Chapitre 10

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Solène arriva en compagnie de Nicolas devant la porte d’Aix, place Jules Guesde. Celui-ci l’avait attendue à la gare Saint-Charles, où elle était descendue en bus de chez elle, pour l’accompagner là où ils voulaient se rendre. Connaissant l’endroit, il avait jugé cela préférable.

La voir arriver avec son sourire étincelant l’avait ravi. Sa jupe et ses collants s’associaient bien avec sa veste en cuir qui lui donnait un certain style en plus de la protéger du froid automnal. Il trouva même que ça faisait un contraste amusant avec son t-shirt décoré du logo de Terminator et son pantalon jeans.

– En tout cas, t’es très belle, la complimenta-t-il. Ça prouve que t’as du goût pour t’habiller. Pas comme moi ! Va falloir que tu me donnes des cours.

La jeune femme éclata de rire avant de le remercier timidement, puis lui emboîta le pas lorsqu’il amorça la marche.

– Je suis heureuse de te rencontrer aujourd’hui, déclara-t-elle. Ça va m’aider à décompresser après mon cours de statistiques.

– Tant mieux, alors ! Et la psycho en général, c’est pas trop compliqué ? Je sais que moi, par exemple, je serais incapable de tenir une journée là-dedans.

– Tant que l’intérêt est là, il ne devrait jamais y avoir de souci ! Et je suis passionnée depuis que je suis gamine ! J’ai su que je voulais devenir psychologue dès mes 11 ans, quand je suis entrée au collège.

– Ah ouais, carrément ! C’est toute ta vie, alors ! C’est génial, ça ! Bon, en même temps, vu comment tu m’as cerné à la soirée, ça ne m’étonne pas du tout, je dois dire. T’es super forte !

– Merci, fit-elle timidement. Mais, tu sais, on dit souvent que « les yeux sont les fenêtres de l’âme », et c’est pas pour rien. On ne croirait pas comme ça, mais les yeux sont beaucoup plus bavards que la bouche.

– Ah ouais… Et mes yeux, qu’est-ce qu’ils disent ?

Leur marche s’arrêta et Nicolas planta son regard dans celui, smaragdin, de son interlocutrice, qui soutint le contact visuel en silence.

– La même chose que la dernière fois, répondit-elle.

– C’est-à-dire ?

– Tu le sauras bien assez tôt !

Elle reprit la marche avec un sourire énigmatique.

– Et toi, tu envisages de bosser dans l’audiovisuel, c’est bien ça ? repartit-elle. Tu veux faire de la traduction, si je me souviens bien…

– T’as une bonne mémoire, dis donc ! Ouais, c’est ce que je veux faire. Je veux surtout traduire des films et séries ukrainiens et russes, parce que je trouve qu’on n’en connaît pas assez en Occident. En France, en tout cas. Je trouve ça dommage. À part Tarkovski… et encore…

– Des films de science-fiction, surtout, je suppose ?

– Non, pas que. Dans le cadre du boulot, je serais même prêt à bosser sur des films sentimentaux, alors que ça me donne de l’urticaire. Mais, tu sais, je ne regarde pas que de la science-fiction ! Il m’arrive d’apprécier autre chose.

Solène opina du chef, ayant déjà lu cette information sur son site. Savoir qu’elle l’avait visité enchanta Nicolas et ses remarques sur la mise en page le flattèrent encore plus, fier pour son ami informaticien qui s’en était chargé.

La conversation dériva sur la soirée, en particulier les décors du studio. Le slave en vint à lui reparler de son récit dont, sourire taquin sur le visage, elle refusa de lui dévoiler la suite. L’Ukrainien finit par se résigner en prenant une mine faussement boudeuse qui amusa la jeune femme.

– Nicolas, j’aimerais savoir…

– Oui ?

– Tu m’as dit être bilingue en ukrainien, il me semble, non ?

– En effet, je t’ai dit ça, aussi. Ça aide d’avoir des origines, je l’admets. Et je me rappelle que tu m’as dit parler couramment l’allemand. Je m’en suis toujours pas remis, d’ailleurs.

Elle laissa à nouveau échapper un petit rire avant de plonger son regard dans le sien.

– Tu accepterais de m’apprendre quelques bases en ukrainien ? Ça m’intéresse beaucoup.

Lorsqu’elle vit le visage de Nicolas s’illuminer d’un bonheur immense, Solène devina qu’elle avait touché un point particulièrement sensible. Le cinéphile répondit aussitôt à l’affirmative et commença à lui donner les premiers mots et expressions de base.

Le serveur leur amena enfin leurs plats. Pascal fut soulagé d’avoir un prétexte pour cesser de discuter avec Tristan, qui était d’humeur maussade. Il l’appréciait pour sa sympathie, mais devait admettre qu’avec son air de boudeur chronique, le fréquenter devenait peu réjouissant.

– Je suis pas pressé de reprendre les cours, après manger, soupira celui-ci. J’ai anglais juste après. Pas envie. Et toi ? T’as quoi ?

– Physique quantique. Un peu plus passionnant, c’est sûr. T’aimes vraiment pas l’anglais, hein…

– Non, ça m’a jamais intéressé. Même si je suis ami avec Patrice, qui est Irlandais et bilingue en anglais, j’en ai jamais profité. Toute façon, j’ai toujours été nul en anglais.

– Comment tu peux le savoir ? T’as jamais essayé. En plus, c’est handicapant pour toi, car l’anglais est la langue des sciences, quand même. C’est pas à toi que je vais l’apprendre.

– Oui, je sais, merci. Y a des choses que tu n’es pas le seul à savoir, tu sais. Mais bon, quand t’as pas le truc, t’as pas le truc, voilà. Moi, en l’occurrence, je l’ai pas. C’est aussi simple que ça.

– Je suis pas d’accord. J’ai facilement appris l’anglais alors que je ne le parlais pas au départ.

– Ouais, mais toi, t’es bon en langues : tu parles portugais ! Donc c’est plus facile pour toi, c’est sûr.

– Je viens d’une famille portugaise, lui rappela-t-il. Et je ne parle que quelques mots de portugais, nuance.

Pascal était lassé de ces débats incessants et de l’avis tranché de Tristan sur la question. Il avait opiniâtrement tenté de le convaincre qu’un peu d’efforts et de motivation suffiraient, mais cet entêté restait campé dans ses certitudes. Persuadé que l’apprentissage des langues était réservé aux surdoués.

– Frédéric ne vient pas, aujourd’hui ? reprit ce dernier.

– Non, visiblement.

– Pourquoi ?

Pascal s’interrompit et, la fourchette dans la bouche, lui jeta un regard perplexe.

– … Je suis censé le savoir ?

– Bah, je sais pas. Vous êtes toujours fourrés ensemble.

– Je suis son pote, pas son père. On a nos vies, tu sais. On se dit pas tout. S’il n’est pas là, c’est peut-être parce qu’il n’avait pas envie de venir, point barre. J’en sais rien, moi.

– D’accord, j’ai pigé, ça va. Pas la peine de m’agresser.

– Je t’agresse pas, je t’explique. Si tu veux le voir plus souvent, t’as qu’à prendre son numéro, voilà tout. « C’est aussi simple que ça », comme t’aimes le dire.

– Non, merci, sans façon.

– Bah alors ! Puis, si ça se trouve, ajouta-t-il d’un ton badin, peut-être que c’est juste ta tronche qu’il ne veut pas voir ?

Tristan lui fit la grimace, puis chacun se concentra sur son assiette. La dernière partie du repas se déroula dans le silence, bientôt brisé par le lusophone :

– C’était bien elle, ta copine ? La blonde déguisée en Wilma Pierrafeu ?

– Solène ? Ouais, c’était elle. Elle était déguisée en guerrière viking. T’as pas reconnu ?

– Désolé de ne pas être infaillible. D’accord, je comprends pourquoi t’es à fond dessus… J’admets qu’elle est mignonne. Tu m’en veux pas si je la drague ?

Tristan le foudroya du regard.

– Tu fais ça, je t’emplâtre[1].

– Ça va ! rit le Portugais. Je plaisante, détends-toi, collègue ! Je te la laisse. J’en ai d’autres plus jolies en vue, moi.

– Mouais.

– Perso, je pense que c’est plutôt l’autre mec que tu dois craindre. Celui qui était déguisé en Jason Voorhees. Il l’a scotchée toute la soirée, j’ai halluciné.

– Nicolas ? Ouais, il est chiant, ce mec. Patrice dit que c’est un type génial, mais j’y crois pas trop.

– T’as raison. Je le trouve faux, ce type. Le genre qui fait le sympa pour se faire apprécier, alors qu’en fait, c’est un bouffon. J’ai pas accroché avec lui. Et tu te rappelles ce qu’il a fait en arrivant ? Il est complètement fada, ce mec.

– Bah, en tout cas, Solène a eu l’air de l’apprécier. J’ai pas capté pourquoi, mais bon…

– Je peux t’aider à le jarter, si tu veux. On le met hors-course, comme ça, le champ est libre pour toi. T’en dis quoi ? Partant ?

Tristan le fixa en avalant sa dernière part de riz. Il posa sa fourchette et, souriant, serra la main que son ami lui tendait par-dessus la table.

– T’es un vrai pote, toi !

Pascal lui fit un clin d’œil complice et attendit le retour du serveur en croisant les bras d’un air méditatif. Lorsque le garçon arriva, il lui commanda une dame blanche.

[1] Argot provençal : frapper, gifler

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