Chapitre 8-1

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Ce soir, c’était Halloween. La soirée de Patrice.

Tristan, avait finalement pu revoir Valérie, mais la rencontre s’était moins bien passée. Il n’avait pas trouvé grand-chose à lui dire sans sortir du sujet des cours. La jeune femme n’avait plus répondu à ses relances ; il s’était fait une raison.

Il arriva vers 18h au studio, transformé en manoir abandonné. La décoration, œuvre de Patrice et Solène, était presque achevée.

Le plafond était truffé de fausses toiles d’araignée dont certaines hébergeaient même des figurines de tarentules. Celui du couloir était équipé d’une rangée de chauves-souris au réalisme bluffant, avec de petits yeux rouges intimidants, prêtes à fondre sur leurs proies. Elles s’étaient même animées lorsqu’il était entré, à sa grande surprise.

La colonie d’araignées éparpillées un peu partout dans la pièce, jusqu’au balcon, magnifiait un peu plus le simulacre.

Toutefois, la première chose qu’on remarquait en entrant était le mannequin pendu au lustre. Soigneusement maquillé pour lui donner le plus de réalisme cadavérique possible, son teint était pâle, ses yeux injectés de sang, ses veines parfaitement dessinées sur son faciès horrifié de voir la mort.

La table, décorée de trois chandeliers déjà allumés, était couverte de bougies dont le dégoulinis de liquide rouge cachait partiellement la cire. Placées dans des verres, elles ressortaient du bord des crânes qui les abritaient.

Et ce, sans oublier la commode avoisinant le lit. Côte à côte, une citrouille et un navet déjà sculptés se partageaient la place comme de vieux amis. À l’opposé, le secrétaire présentait un alignement de bocaux contenant différents organes humains, entourés de figurines de rats, de crapauds et de serpents.

Enfin, les murs étaient constellés de traces de mains ensanglantées dont certaines s’allongeaient jusqu’au sol.

En complément, une musique d’ambiance sortait des enceintes posées sur la commode.

Ébahi, il rejoignit Patrice dans la cuisine, occupé à la concoction d’une mystérieuse mixture.

– Vous avez déjà fait tout ça… ? demanda-t-il.

– Ça va plus vite à deux, lui fit remarquer Patrice.

– Et, là, tu fais quoi ?

– Je prépare un truc pour les murs.

– Ah, les traces de mains ensanglantées, c’est pas assez ?

– Non !

Le sourire de son meilleur ami était drôlement assorti à la blouse blanche de chirurgien maculée de faux sang dont il était attifé.

Solène le salua chaleureusement. Elle avait décidé de revisiter le moyen-âge avec sa robe en fausse laine assortie à ses guêtres, ses bracelets et son bandeau de faux cuir autour de la tête, le tout embelli par la dague fixée à sa ceinture. Une « skjaldmö, ou guerrière viking », précisa-t-elle.

– Pourquoi t’as pas pris de couteau ? lui demanda-t-elle en voyant son costume.

– Je trouvais ça un peu dangereux, répondit-il en haussant les épaules.

Il entendit Patrice soupirer depuis la cuisine.

– T’es trop prudent, Tristan… Au moins un faux couteau, non ?

Tristan, déguisé en Michael Myers avec son masque juché sur le sommet du crâne, eut un faible sourire.

– On sera combien, ce soir ? s’enquit-il.

– Avec Éléonore qui va arriver avec sa pote et les tiens qui ne vont pas tarder… répondit l’anglophone. On aurait dû être plus nombreux, mais parmi mes potes que j’ai invités, un seul a pu se libérer, et Solène ramène Éléonore, comme d’hab’. En gros, on sera huit.

Tristan hocha la tête, puis s’assit avec Solène sur le canapé.

– Comment ça va, toi ? demanda ce dernier. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus.

– Oui, je sais. Désolée… Je suis très prise par ma filière de psychologie. C’est déjà difficile de se voir avec Éléonore, et Padraeg est le plus simple à côtoyer. Je ne peux pas donner de mon temps à tout le monde. Mais je suis contente de te revoir ce soir, mon Tristan !

Celui-ci lui assura en souriant que ce sentiment était réciproque, puis s’intéressa à son séjour en Allemagne. Elle lui décrivit son expérience avec la même emphase que pour Éléonore et Patrice, qui nota silencieusement qu’elle prenait soin d’omettre le passage de la séduction en allemand. Toujours la même délicatesse. Avait-elle mis les choses au clair pendant qu’il était parti découvrir ses racines ? Elle prenait toujours trop de gants avec lui…

L’interphone coupa la conversation. Solène, partie décrocher, déverrouilla l’accès de la résidence à Pascal, qui arrivait avec Frédéric. En entendant ces noms, Tristan sentit son cœur partir d’un coup sec.

Solène alla ouvrir la porte quand la sonnette retentit. Comme à l’arrivée de Tristan, les chauves-souris se mirent aussitôt à battre frénétiquement des ailes en poussant un cri sinistre qui fit bondir les deux arrivants.

– Entrez, les invita Solène en riant. Ne vous inquiétez pas : ce sont des fausses. Elles ne vous attaqueront pas !

Curieux, Pascal, qui avait endossé la panoplie complète du bourreau, entra le premier et aperçut les chauves-souris avant de découvrir le reste de la décoration, surpris.

– À ce que je vois, c’est pas de la rigolade, cette soirée ! s’exclama-t-il.

– En effet, confirma Solène, Padraeg a toujours été très soigneux pour rendre ces soirées immersives au maximum.

– Ça se voit. Par contre, le cri des chauves-souris, c’est pas ça du tout, hein…

– On s’en fout, non ? On voulait un bruit sinistre, on est servis !

– Fais pas attention, intervint Tristan. Il adore ramener sa science quand l’occasion se présente. Mais à part ça, c’est un super pote… Comment t’as fait pour venir jusqu’ici avec ce truc sur le dos, toi ?!

L’apparition de Frédéric dans le costume massif d’un monstre jaune tentaculaire au sourire inquiétant l’avait cloué sur place. À peine entré, le développeur retira son masque et prit une grande bouffée d’air.

– J’aurais pas dû enfiler ce truc si tôt… soupira-t-il, la langue pendante. Quel débile je fais.

Pascal, Solène et Patrice furent pris d’un rire, puis Frédéric fut amusé de constater que, au vu de leur tenue, ce soir, on jouait le jeu jusqu’au bout.

– Oui, réitéra la jeune blonde. « Les aménagements du studio, c’est la moitié du décor ; le reste, c’est les déguisements. » C’est le slogan officiel des soirées Halloween, inventé par Padraeg lui-même !

– Toi, je t’aime bien ! rit Frédéric.

Tristan rit jaune. Ce premier contact était positif, mais il était sûr que les choses allaient très vite se dégrader. Depuis que son « ami » était entré, il attendait de le voir lâcher son venin sur Solène. Au souvenir de la causticité de son panégyrique, le voir aussi agréable avec la fille de ses rêves le laissait pantois.

Ce dernier s’approcha à grand-peine de Patrice, emportant quelques toiles d’araignées sur son passage, pour échanger une poignée de main.

– Salut. Alors, c’est toi, Patrice. Ravi de faire ta connaissance. Paraît que t’es un type génial. Je vais vérifier si c’est vrai.

– Génial, je suis pas sûr, répondit l’Irlandais, mais j’essaie de l’être.

– C’est déjà bien, nota Frédéric avec un clin d’œil complice.

Il prit ensuite congé pour rejoindre Pascal, qui s’était assis à côté de Tristan sur le canapé après avoir posé leurs bouteilles sur la table, déjà chargée en victuailles.

L’Irlandais, qui avait terminé la concoction, se mit enfin à asperger ses murs de faux sang, déclenchant l’hilarité des nouveaux arrivants. Peu de temps après, Solène laissa entrer Éléonore et Natasha. Les deux femmes, surprises elles aussi par les chauves-souris, longèrent le couloir et leur apparition coupa le souffle aux trois garçons alignés sur le fauteuil.

Éléonore était d’une élégance sinistre dans sa belle robe noire aux manches évasées, complétée par son serre-tête à cornes et sa fourche logée à la ceinture.

Natasha, qui était responsable de l’apnée subite du trio de mâles, avait été la plus inspirée. Une coiffe noire tombant sur les épaules, laissant s’échapper une cascade de boucles blondes, assortie à une robe splendide. Robe noire, descendant jusqu’aux chevilles, dont la fente sur le côté laissait voir sa cuisse aux plus intéressés. Sa poitrine couverte par ses cheveux était mise en valeur par le décolleté de la robe.

Toutefois, l’attention de Tristan, le plus prude du groupe, ne s’y attarda pas, et préféra se perdre dans cette paire d’iris bleu électrique qui captait l’attention.

Patrice, qui finalisait son affaire, se laissa lui aussi distraire par la nouvelle venue. Il l’examina des pieds à la tête, un air hébété sur le visage.

– Salut. Je suis une amie d’Éléonore. Je m’appelle Natasha.

– Bienvenue dans l’antre, Natasha. Moi, c’est Patrice. Votre gourou de ce soir. Nice to meet you.

Elle lui retourna la politesse et il l’invita à se mettre à l’aise, avant de retourner à sa besogne.

– Merci, fit-elle. Dis donc, quelle gentillesse… C’est qu’on est bien traité ici. C’est mon décolleté qui fait cet effet-là ?

Cette remarque déclencha une petite vague d’hilarité, dont l’intensité fut accrue par la réponse affirmative de l’organisateur. Puis, après une dernière sonnerie, Patrice, maintenant libre, invita Solène à se reposer pour aller ouvrir au nouveau venu…

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