Chapitre 34-2

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Partagé entre l’inquiétude et la contrariété, Tristan s’introduisit dans la gare, dont il savoura la chaleur ambiante. Soulagé, il dénoua son écharpe et commença à chercher sans cesser de se répéter en boucle le message de Patrice.

« Solène est à la gare. Je l’ai ramenée chez moi hier soir car elle n’était pas bien. Occupe-toi d’elle, s’il te plaît. »

Sans lui répondre, il avait tenté de contacter Solène, sans succès, avant de se précipiter à l’endroit indiqué.

Qu’était-il arrivé à Solène ? Avaient-ils fait une petite soirée entre eux qui avait mal tourné ? Connaissant leur passif, il ne put empêcher une braise de jalousie de lui ronger les entrailles.

Ses pensées noires tournèrent court quand Solène apparut dans son champ de vision. Allongée sur un banc, les yeux fermés. Patrice à côté, qui se leva en le voyant arriver.

– Je vais y aller, moi, lui dit Patrice. Prends soin d’elle, s’il te plaît.

– Merci pour tes précieux conseils. T’inquiète pas, je m’en charge.

L’Irlandais eut un rictus devant son mépris et s’éloigna sans répondre. Tristan le regarda s’éloigner d’un œil mauvais et se pencha sur Solène pour la secouer légèrement. La jeune femme émergea difficilement. En se redressant, la main appuyée sur le crâne, elle sonda les alentours.

– Ça va ? lui demanda-t-il, soucieux.

– ‘Connu mieux… marmonna-t-elle. Mal à la tête, et j’ai un goût horrible dans la bouche…

– Un goût horrible ? Comment ça ?

– T’as de l’eau, s’il te plaît… ?

Aussitôt, Tristan sortit une bouteille de son sac, qu’elle vida de moitié. Il la reprit et la vit prendre sa tête dans ses mains. Le jeune homme s’assit à côté d’elle pour lui passer le bras autour des épaules.

– T’es malade, mon ange ?

– Non… Une gueule de bois, je pense. Ça devrait passer dans la journée. Le jour de la rentrée, en plus… Ça tombe au poil, bordel…

– Repose-toi pour la matinée, au pire. Tu rattraperas les cours manqués.

– Non, ça va, je vais y aller. Tu devrais te dépêcher : t’as cours, toi aussi.

Il hocha distraitement la tête et la regarda fixement se masser les tempes.

– Patrice va bien ? osa-t-il.

– Oui. Pourquoi ? Ça t’intéresse ?

– Un peu. Je te demande, vu que vous avez l’air de vous éclater ensemble, le soir…

– Tristan, tu me fatigues…

Le cœur battant, il détourna le regard et croisa les bras sur son torse, blessé par son attitude de plus en plus distante.

– On s’est pas éclatés ensemble dans un bar, hier soir. Je me suis bourré la gueule toute seule dans mon coin et il est venu me chercher, voilà. T’es content ?

– Comment ça ? réagit le physicien. « Il est venu te chercher » ?

– Je l’ai appelé et il est venu…

– Quoi ? Tu l’as appelé, lui ? Et moi, je pue, c’est ça ? On est ensemble, je te rappelle ! C’est moi que t’aurais dû appeler !

– Oh ça va, lâche-moi, s’il te plaît ! C’est juste une histoire d’habitude : j’ai toujours fait appel à lui ou Éléonore en cas de problème, jusqu’aujourd’hui. On va pas en faire un drame…

– Si tu le dis… Et le soir où l’autre bouffon t’as trompée, t’as appelé qui en premier, du coup ?

La germanophone poussa un soupir de lassitude. Elle avait beau lui dire qu’elle avait contacté Éléonore en premier ce soir-là, Patrice resterait le nœud du problème par sa simple mention.

– Moi, poursuivit-il, exaspéré, je pense que t’as plus confiance en lui qu’en moi, et ça, c’est vexant, tu vois. Surtout au bout de deux mois de relation.

– Ça n’a rien à voir ! s’emporta Solène. Je me suis senti mal et j’ai appelé Padraeg par réflexe, voilà ! Tu crois quoi ? Qu’il m’a roulé une pelle en arrivant ? Mais putain, Tristan, grandis un peu, quoi, merde !

– Je crois rien du tout ! J’essaie juste de te faire comprendre que je suis là pour toi, que je me casse le cul à tout faire pour te rendre heureuse, mais ça marche jamais ! Et toi, tu te mets minable et le premier que t’appelles, c’est Patrice ? En fait, t’es amoureuse de lui, c’est ça ? Et moi, t’as toujours pas remarqué que je suis prêt à tout pour toi ? Et après, vous vous plaignez d’être toujours seules !

Il s’interrompit : Solène s’empara de son sac d’un geste sec et se leva d’un bond. Elle fut prise d’un vertige pendant quelques secondes, mais se ressaisit rapidement.

Tristan se leva à son tour.

– Où tu vas ?

– Devant ma fac ! répondit-elle. Ça caille dehors, mais au moins tu m’emmerderas plus avec tes caprices d’ado frustré !

Les joues chaudes, Tristan regarda autour de lui les têtes tournées dans leur direction et lui demanda d’attendre. Mais Solène n’entendit rien et se retrouva rapidement dehors ; il vit ses cheveux blonds danser au gré du vent. Les dents serrées, renfrogné, le jeune homme tapa le sol du pied en crachant de frustration.

***

– Tu ne manges pas, Tristan ? demanda Frédéric par-dessus son menu.

– Non. Pas faim.

Les bras croisés, Tristan fixait des yeux le menu de l’informaticien. Pascal et lui avaient décidé de le retrouver autour d’une table à la pause de midi. Agacé par son accrochage de ce matin, le jeune homme était ravi de revoir son nouveau mentor.

– T’es sûr ? Tu vas le regretter, cet après-midi.

– M’en fous.

Frédéric l’examina, puis parcourut le livret en quelques secondes avant de le poser.

– C’est encore elle ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?

– Elle m’énerve. On est ensemble, mais j’ai l’impression qu’elle en a rien à foutre. Hier soir, elle s’est bourré la gueule et au lieu de m’appeler, moi, elle a contacté Patrice.

– Ah ouais… Pas cool. Vous vous êtes engueulés ?

– Ouais. Elle m’a dit que je la fatiguais « avec mes caprices d’ado frustré ». Genre c’est toujours de ma faute, quoi, tu vois. Elle, c’est une sainte.

Le programmeur sourit, les bras croisés sur la table.

– Toutes les femmes pensent qu’elles sont des saintes. Qu’elles sont parfaites. Mais nous, les hommes, on est là pour les ramener à la réalité. C’est à ça qu’on sert, Tristan. Si tu veux que ta nana te respecte, tu dois lui faire comprendre ça.

– J’ai essayé. Mais elle s’est braquée direct.

– Peut-être parce que tu n’as pas été assez ferme. T’es un homme, Tristan. Un vrai, un dur. Il faut que tu le lui montres !

Le scientifique ne répondit pas. Le fait de méditer les paroles de Frédéric lui creusa un début d’appétit et il ouvrit son exemplaire. Le hacker esquissa un sourire.

Leur discussion fut interrompue pendant quelques minutes par le serveur qui vint prendre les commandes. Tristan choisit rapidement, puis les menus leur furent retirés.

– C’est bien beau, tout ça, reprit-il, mais comment je lui montre que c’est moi qui commande ?

– Impose-toi. Parle plus fort qu’elle et demande-lui de mieux te parler. Il faut lui montrer qui tu es. Lui montrer que t’es le chef et que tu te laisses pas marcher dessus. Elle doit comprendre que c’est pas elle qui fait la loi, tu captes ?

– Ouais, je crois…

– Tu crois ? Faut pas croire, faut être sûr ! T’es débile, ou quoi ? T’écoute ce que je te dis, au moins ? Vous êtes tous pareil, sans déconner !

Tristan écarquilla les yeux, stupéfait.

– Pardon ?

– Tu peux te casser si t’en as rien à foutre de ce que je dis ! Moi, je m’en fous, je connais les astuces et les filles sont toutes à fond sur moi ! Si t’as envie de rater ta vie sexuelle, alors soit, mais ne viens pas te plaindre !

– Oh, tu te calmes ? se défendit Tristan. Qu’est-ce que t’as à me parler comme ça ? Je suis pas ton chien, d’accord ? Et bien sûr que je t’écoute ! Pourquoi je reviens te voir, sinon ? C’est toi qui es débile ! Ça te prend souvent ? Franchement, pète un coup, ça ira mieux !

L’informaticien éclata de rire à sa grande surprise. Intrigué, il fronça les sourcils. Décidément, il avait du mal à cerner cet énergumène.

– Voilà, se réjouit-il. C’est comme ça qu’il faut réagir. T’as mieux compris, maintenant ?

Le physicien l’observa encore pendant un laps de temps, interloqué… avant de sourire à son tour.

– T’es vraiment fada, mec… dit-il. Ouais, je vois mieux ce que tu veux dire. Merci encore pour tes précieux conseils. Crois-moi, j’en fais bon usage. Enfin, j’essaie.

– Ça me fait plaisir, minot. Si ça t’aide, tant mieux, c’est tout ce que je demande. Tu verras : dans peu de temps, tu deviendras un homme, un vrai dur. Ta nana ne voudra plus te laisser filer.

Tristan fut secoué d’un petit rire. Détendu, impatient de mettre ces nouveaux conseils en pratique, il attendit l’arrivée des plats.

Pascal, qui était resté passif durant toute la conversation, avait les yeux rivés sur son téléphone. Il esquissa un sourire qui attira l’attention de Frédéric.

– T’as reçu une bonne nouvelle, gari ? s’enquit-il.

– Un rencard, lui répondit le Portugais.

– Ah, c’est bonnard, ça ! En fait, t’es un petit tombeur, toi aussi ! Tu nous raconteras ça, la prochaine fois, ça te fera un peu parler.

Pascal opina du chef et rangea son appareil alors que leurs assiettes arrivaient.

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