Chapitre 9

5 minutes de lecture

Éléonore, paresseusement assise au bord du lit de Solène, fut prise d’un bâillement qui manqua lui décrocher la mâchoire. Elle essuya ses yeux larmoyants en riant avec son amie, qui lui offrit une des madeleines qu’elle gardait dans un sachet posé sur sa commode.

– Heureusement qu’on est dimanche… dit-elle en croquant dedans.

– Comme tu dis. Elle était super, cette soirée. Plus le temps passe, plus elles sont géniales, je trouve. À chaque fois, j’en ressors plus satisfaite que l’année précédente.

– Oui, il y avait une bonne ambiance.

Solène, dont l’appétit s’était creusé en voyant Éléonore manger, piocha à son tour dans le sachet.

– J’ai un rencard avec Nicolas, en plus, dans la semaine, lui apprit-elle. Tu vois qui c’est ? Le binoclard aux airs de geek.

– Oui, je vois.

Heureuse, Solène lui résuma succinctement la conversation qu’ils avaient eue. Elle avait été à la fois ébahie et ravie qu’il s’intéresse à sa passion. Il l’avait même invitée à dresser son portrait psychologique, chose dont elle était friande. Son visage impressionné avait été un vrai délice visuel.

La jeune brune lui sourit.

– Bah c’est bien, au moins, t’as une touche.

La psychologue avala son gâteau et perdit son sourire.

– Tu n’as pas l’air dans ton assiette… Ce n’est que la fatigue, ou bien quelque chose te tracasse ?

La voyageuse hésita quelques secondes avant de lui raconter ce qu’elle avait vu sur le balcon. Ce rapprochement entre Patrice et Natasha qui la tourmentait tant.

Solène eut un léger rictus.

– Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre eux, lui avoua-t-elle. Tristan est parti en dernier et elle était encore là. Il y a de grandes chances qu’ils aient effectivement passé la nuit ensemble. Mais je n’ai pas de preuve. Je pense qu’il me le racontera à notre prochaine rencontre à la fac. On parle de tout et on ne se cache rien. Je te dirai, si tu veux.

– Je sais pas encore si j’ai vraiment envie de savoir…

Solène resta silencieuse, ne sachant plus où se mettre. L’appétit coupé, elle noua le sachet et le poussa au coin de son bureau.

– Je n’aurais pas dû te parler de mon rencard avec Nicolas… Je me sens un peu mal, maintenant…

Son amie lui offrit un sourire rassurant.

– T’inquiète pas, je suis une grande fille. Profite de ta vie, fais-toi plaisir. Ne t’empêche pas de vivre pour moi. Va voir ton Nicolas, et si ça accroche, ça accrochera. Voilà tout. Tu ne vas pas le repousser parce que Patrice ne me regarde pas comme je le voudrais.

Prise dans un mélange de gêne, de tristesse et d’impuissance, Solène hocha doucement la tête.

Remplie de scrupules.

Malgré le froid de ce début du mois de novembre qui commençait à piquer, Tristan était content de pouvoir rencontrer Patrice. D’autant plus qu’il avait besoin de cette entrevue. Perturbé, il hésitait néanmoins à se lancer. Enfin, après avoir parlé de leurs études en se promenant le long de la Canebière, il se décida à lui poser la question qui l’obsédait.

– Dis-moi, Patrice… Je peux savoir qui c’était, le mec d’hier soir ?

Patrice sentit sa gorge se nouer. Son disciple ne l’avait pas nommé, mais il savait parfaitement à qui cette périphrase faisait référence.

– Tu veux parler de Nico ? Celui qui est venu déguisé en Jason Voorhees ?

– C’est ça. Il sort d’où ? Il est dans ta fac ?

– Oui. On a deux langues en commun dans notre licence. Comme on étudie tous les deux le russe et l’anglais, on se croise de temps en temps. Je t’avoue que j’avais quelques préjugés quand je l’ai vu pour la première fois, avec son t-shirt Star Wars, mais en fait, c’est un type très sympa. On s’entend bien avec lui et il est marrant.

Après un léger mouvement de tête en réaction à sa description, il soupira, obsédé par ces images qui le hantaient sans répit.

– Il est resté avec Solène toute la soirée. Je n’ai pu lui parler qu’une seule fois. Ils se sont même échangé leurs numéros, je les ai vus.

– Oui, je sais, j’ai vu aussi. C’est ça qui t’inquiète ?

– Je dirais plutôt que ça m’énerve un peu. J’étais super content de revoir Solène après tout ce temps, mais je n’ai quasiment pas pu lui parler. Et puis, y a ton Nico qui est arrivé, et je n’ai plus pu l’approcher, tu vois.

– Oui, je comprends. Tu es déçu. Je pensais vraiment que tu allais pouvoir discuter avec et te rapprocher d’elle, tu sais. Donc, je suis un peu frustré, moi aussi. Va peut-être falloir qu’on s’arrange pour que tu la revoies.

– Bof. Si elle veut pas, c’est pas la peine de la forcer, ça va…

– Si, si, j’insiste. En plus, j’avais invité Nico pour qu’il puisse s’intégrer à notre groupe et qu’il partage avec les autres sa passion pour la science-fiction. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il flashe sur Solène. D’autant qu’il y avait d’autres filles bien foutues. J’aurais trouvé plus logique qu’il mette le grappin sur Natasha, d’ailleurs.

– Sauf que Natasha, c’est toi qui l’as repérée, donc…

Un silence finit par s’installer entre les deux amis.

Tristan marchait tout en regardant le monde qui évoluait autour de lui. Ses tourments étaient toujours présents, mais, incapable de mettre des mots dessus, il préféra rester dans son mutisme. De peur de radoter, d’ennuyer Patrice, de paraître ridicule…

Patrice le regardait, gêné et coupable, ne réagissant pas à sa boutade au sujet de Natasha. Il prit une inspiration et attira son attention.

– Ne te prends pas trop la tête, Tristan. Je pense que t’as pas trop de souci à te faire face à Nico.

– Ah bon ? Pourquoi ?

– On a discuté, ce matin. Comme tu t’en doutes, on a parlé de la soirée et, bien entendu, de Solène.

Tristan sentit son cœur protester dans sa poitrine, mais il s’efforça de ne rien laisser paraître.

– J’ai pigé qu’il avait flashé sur elle, donc j’ai pensé à toi et j’ai calmé ses ardeurs. Je lui ai dit qu’elle avait déjà un copain. Ça m’a un peu embarrassé de l’emboucaner[1] comme ça, mais ça te fait toujours un rival en moins. Et ça, c’est pas négligeable.

Le jeune garçon eut un petit rire et lui adressa un timide remerciement. L’Irlandais sourit avant de poursuivre :

– De toute façon, même si Nico la drague, je ne pense pas que ça soit son genre de mec. C’est un peu le cliché ambulant du geek prépubère qui a des posters de Star Wars dans sa chambre, et Solène n’aime pas trop ces gens-là.

– Bah, pourtant, ils ont eu vraiment l’air de très bien s’entendre !

– Ils deviendront amis, mais c’est tout. Franchement, je doute que ça n’aille plus loin entre eux. Et puis, avec mon aide, tu le coifferas au poteau, ne t’inquiète pas.

Tristan, dubitatif, décida nonobstant de lui faire confiance. Comme d’habitude depuis environ deux ans.

– Et sinon ? relança l’Irlandais. Tu as quand même apprécié la soirée, j’espère ? Nico ne t’a pas tout gâché ?

– Non, ça va, c’était sympa. Comme tous les ans, en fait. C’est à refaire, comme toujours.

Il força un sourire satisfait qui suffit à soulager Patrice. En fait, ses états d’âme l’avaient empêché d’en profiter pleinement. Mais, n’osant pas le lui avouer et poussé par la curiosité, il lui demanda de raconter sa nuit avec Natasha.

Ce n’était pas le genre de récit dont il raffolait, mais au moins, espérait-il, ce serait instructif en vue de… sa première fois.

[1] Argot provençal : sentir mauvais, se prendre la tête, baratiner

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Ayaël Kazuo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0