Chapitre 50

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Les deux étudiants descendirent du bus en dernier. Solène récupéra rapidement sa valise dans la soute avant de pénétrer dans l’aéroport de Marignane, flanquée de Patrice. Comme son avion ne décollerait pas avant environ une demi-heure, ils firent halte à la salle d’attente.

— C’est gentil de m’accompagner, Padraeg. Merci.

— C’est normal. Tu croyais vraiment que j’allais te laisser filer toute seule ? Faut bien quelqu’un pour t’embêter jusqu’au bout.

— C’est juste ! rit-elle. Merci d’être aussi dévoué !

Le soleil et les vacances étaient les bienvenus pour Solène.

Trois mois étaient passés depuis sa rupture avec Nicolas, qui était sorti de leur vie. Solène écoutait seulement ses conquêtes parler de lui à l’université. Le naturel était revenu au galop : l’Ukrainien avait repris la chasse. Sur le coup, cela la vexa. Mais le temps, artisan très compétent, avait vite résorbé ses blessures et, avec le recul, elle conclut même qu’il ne faisait que se consoler à sa façon de l’avoir perdue. Conviction que Patrice ne partageait pas. Elle put ainsi passer ses examens sereinement et valider sa première année, tout comme ce dernier.

Celui-ci, d’ailleurs, lui apprit avoir prévu de retourner voir sa correspondante irlandaise, qui pourrait un jour le rejoindre à Marseille.

Début juin, Éléonore lui avait annoncé son départ pour l’armée de terre, où elle avait décroché un poste de géographe. Enthousiasmée par une permanence à laquelle elle avait assisté avec Natasha et encouragée par les soldats, elle avait postulé immédiatement. Abasourdie et inquiète, Solène comprit vite que sa décision était prise et se résigna.

Enfin, en consultant l’heure, Solène décida de se lever pour rejoindre la salle d’embarquement, imitée par Patrice.

— T’es sûre que tu reviens l’année prochaine ? insista ce dernier.

— Mais oui ! rit-elle. T’inquiète pas, grand fou. Dans mon cœur, je reste Française. Le jour où je pourrai me passer de ma chère Provence, je saurai que c’est une nouvelle vie qui commence.

— Ça rime, en plus…

La jeune blonde sourit et posa sa valise pour prendre le jeune homme dans ses bras.

— Ich werde dich vermissen[1]…

— Ich auch, mein Leprechaun[2].

Ils s’échangèrent un nouveau regard. Les yeux brillants, la psychologue lui caressa la joue et déposa un tendre baiser sur son front. Patrice, ému, s’approcha doucement… Solène posa ses doigts sur ses lèvres pour l’arrêter.

— Pas que je n’en aie pas envie, se justifia-t-elle, mais cette petite histoire a déjà fait assez de dégâts comme ça, tu ne crois pas ?

Patrice la dévisagea pendant quelques secondes, puis opina :

— Pas faux.

Le Breton resserra son étreinte et la jeune femme ferma les yeux pour profiter de ce moment autant que possible.

— T’as intérêt à m’envoyer des photos.

— T’inquiète pas, lui assura-t-elle, c’est prévu. Tu en recevras même tellement que tu me demanderas d’arrêter avant Noël.

Il laissa échapper un rire, puis Solène rompit leur étreinte pour ramasser sa valise.

— À très bientôt, grand fou.

Elle lui caressa une dernière fois la joue et le bilingue la regarda s’éloigner, puis disparaître. La poitrine oppressée, le jeune homme vérifia la présence de son billet de bus dans sa poche et quitta l’aéroport au bout d’un quart d’heure.

Installé sur son siège, alors que le véhicule quittait les lieux, il crut entendre l’avion de Solène décoller.


***


Tristan, gravit l’escalier de la gare en compagnie de ses parents. Son ticket de train en poche, il avait quitté la maison directement après le repas. Sûrement son dernier ici avant un moment.

La fin du mois d’août approchait, la rentrée était pour bientôt. N’ayant jamais mis les pieds à Toulouse, il lui fallait vite se familiariser avec la ville.

Les résultats étaient tombés : il avait échoué. Ce qui ne l’empêcha pas de déménager à Toulouse, comme prévu. Le celte, surpris par son gain de confiance, ne se faisait guère de souci pour lui.

La petite ironie de l’histoire concernait Pascal : ignorant tout des projets de Tristan et Solène, celui-ci s’était réinscrit à la faculté d’Aix-en-Provence pour les éviter. Un geste inutile qui les avait tous beaucoup amusés. Selon les ouï- dire, le futur ingénieur avait validé sa première année. Un détail qui avait temporairement miné Tristan.

En revanche, depuis qu’il avait coupé tout contact avec Frédéric, celui-ci n’existait plus du tout pour eux, à leur grand soulagement.

En atteignant les dernières marches, il aperçut Patrice, qui l’attendait, adossé au muret de la gare en haut de l’escalier. Occupé à pianoter sur son téléphone, l’Irlandais finit par l’apercevoir et se tourna vers lui.

Il souriait. Tristement.

— Alors, c’est aujourd’hui le grand jour, fit-il.

— Oui, répondit Tristan. Si t’as deux ou trois dernières paroles à me dire, c’est maintenant ou jamais.

Ils traversèrent la gare jusqu’aux trains sans échanger un mot de plus. Le séducteur en herbe posa ses bagages en soufflant et attendit l’arrivée de son train.

— Tu sais que... Solène est partie en Erasmus à Stuttgart ? relança Patrice. Et elle ne reviendra sûrement pas avant l’été prochain. Tu aurais tout autant pu rester ici sans risquer de la croiser.

— Solène, c’est une partie du problème. Il s’est passé trop de choses ici, j’ai besoin de changer d’air. Rien de plus compliqué.

— J’espère que tu ne me comptes pas dedans...

— Y a quelques mois, j’aurais sûrement dit oui. Mais aujourd’hui, non, j’ai passé l’éponge. Au contraire, c’est même grâce à toi que je suis encore là, tu vois.

Patrice sourit timidement, pas assez pour dissimuler sa peine.

— Tu penses revenir un jour, au moins ?

— Pour l’instant, aucune idée, je t’avoue. Déjà, je compte y finir ma licence, peut-être mon master… Si je m’y plais, et, surtout, si j’y trouve une copine, y a des chances pour que j’y fasse mon doctorat, y trouve du travail et m’y installe. À voir comment les choses évolueront.

— T’as déjà des plans sur du long terme, quand même, hein...

— Oui, bon, ça va ! C’est Toulouse, c’est pas non plus le bout du monde, genre Bangkok, ou autre. Je reviendrai de temps en temps, mais toi aussi tu pourras passer me voir.

— Bien entendu, si tu crois que je vais te foutre la paix...

Après un instant de rire mélancolique, leur échange s’arrêta de nouveau en attendant le train, qui fit chanter les rails au bout de quelques minutes.

Tristan échangea une dernière accolade avec ses parents qui le prièrent de faire attention à lui et de l’appeler en cas de problème. Puis, laissé seul avec Patrice, il le prit dans ses bras et lui tapota le dos, la gorge serrée, touché lui aussi par leur séparation.

— Thank you for everything, my friend.

Amusé par son accent encore très expérimental, Patrice lui répondit un très britannique « you’re welcome, buddy » agrémenté d’un sourire amer, puis le laissa embarquer.

Tristan trouva rapidement sa place et le train mit peu de temps à démarrer. Il fit un ultime signe à ses parents et Patrice, qui étaient venus à hauteur de son wagon pour le saluer une dernière fois. Puis ils disparurent derrière le bord de sa fenêtre, happés par la vitesse du véhicule.

À la gare céda le paysage qui courut devant ses yeux humides. Le train, qui accélérait, l’emmenait vers sa nouvelle vie.


[1] Allemand : Tu vas me manquer

[2] Allemand : Toi aussi, mon leprechaun

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