Chapitre 28

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Tristan toqua à la porte et Solène lui ouvrit quelques secondes plus tard. Il entra aussitôt après avoir récupéré ce baiser qui l’égayait toujours autant. Chaque jour, quand il y pensait, cela lui semblait trop beau pour être vrai.

Elle l’invita à poser ses affaires sur son lit et prépara le jus de fruit qu’elle lui avait proposé. Aujourd’hui, elle l’avait fait venir chez elle. Pour la deuxième fois. Mais, cette fois, et depuis maintenant un mois et demi environ, ils sortaient ensemble. Si la psychologue ne lui avait pas précisé le motif de cette invitation, il l’imaginait très bien et, tendu, avait du mal à contenir sa joie et son impatience.

Après qu’il se fut allégé, Solène lui donna sa boisson, dont il but aussitôt une première gorgée. Puis les deux étudiants s’installèrent sur le canapé.

Le jeune homme la scruta, interrogateur.

– Tu ne bois pas ? fit-il.

– Non, je n’ai pas soif.

Il but une autre gorgée en glissant un « ah bon » et glissa un regard timide dans sa direction.

– C’est vraiment sympa, chez toi, commenta-t-il. Ça m’aurait bien plu d’avoir un petit studio comme ça, à moi aussi. Mais bon, je dois me contenter de ma petite chambre, tu vois.

– Ce n’est pas le même investissement, nota-t-elle. Que ce soit le prix ou l’entretien. Parfois, j’aimerais bien avoir une chambre comme la tienne, histoire de n’avoir que deux pièces à nettoyer.

Il l’approuva d’un signe de la tête. L’envie lui avait momentanément pris de faire référence à Patrice, qui occupait lui aussi un studio, mais il se rappela l’avoir rayé de sa vie. Au lieu de cela, lui but une nouvelle gorgée.

Rongé par la curiosité et las d’essayer de meubler la conversation, il préféra entrer dans le vif du sujet. Même si la réponse lui laissait peu de doute, il voulait l’entendre de sa bouche.

– Alors ? Pourquoi tu m’as invité ?

– Faut qu’on parle, répondit-elle simplement.

– Pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

– À moi, rien. C’est un peu plus compliqué. T’inquiète pas, tu le sauras dans pas longtemps.

Tristan allait la presser un peu plus quand il entendit toquer.

– T’attends quelqu’un ?

Sans lui répondre, Solène se leva pour ouvrir. En apercevant cette nervosité dans ses mouvements, il comprit que ce prétexte qui le questionnait tant risquait de lui déplaire.

Lorsque sa belle fit pivoter la porte sur ses gonds, il sentit son cœur exploser, répandant une chaleur nocive dans sa poitrine. Ses traits se durcirent et, l’œsophage obstrué par la contrariété, il posa sur la table le verre presque vide.

Patrice. Qu’est-ce qu’il foutait ici, celui-là ?

Solène, guère surprise, le laissa entrer sans poser la moindre question… Qu’avait-elle en tête ?

Les nerfs plus tendus que tout à l’heure, il réalisa s’être fourvoyé sur les intentions de sa copine. Une pincée de déception vint assaisonner sa colère naissante.

– Tristan, reprit Solène, j’aimerais que Padraeg et toi creviez l’abcès. Je peux comprendre que ce que tu as appris t’ait fait du mal… Mais c’est le passé, et on n’a pas encore trouvé le moyen de le changer. Donc, pendant que je vais faire un tour dehors, vous allez discuter tranquillement, lui et toi. Et que tu le veuilles ou non, c’est pareil.

– Ouais, bougonna le physicien, mais moi, je lui ai déjà tout dit. Et il le sait, en plus. On n’a plus rien à se dire depuis fin décembre.

– Il est là. Tu peux le regarder et lui parler directement.

– Ah bon ? Je le vois pas.

La germanophone le vit dans son regard : il la fixait des yeux pour lui reprocher de l’avoir trahi mais aussi, surtout, pour éviter de regarder Patrice.

– Il peut aller se faire foutre, continua le jeune homme. Et il peut me dire ce qu’il veut, moi, je l’ai rayé de ma vie. J’ai d’autres amis, maintenant.

Et quels amis… songea Solène, désespérée.

– Tristan, intervint Patrice, tu ne trouves pas que c’est complètement disproportionné, ta réaction, là ? Je te l’ai déjà dit : on ne se connaissait même pas, à l’époque ! Et ça s’est limité à une nuit : on n’est jamais sortis ensemble ! On a toujours été sur la même longueur d’onde là-dessus. Je n’ai jamais eu la moindre arrière-pensée en te prodiguant mes conseils, sauf peut-être ne plus avoir à t’entendre de longue te plaindre de ton célibat.

Tristan fixait son verre pour s’efforcer de ne pas l’écouter, priant même pour qu’il renonce rapidement. Le son même de sa voix devenait insupportable.

Le pire, dans son monologue, c’est qu’il avait touché le point névralgique du problème sans même s’en rendre compte : leur nuit. Le « on n’est jamais sortis ensemble » ne signifiait rien pour lui. Il n’aurait d’ailleurs manqué plus que ça ! C’était précisément le détail qui l’énervait le plus : en partageant la couche de Solène, même le temps d’une seule nuit, son meilleur ami avait également réussi là où il échouait sans cesse.

Voilà le détail qui l’empêchait de lui octroyer son pardon.

Un détail, certes. Insignifiant pour les autres.

Mais essentiel pour lui.

Il n’aurait pas dû venir. La réticence de Solène à lui dévoiler le prétexte de son invitation aurait dû lui mettre la puce à l’oreille.

Décidément, ça ne changerait jamais : 20 ans et toujours aussi naïf…

– Tristan, ça devient vraiment puéril, maintenant, le tança Solène, agacée. Fais preuve de maturité, pour une fois, et explique-toi avec Padraeg ! On n’en peut plus que tu fasses la gueule à tout le monde !

Une chose qui l’énervait particulièrement chez Solène également : cette fichue manie qu’elle avait de l’appeler « Padraeg ». Comme pour se rappeler et afficher devant tout le monde, surtout lui, leur lien particulier, la proximité qu’ils partageaient depuis le lycée.

– Je le répète : je lui ai déjà dit tout ce que j’avais à dire ! s’emporta sèchement Tristan. Mais s’il est trop con pour l’imprimer dans sa tronche de vainqueur, je peux le lui répéter ! Pas de souci !

Il entendit l’anglophone soupirer en se tournant vers la psychologue.

– Je vais rentrer, Solène, lui dit-il. Ça sert à rien. Tu vois bien qu’il est buté. Je m’en vais.

– Non, tu restes ici ! Il va t’écouter et tout va s’arranger ! N’est-ce pas, Tristan !

Le regard mauvais qu’il lui lança la renfrogna, mais, en voyant Patrice rejoindre la porte, elle le rattrapa sans prendre le temps de chapitrer le scientifique. La jeune femme le somma de revenir, mais il refusa, au grand soulagement de Tristan.

– Merci d’avoir quand même tenté le coup, Solène, conclut l’Irlandais. À bientôt.

La porte se ferma.

La gorge nouée, le physicien observait encore son verre sans vouloir le finir. Solène se chargea de le vider dans son évier, puis se rassit à ses côtés. Il sentait le regard réprobateur qu’elle lui dardait, mais ne cilla pas.

– Tu veux que je te dise ? T’es débile, Tristan. Et j’essaie de rester polie. Tu sais qu’il a quand même fait l’effort de venir ici à pieds pour supporter ta mauvaise tête en se doutant que t’allais le jeter ? Et toi, tu l’as traité comme une sous-merde. Une « sous-merde », tu m’entends. Alors, votre belle complicité du lycée, oubliée, comme ça, d’un coup, pour une connerie qui date d’avant notre rencontre ? Tu sais qu’on a foutu des amitiés en l’air pour beaucoup moins que ça ? Réveille-toi, Tristan ! On est des adultes ! L’époque des « je te boude et on redevient copains après », c’est terminé !

Le jeune homme tourna la tête en direction de la fenêtre, brûlant d’être tranquille.

Retrouver sa chambre. Respirer. Souffler.

Pleurer.

– Tu as 20 ans, maintenant, Tristan, termina-t-elle. Tu es un adulte. Et il serait temps de te comporter comme tel. Sinon, tu finiras tout seul.

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