Chapitre 18

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Tristan arriva à la faculté de lettres, fulminant d’un courroux si ardent que son souffle se cristallisait en un jet de vapeur dans la fraîcheur de l’air hiémal.

Son sang n’avait fait qu’un tour en voyant le statut de Solène sur les réseaux sociaux. Et en voyant avec qui elle s’était affichée « en couple », il avait cru que sa tête allait exploser.

Fort d’une information obtenue au vol dans une discussion entre Nicolas, Patrice et Solène un soir, il avait décidé, au mépris de ses propres cours, d’aller l’alpaguer au sortir des siens. Sur place, il trépignait d’une impatience folle et bouillante.

À l’ouverture, le jeune homme chercha attentivement ce visage irritant qu’il connaissait maintenant bien et son cœur bondit en le voyant. Dans un mélange de satisfaction et de fureur, il lui fondit aussitôt dessus à la manière d’un aigle sur sa proie, les ailes déployées et les serres en avant.

Nicolas l’aperçut au dernier moment et faillit trébucher en arrière lorsque Tristan le poussa violemment.

– Salut, espèce de bordille[1] ! cracha-t-il. Comment tu vas, pignouf ?

– Non mais, ça va pas mieux, toi ? s’emporta l’Ukrainien. D’où tu viens m’agresser comme ça devant ma fac ? T’es pas censé être en cours, plutôt ?

– J’avais pas envie.

– Ah, je vois ! T’as séché exprès pour moi, alors… C’est très touchant, comme preuve d’amour, mais je suis pas de ce bord-là. Et puis je suis déjà casé, là ! T’arrives trop tard, mec !

– Ouais, je sais, j’ai vu. Mais ça va pas se passer comme ça, je te le dis, moi ! Ça va pas durer avec Solène ! Elle t’a accepté pour pas te vexer, mais t’es pas son genre de mec, tout le monde le sait ! Elle sera à moi bientôt !

Le rire que Nicolas n’eut pas le temps de réprimer le crispa, lui tirant un spasme nerveux sur le visage.

– « Elle sera à toi bientôt » ? Un grand « bientôt », alors, parce qu’elle se sent bien avec moi, mon petit. Et je n’ai pas l’intention de la quitter avant un moment, donc, il va falloir prendre ton mal en patience !

Tristan, les dents serrées, le prit par le col.

– T’inquiète pas, ce sera rapide ! Je sais comment m’y prendre, donc ce sera facile !

– Ah ouais ? Pourquoi ? T’as suivi des cours ?

– Exact ! Et tu sais par qui ? Ton grand ami Patrice ! Eh ouais, ducon ! Tu t’entends peut-être bien avec lui, mais je passe avant toi ! C’est un ami fidèle et digne de confiance !

– Sans blague. Et il t’a dit aussi comment elle est bonne au lit, j’imagine ?

Son ton et son sourire sarcastiques embrasèrent les nerfs du jeune scientifique qui le fit tomber en arrière d’un violent geste des mains. Il se releva en ramassant ses lunettes envolées dans sa chute, irrité.

– Tu veux jouer les grands durs avec moi ? grinça-t-il. Fais gaffe, minot…

– Parle pas de Solène comme d’un jouet sexuel ! C’est pas ta chose, pigé ?! Et Patrice ne parlerait jamais d’elle comme ça, de toute façon !

– Ah, oui ! Ton pote si parfait, si fidèle, si fiable ! C’est sûr, il ne parlerait jamais d’elle de cette manière, même s’ils ont déjà bai…

Le slave se figea, plaquant sa main contre sa bouche, les yeux écarquillés sous sa frange décoiffée. Le visage rougi par la colère, mariée au regret et à l’embarras, il murmura un juron dans sa main.

– « Même s’ils ont déjà… » quoi ? fit Tristan, soudain calme. Qu’est-ce que t’allais dire ?

L’Ukrainien le fixa du regard, dans lequel luisait une lueur de reproche qu’il semblait adresser non pas à Tristan, mais à lui-même.

– Rien du tout ! jeta-t-il. Maintenant, dégage de ma vue, tu me pourris ma pause, là ! Retourne à tes bouquins de science et fous-moi la paix, tétard. Y en a qui bossent, ici, contrairement à certains !

Il récupéra son sac tombé au sol et s’en alla en prenant soin de le bousculer au passage.

Tristan, focalisé sur les derniers mots de Nicolas, ne réagit pas. Le regard dans le vide, fixé sur le portail, sans voir les étudiants l’observer, il déglutit.

***

Tourmenté par l’incident de ce matin, il avait fini par contacter Patrice. L’étourderie de Nicolas le tourmentait, mais une partie de lui refusait de croire à une quelconque trahison de son ami, si zélé dans son rôle de conseiller en séduction. Son grand ami qui avait reporté un rendez-vous avec un camarade pour lui. Il souffla pour se détendre.

Son cœur se cogna rageusement contre sa cage thoracique lorsqu’il le vit approcher. Son t-shirt camouflé par son écharpe grise et les mains enfoncées dans les poches de cette veste en faux cuir qui lui allait comme un gant, il s’approchait sereinement de lui. Tristan put néanmoins apercevoir une lueur contrariée dans son regard.

– Alors ? le lança rapidement Patrice. Qu’est-ce que t’as de si urgent ? Me dis pas que t’as un rencard avec Solène ?

Ce nom fit bondir le cœur du physicien dans sa poitrine, mais le sourire de son ami semblait sincère : il espérait avoir raison…

Perdu, il ne sut que penser.

– Non… fit-il, hésitant.

Patrice perdit son sourire.

– Bon… alors, vas-y, accouche. Je n’ai pas toute la journée, tu le sais.

– Oui… – Il s’éclaircit la gorge – Dis-moi… tu ressens quoi pour Solène… ?

– Hein… ? C’est quoi, cette question ? Eh bien, Solène est une amie. On s’adore, on déconne beaucoup ensemble… et voilà. Rien de plus.

– T’es sûr ? Y a pas un truc entre vous ?

Le traducteur fronça les sourcils, intrigué.

– Je te le répète… Solène est une amie. Y a rien à savoir de plus.

– Mais, paraît que tu sais comment elle se démerde au lit.

L’Irlandais ne répondit rien, figé. Le ton de Tristan s’était fait un peu plus accusateur, et il commençait à comprendre, sans vraiment l’admettre…

– Je répète ma question : est-ce qu’il y a un truc entre vous ?

– Qu’est-ce qu’on t’a raconté ?

Tristan le fixa droit dans les yeux. La gorge serrée, le regard douloureux, les bras crispés, il opta pour une approche plus radicale :

– T’as déjà couché avec elle ?

L’anglophone ferma les yeux en soupirant, puis passa sa main dans ses cheveux.

– Dis-moi la vérité, le somma Tristan.

Silence. Long. Pesant.

Patrice le regarda dans les yeux.

– Oui, répondit-il. Une fois. En première. Avant de t…

Le poing que Tristan lui envoya au visage l’interrompit brutalement. Le choc le fit tomber en arrière, ne devant son salut qu’à son sac de cours qui amortit sa chute. Des étudiantes qui passaient près d’eux s’écartèrent en hâte dans un concert de cris de surprise, tandis que d’autres têtes plus loin se tournèrent vers eux.

Plus préoccupé par sa mâchoire en feu, il ne se releva pas tout de suite. Alarmé par le sang maculant sa main qu’il avait portée à sa bouche, un coup de langue sur sa dentition le rassura sur son état. Nonobstant, ses lèvres étaient brûlantes.

À la fois choqué et furieux, il leva la tête vers un Tristan dont le regard avait viré au rouge.

– Ça te prend souvent ?! explosa-t-il.

– C’est pour ça que tu me conseilles mal ? grogna Tristan. Tu veux la garder pour toi, hein, avoue !

– Pardon ? Mais t’es pas tranquille, toi ! Je te conseille très bien, c’est toi qui t’y prends mal !

– Ferme ta gueule ! Je veux plus entendre tes conneries ! Tu sais quoi ? Ne viens plus me parler, ni me voir ! J’aime pas les mythos comme toi ! Genre tu m’aidais à draguer Solène et tu l’as baisée dans mon dos ? Va te faire foutre !

– Tristan, écoute-moi, bordel…

– FERME TA GUEULE, J’AI DIT !

Coupé net, Patrice s’interrompit. La voix de Tristan, telle une déflagration de colère noire, avait explosé dans toute la place. Des dizaines d’autres têtes se tournèrent vers eux. Le physicien donnait l’impression d’être prêt à le rosser à tout moment.

Pour la première fois, il eut peur de lui.

– Et dégage de ma vie. Va retrouver Solène et tronche-la bien comme il faut, sale bâtard ! Mais moi, tu m’approches plus jamais ! Pigé ?

Il lui lança un dernier regard incendiaire où se mêlaient un courroux, une tristesse ainsi qu’une rancœur d’une violence inquiétante et fit volte-face.

Patrice, seul, la bouche ensanglantée, ferma les yeux, la gorge nouée par le choc et le chagrin.

[1] Argot provençal : injure désignant à la base les ordures

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