Chapitre 49

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Debout devant l’entrée du campus, Solène fit défiler sur son écran sa conversation avec Nicolas. Elle lui avait donné rendez-vous après les cours, vers 16h, pour lui dire « quelque chose d’important ». Contrite, elle regardait les messages sans les lire, captant tout juste certains mots qui firent remonter quelques souvenirs savoureux, source de nostalgie.

Une main sur son épaule la fit sursauter.

– Wow ! s’exclama Nicolas. Désolé, kokhana, je voulais pas te faire peur. T’as le droit de me taper. Profites-en, c’est exceptionnel.

Elle esquissa un sourire mi-figue mi-raisin et rangea son téléphone en engageant la marche à ses côtés.

– Alors ? s’enquit-il. C’est quoi, ce « quelque chose d’important » ? Juste pour rappel, tu sais ce que je pense du mariage…

– Ce n’est pas pour ça.

Il se tut. Le ton catégorique de Solène lui fit hausser les sourcils.

– Nicolas, je… C’est mieux qu’on ne se voie plus…

Le slave arrêta net sa marche, son visage se figea, son sourire s’évanouit.

– … De quoi ?

La germanophone ferma les yeux, son cœur entra en transe. Cette discussion s’avérait plus pénible que prévu. Elle releva la tête et le regarda dans les yeux au prix d’un énorme effort.

– Je préfère qu’on arrête ici. Qu’on se sépare.

Nicolas la fixait, toujours aussi incrédule.

– Je te quitte, Nicolas.

Électrochoc.

– Attends… Ça veut dire quoi, ça ? Comment ça, tu me quittes ? On n’est pas bien, tous les deux ? Qu’est-ce qui va pas ?

– Je ne le sens pas… Je ne suis pas bien, ces temps-ci.

– Pourquoi ? J’ai fait quelque chose de mal ? Trop de blagues, peut-être ?

– Non, pas du tout. Ça n’a rien à voir avec toi. C’est moi, en fait… T’es génial et, avec toi, je me sens totalement heureuse. Mais ce n’est pas la bonne période pour qu’on sorte ensemble, voilà.

L’Ukrainien soupira et se passa la main dans les cheveux.

– Depuis quand ?

– Quoi ?

– Depuis quand ça te travaille ?

Solène hésita et déglutit en se tordant les mains.

– L’année prochaine, je serai en Allemagne pendant un an, pour un Erasmus. Mon dossier a été accepté. Et les relations à distance… voilà.

Nicolas la fixa pendant quelques secondes, les sourcils froncés.

Perplexe.

– Bon, ça te fait une bonne nouvelle dans l’histoire, félicitations. Je te comprends, moi aussi je préfère fuir les relations à distance. Mais… y a pas autre chose ? Je commence à bien te connaître, Solène.

La jeune blonde ferma les yeux, une boule dans la gorge. C’était évident que Nicolas allait détecter cette autre raison qui n’osait pas sortir.

Elle prit une inspiration.

– Pour être honnête… La tentative de suicide de Tristan y est aussi pour quelque chose…

Le cinéphile émit un rire et commença à faire les cent pas.

– Je me sens trop coupable, développa-t-elle. J’ai l’impression de ne pas avoir le droit d’être avec toi alors qu’il a failli se foutre en l’air par ma faute…

– Quoi ? Ça va être de ta faute s’il est douillet, maintenant ?

– Ça ne te fait rien de savoir qu’il a voulu se tuer à cause de nous ? Ça ne te perturbe pas, la nuit, quand on couche ensemble ?

– J’y pense pas. Après, peut-être que c’est plus facile pour moi car je n’ai jamais eu de vraie affinité avec lui. C’est possible. Et, toute façon, pour le peu de contact qu’on a eu, lui et moi, très franchement… j’en ai pas grand-chose à faire, vois-tu… Sans vouloir te heurter.

– Comme tu dis, c’est plus facile pour toi. Moi, je connais Tristan depuis deux ans. Je sais comment il fonctionne. Et je suis sensible à ce qui lui arrive. Ce n’est pas pour lui que je veux arrêter.

– Un peu, quand même, non ? C’est un cas de conscience que tu fais, là. Pas besoin de s’appeler Freud pour le piger.

Solène ne répondit pas. Gênée, elle détourna le regard en se demandant comment s’en sortir.

– Bref… soupira Nicolas. Et pourquoi t’attends qu’on soit à quelques semaines des partiels pour me le dire ? Tu crois pas qu’il aurait mieux valu m’en parler un peu avant ? Ou même après ?

– Je sais… reconnut-elle, penaude, je choisis mal le moment…

Un silence pesant plana entre eux. Nicolas la fixa des yeux pendant qu’elle observait les gens aller et venir. À 20 ans, c’était sa rupture la plus embarrassante. Elle aurait préféré se trouver n’importe où sauf ici. L’impression d’être une enfant à qui on passait un savon l’incommodait beaucoup.

– Donc, c’est décidé ? Tu veux qu’on arrête ?

Le regard de la jeune femme revint sur lui. Elle hocha la tête en prononçant un « oui » discret. Le slave la regarda longuement, muet. Comme s’il l’examinait. Après tous les films de robots qu’ils avaient vus ensemble, ce regard scrutateur lui procura une sensation étrange.

– Très bien… capitula-t-il. Comme tu voudras.

Il leva la main en signe d’au revoir et tourna les talons.

La psychologue le regarda partir sans bouger. Elle crut sentir son cœur brûler et diffuser une chaleur suffocante dans sa poitrine.

***

Allongée sur son lit, elle soupira lorsque l’on toqua à la porte, mais fit un effort pour se lever. Il l’avait prévenue de son arrivée, après tout. Pieds nus, elle ouvrit à Patrice, qui s’aventura timidement dans l’appartement. L’étudiante ferma la porte d’un geste las.

– Je te dérange pas, j’espère ?

– Bah non. Je t’attendais.

– Je veux dire… t’aurais peut-être voulu que je passe un autre jour ?

Elle comprit lorsqu’il se passa la main sur les pommettes. C’est vrai… elle avait oublié de laver l’écoulement de son maquillage.

– Je sais, je suis moche à voir, ce soir.

– J’ai pas dit ça. T’as eu un problème, aujourd’hui ?

– Non… ‘Juste quitté Nicolas. Mais, sinon, rien du tout. J’pète la forme.

– Ah…

Solène retourna s’asseoir sur son lit et l’invita à prendre place sur sa chaise de bureau.

– Pourquoi tu voulais me voir ?

Il hésita.

– Quand Tristan s’est retrouvé aux urgences, j’étais énervé. J’aurais pas dû t’accuser, ni t’insulter. Et puis… j’aurais pas dû autant persister à te caser avec lui. J’ai tellement voulu l’aider que j’en ai oublié tes sentiments. Et en effet… ça ne me ressemble pas. Pour tout t’avouer, je l’ai aidé car je n’en pouvais plus de l’entendre pleurnicher sur son sort. J’espérais que s’il arrivait à t’intéresser, il me ficherait la paix… Dans l’histoire, je n’ai vu que Tristan. Et pas toi. C’était purement égoïste de ma part. T’avais raison pour tout. Un mois après, ça fait long, je sais… mais, comme on dit, mieux vaut tard que jamais… Je te demande pardon.

Solène fixa le vide pendant un long moment. Puis poussa un soupir.

– C’est bon… C’est oublié…

– Pardon ?

– On oublie. C’est du passé. Das ist Schnee von gestern[1].

L’Irlandais haussa les sourcils, interloqué.

– Mais merci de t’excuser, quand même, continua-t-elle, émue. Ça me touche…

Patrice la rejoignit sur le lit et ils se firent une embrassade.

– Contente que tu aies enfin compris que Tristan et moi, ça ne collait pas. C’est juste dommage qu’il ait fallu en arriver là…

– Oui… Enfin… on a décidé ensemble de lâcher l’affaire. Il a conscience d’avoir plus perdu que gagné là-dedans. Maintenant, il essaie de passer à autre chose. Je l’aide à draguer d’autres filles… D’ailleurs, ne nous en déplaise, l’intervention de Frédéric lui a fait du bien. Il paraît beaucoup plus sûr de lui et ça se ressent sur les résultats : il devient de plus en plus autonome. Mais il est moins « gentil » avec les femmes. J’essaie de le recadrer, mais son collègue a bien déteint sur lui. Je l’entends parfois ressortir ses blagues sexistes, par exemple. Et, comme ça marche, ça l’encourage.

– Hm… Bah, au moins, sa période « Frédéric » aura eu un petit truc d’à peu près positif sur lui. Il le voit encore ?

– Non. Ni lui, ni Pascal. Il m’a raconté pour Pascal. C’est le fait qu’il t’ait draguée dans son dos qui a tout déclenché. Mais, au moins, ça l’a fait réaliser à quel point ils étaient néfastes pour lui.

– Une bonne chose… susurra-t-elle. Même si ça ne réparera pas les dégâts…

Solène sentit son moral remonter doucement. Si recoller les morceaux leur demanderait du temps, le fait d’être officiellement réconciliés leur faisait du bien à tous deux. L’anglophone s’éloigna, un sourire soulagé aux lèvres.

– Désolé pour Nicolas, par contre…

– Y a pas de quoi. C’est moi qui l’ai quitté.

– Oui, mais… t’étais heureuse, avec lui, non ?

– Ben voyons… T’es déçu qu’on ne soit plus en couple, finalement ? le taquina-t-elle.

Gêné, il évoqua les partiels pour changer de sujet.

– Ça va, assura-t-elle, y a pas de souci à se faire : je vais tout arracher. Il va bien falloir, en plus, sachant que j’ai obtenu mon Erasmus en Allemagne…

– Hein ?!

– Oui ! Pour la deuxième année, je repars à Stuttgart. Mon dossier a été accepté. Je suis d’autant plus contente que le contexte est parfait : j’ai besoin de prendre l’air. Et cette fois, ce sera sûr : les films et les livres en allemand, ce ne sera plus un problème pour moi !

– Ah, bah c’est cool, alors.

Sa mine faussement réjouie ne leurra pas Solène, qui passa sa main sur son bras d’un geste réconfortant.

– Ça va, Padraeg. Une année, ça passe vite. Sois content pour moi, plutôt !

– Je suis content. Mais… déjà que Tristan va se barrer à Toulouse… voilà, quoi. Vous voulez tous me pourrir la journée, c’est ça ?

– Oh, mon pauvre petit farfadet… Ne t’en fais pas, va. On se fera un Skype de temps en temps, d’accord ?

– Ouais…

Elle le serra contre lui en riant comme une enfant et lui frictionna le dos.

Le jeune homme se blottit fortement contre elle, mélancolique. Il entrevit l’espace d’un court instant une partie de la détresse qu’avait pu éprouver Tristan, l’autre soir. Ses deux meilleurs amis qui partaient à plusieurs centaines de kilomètres de lui au même moment, dont un pour une durée indéterminée…

Cela faisait bien longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi seul.

[1] Allemand : C’est de l’histoire ancienne (littéralement : C’est de la neige d’hier)

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