clairement pas son genre. D’autant qu’elle dominait totalement Fred avant qu’il fasse tout basculer avec Nico. Non, je te dis, y a un truc pas clair. Crois-moi, faudrait que tu lui en parles.

— Genre t’es psy, toi, maintenant ?

— Tris… Le déni, ça va cinq minutes. Parle-lui la prochaine fois que tu la vois.

De nouveau, l’Avignonnais ne répondit rien.

Quand bien même il refusait de l’admettre, Pascal avait raison : le moment précis où Solène avait perdu son sang-froid, c’était celui où Frédéric, innocemment ou non, avait évoqué le Slave.

Il haussa les épaules. Après tout, quoi de plus normal que s’énerver en entendant le prénom de la personne qui nous a trahi alors qu’elle était celle qui comptait le plus à nos yeux ? Tristan pouvait parfaitement se mettre à sa place : si sa copine le trompait, il refuserait catégoriquement d’entendre parler d’elle.

D’autant plus si c’était avec un a… Il se racla la gorge.

— ‘Vais essayer, jeta-t-il.

Le Portugais hocha la tête, disant que c’était le mieux à faire.

Le jeune homme ne le contredit pas. Si c’était pour voir son argument démenti, ce n’était pas la peine. Il n’avait plus l’énergie nécessaire à ce débat pour l’instant.

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