Chapitre 7

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La matinée étant terminée, le groupe d’amis s’était installé devant la cafétéria pour réviser. Depuis la rentrée, il avait eu le temps de nouer des liens avec ses camarades, surtout par le biais de Pascal. Vraiment sociable, ce jeune garçon, autant qu’il aurait voulu l’être à son âge. Leur groupe se constituait de six membres : eux-mêmes, un autre garçon et trois filles.

Deux des filles étaient allées acheter un café, Pascal une pâtisserie, tandis que Tristan préférait attendre midi. Cependant, Tristan notait qu’il était sûrement le seul à réellement essayer de se concentrer sur ses notes et de faire les exercices.

En face, ils étaient trois à lire les notes de Pascal pour s’entraider. Lui et l’autre garçon encadraient l’une des filles, Amanda, qui semblait préférer Pascal, à voir sa façon de rester près de lui et de chercher le contact. C’était ce que lui avait dit Patrice. Il en venait à compatir avec celui-ci, qui convoitait vraisemblablement Amanda et tentait de l’impressionner par son savoir en s’inspirant du cours. Cela lui valait les compliments de Pascal, qui l’écoutait attentivement – alors que Tristan le savait bien plus érudit –, mais pas les faveurs d’Amanda, qui s’appuya même sur son épaule.

Tristan sourit. Il y avait du progrès. Même sans être un séducteur confirmé, il aurait su à cet instant, à la place de leur camarade, que ce n’était plus la peine d’insister auprès d’Amanda. Il n’avait aucune chance. Son seul espoir reposait sur une grave erreur que commettrait Pascal, mais l’Avignonnais savait cette éventualité peu probable.

Il se replongea dans les exercices à faire pour la semaine prochaine quand quelqu’un s’assit près de lui. En levant la tête, il reconnut Sandra, sourire avenant aux lèvres.

— Toujours aussi sérieux, toi, hein, dit-elle. Tu y arrives ?

— Oui, bien sûr, répondit le jeune homme sans oser croiser son regard. On peut le faire ensemble, si tu veux.

— Avec plaisir ! C’est un peu compliqué, je trouve, la thermo… Je comprends rien à ces histoires de volume molaire et compagnie.

— T’inquiète, c’est fastoche !

En même temps qu’il fit l’exercice, le physicien s’efforça tant de lui rappeler les notions apprises en cours que celles qu’il connaissait personnellement. L’affaire prit quelques minutes, au bout desquelles la jeune femme, ravie, le remercia de l’avoir aidée à comprendre, puis lui demanda de continuer, son épaule contre la sienne. Le mélange d’embarras et d’euphorie dans lequel ce contact le plongeait l’empêcha de savoir quoi faire et répondre. Sa main sembla tourner toute seule la page de son cahier.

— Tout va bien, Tristan ? fit Pascal. Fais gaffe, Sandra, son cœur est déjà pris, je te préviens.

— Non, sans blague ? réagit celle-ci. T’as une copine, toi ?

Tristan ne sut comment il devait prendre cette question, mais choisit de seulement répondre à l’affirmative.

— Elle est jolie ? revint Sandra.

— Une bombe, fit Pascal. C’est un mec fidèle, mais on sait jamais. Je vous surveille, vous deux.

— Tais-toi, Pascal, grogna Tristan.

Le Portugais ne répondit rien et se contenta de rire, imité par Amanda. Tristan eut du mal à se reconcentrer. Pourquoi Pascal l’embarrassait-il comme ça ? On aurait dit que ça l’amusait. D’autant plus qu’il devait admettre que Sandra lui plaisait.

Au bout de quelques minutes, la troisième fille proposa de faire une pause à la cafétéria et tous remballèrent leurs affaires. Tristan s’interrompit à contrecœur au milieu d’un exercice, se promettant de le terminer dans la journée. Sur le chemin, Pascal l’approcha :

— Soirée samedi, chez moi. Tu es invité, bien sûr. Tu viens, cette fois ? L’Avignonnais le regarda, puis fixa le sol pendant quelques secondes.

Une soirée ? Cela signifiait qu’il ne pourrait ni réviser, ni faire ses exercices. Il lui faudrait donc terminer en priorité son exercice actuel dans l’après-midi pour en être débarrassé. Mais était-ce bien raisonnable de consacrer son temps à des soirées plutôt qu’à ses cours ?

L’autre jour lui revint en mémoire, avec le souvenir de cette frustration brûlante qui l’avait éreinté en apprenant l’occasion qu’il avait laissé passer. Plus jamais il ne voulait vivre ça.

Et puis d’ailleurs… Il avait dit « samedi », non ? Pourquoi se prendre la tête ?

— Ouais.

— Ah ! Génial ! Là, tu me fais plaisir, frérot !

Il lui donna une tape sur l’épaule, puis rejoignit les autres, déjà entrés dans la cafétéria. Tristan entra à leur suite.

***

Pascal l’avait invité à l’appeler en cas de problème, mais ce ne fut pas nécessaire. L’adolescent vint lui ouvrir quelques secondes après qu’il eut toqué. L’ambiance était déjà animée, le studio plein. Son camarade lui apprit qu’il était le dernier arrivant sans lui laisser le temps de le supposer.

— Tu peux laisser tes affaires sur le canapé, on s’en fout, lui indiqua-t-il.

Tristan suivit sa directive, puis vint à la rencontre du groupe, qui comptait huit personnes. Un coup d’œil rapide lui indiqua l’absence de Sandra, qui lui donna un pincement au cœur. En revanche, Amanda était bien là.

— Les gars, les interpella l’hôte, vous connaissez Tristan, je suppose. Et pour ceux qui ne le connaissent pas, je vous présente Tristan. C’est mon collègue de fac.

Tous le saluèrent et Tristan le leur rendit timidement.

Puis il s’incrusta dans le groupe, poussé par son camarade. Alors qu’il les avait vaguement entendus parler des enseignants et de leurs dernières soirées en ville, cette fois ce fut lui qui devint leur centre d’intérêt. Devant leur interrogatoire, il leur raconta vivre à Allauch, être né à Avignon, leur décrivit son attrait pour les sciences, surtout la physique, ses ambitions…

Ce fut au moment d’aborder ses loisirs et ses expériences sentimentales et sexuelles que la gêne le gagna. Pour la forme, il décida de romancer le semblant d’histoire qu’il avait eue avec Éléonore, dans les bras de qui Solène avait voulu le pousser, en prétendant que leur relation s’était terminée prématurément. Cela lui attira la compassion et les encouragements de son audience : la prochaine sera la bonne – ce qu’il espérait bien.

Il préférait cela à la moquerie qu’il redoutait. Comment leur expliquer qu’il était… ?

Lorsque Pascal proposa un quiz musical pour animer la soirée, sa tension retomba. L’attention des autres pèserait moins sur lui, mais en plus il se débrouillerait sûrement bien au jeu grâce à ses connaissances musicales.

La suite lui donna raison en partie, car il reconnut quelques-unes des musiques de Pascal, mais eut plus ou moins de succès avec les autres invités selon la personne. Par exemple, l’un des garçons avait des goûts si éloignés des siens qu’il n’en avait trouvée aucune, mais avec l’une des filles, Valérie, ce fut l’inverse à deux musiques près. Lors de son passage, il arriva que seule une personne identifie l’une de ses musiques, et même Pascal ne fit pas un sans- faute.

Puis il suffit d’une musique pour faire démarrer une nouvelle discussion entre quelques-uns des invités, ce qui créa des groupes de conversation. Valérie, qui l’avait remarqué lors de son propre passage, l’approcha immédiatement, pendant que Pascal s’isolait avec deux filles, dont Amanda.

— Belle performance, fit-elle. Tu nous as pas dit que t’aimais la musique.

— J’en écoute de temps en temps, répondit-il, je suis pas mélomane comme Pascal.

— Pascal, c’est un extraterrestre, te compare pas à lui.

Sa boutade les fit rire tous deux. La glace brisée, ils s’assirent sur le canapé après avoir décalé quelques affaires laissées dessus et prirent des amuse- gueules pour discuter.

Elle se présenta comme une étudiante à la faculté de lettres, en formation d’étude du langage. À partir de là, fort de ses leçons, Tristan lui demanda qu’elles étaient ses ambitions dans la vie et la discussion, tel un avion, fut lancée. Le vol dura toute la soirée, Tristan voyait à peine Pascal se rapprocher aisément d’Amanda, qui était restée avec lui. Cerise sur le gâteau, Valérie, jeune femme fluette aux cheveux châtains coupés en carré, était attirante.

Elle lui plaisait.

Était-ce bien, était-ce mal ? À cet instant, peu lui importait.

Il s’autorisa à oublier Solène. Juste ce soir.

Valérie lui raconta ses déboires amoureux et lui confia ne rien rechercher de sérieux pour le moment. Il fut ravi de comprendre qu’elle était célibataire.

Minuit passa rapidement. Vers une heure du matin, Valérie, harassée, décida de s’en aller. Elle salua les quatre personnes qui restaient avant de rejoindre la porte d’entrée.

Le jeune homme la raccompagna à l’entrée. Sourire radieux aux lèvres, elle s’approcha pour déposer un baiser sur sa joue. Sentant son cœur bondir, Tristan réagit aussitôt :

— On pourra continuer la discussion plus tard, si tu veux. Tu as un numéro ?

— Bien sûr.

Tristan lui confia son appareil pour la laisser le noter, puis lui envoya un message, qu’elle reçut. Enfin, après un dernier « au revoir », il la laissa partir.

Tristan se retrouva seul. L’avion avait atterri, un peu trop tôt à son goût. Mais, au moins, il avait ses coordonnées. L’Avignonnais retourna s’asseoir sur le canapé, mais se sentit soudainement de trop. Pascal était occupé à caresser le dos d’Amanda blottie contre lui et les deux autres invités discutaient, coupés du monde. Il tint quelques minutes, sortit son téléphone et croqua quelques amuse- gueules, avant d’enfin quitter les lieux à son tour après avoir salué tout le monde.

La fraîcheur de la nuit automnale lui parut tiède, le chemin du retour lui parut court. Une fois rentré, il ignorait s’il avait trahi Solène, il ignorait si Pascal avait fini la soirée seul ou dans les bras de cette fille. Sa certitude, c’est qu’il avait passé une bonne soirée en compagnie d’une jolie fille, qui l’avait trouvé intéressant… et qu’il allait sûrement revoir.

Sous les draps, la chambre plongée dans la pénombre, ce fut le visage lumineux de Valérie qui lui apparut tel un songe, à qui il rendit son beau sourire. Puis ce fut son corps qui apparut dans son esprit, qu’il s’imagina enlacer, embrasser, aimer… Enfin une chaleur extatique enroba son corps.

Le bonheur passé, son souffle retrouvé, il se retourna sous ses draps et poussa un profond soupir avant de s’endormir.

***

Adossé dans le couloir comme à son habitude, avec un livre entre les mains, Tristan termina son paragraphe avant de refermer son livre pour ressortir son téléphone.

Encore aucune notification. Il ouvrit sa conversation avec Valérie et lut de nouveau son dernier message. Toujours le même.

On était lundi. Elle n’avait pas donné suite. Profond soupir.

Il verrouilla son téléphone et le rangea derechef, se promettant de lui envoyer un dernier message avant de laisser tomber. Puis reprit son livre et poursuivit sa lecture. Mais il n’avait rien retenu du paragraphe précédent, ni de ceux d’avant…

Frustré, le jeune homme rangea définitivement son livre et posa sa tête contre le mur. Visiblement, son cerveau avait envie de divaguer, il n’allait pas le forcer à se concentrer.

Alors qu’il tentait de se remémorer ses notes, sa mémoire lui remettait devant les yeux les images de la soirée et le visage de Valérie, dont le sourire qui l’avait si enchanté ce soir-là lui donnait maintenant un pincement au cœur. Elle était clairement intéressée, lui avait donné son numéro sans hésiter, et même avec plaisir. Pourquoi ne lui répondait-elle plus ? Il ne voyait pourtant pas où il avait commis un faux pas…

Un juron sortit de sa bouche alors que Pascal, là aussi comme d’habitude, le rejoignait. Beaucoup plus vif, il le salua avec son grand sourire.

— Alors, t’as kiffé la soirée ?

— Oui, c’était pas mal. Par contre, Valérie ne me répond pas, je comprends pas.

— Ah bon ? C’est celle que t’as draguée ?

— Je l’ai pas draguée… mais oui, celle-là. Je lui ai envoyé deux messages, pas de réponse. Je pense la relancer encore avant de laisser tomber…

— Ouais, fais-le. Elle te teste, pour voir si t’es persévérant, si tu laisses pas tomber au premier obstacle. T’inquiète, ça va le faire.

— Et toi ? lui retourna Tristan après avoir opiné du chef.

— Kiffé à fond ! Pour ça que je fais des soirées, après tout. J’ai passé la nuit avec la mienne, puis elle est restée jusqu’à dimanche soir. On a fait connaissance et on se revoit bientôt. Comme quoi, c’est mieux le samedi.

Tristan força un sourire.

— Donc, ça y est, t’es maqué ?

— Non, on couchera ensemble de temps en temps, c’est tout. Rien de sérieux.

Nouvel hochement de tête. Il ne savait si c’était mieux. Une copine ou une partenaire sexuelle régulière… Serait-ce mieux d’envisager ce genre de relation avec la fille ? Mais quel intérêt de fréquenter une fille juste pour le sexe ?

Il évacua le problème d’un revers mental de la main. De toute façon, à bien y réfléchir, cette fille n’était pas son genre.

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