JEUNE ET CON À LA FOIS

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chapitre IV

JEUNE ET CON À LA FOIS

trente août 1919

C’est un secrétaire qui le reçoit.
« Asseyez-vous, je vais m’occuper de vous ».

L’écrivaillon lève à peine les yeux. Il accompagne son ordre d’un geste du menton pour désigner la seule chaise qui se trouve face à lui.
Il ne ressemble pas à la caricature que l’on peut se faire des gratte-papiers. Pas de cheveux gras, pas de longs doigts secs recouverts d’encre, pas de long nez supportant des lunettes cerclées d’acier.
Quand enfin le secrétaire le regarde, il lui paraît quelconque.
“ Peut fendre la foule sans que l’on ne le remarque. Profil idéal de l’agent secret, de l’assassin ou des deux".
L’autre le toise quelques secondes et lui dit en souriant :
-Mon vieux, il va vous falloir trouver des vêtements civils. Vous êtes démobilisé dans deux jours.
-Démobilisé, mais pourquoi faire ?.
-Mais pour rentrer chez vous.

La nouvelle a fait sauter de joie ou pleurer des centaines de soldats. Jamais il n’en avait vu un pris de panique.
-Je ne comprends pas, continue-t-il, vous devriez être heureux comme tous vos camarades.
-Peut-être, le souci c’est que je n’ai pas de chez moi.
- Je ne peux rien pour vous. Dans deux jours il vous faudra partir... Une dernière chose, n’oubliez pas de venir chercher votre solde avant de nous quitter.
Il lui tend son sésame: “ Ce s’ra tout, vous pouvez partir, au revoir !”

Dehors une pluie d'orage transforme le camp en bourbier.
Il entre sous sa tente, enlève ses vêtements trempés et ses godillots lestés par la boue.
Abruti par l’ennui, son compagnon de chambrée dort.
Pas une parole depuis des semaines.
Ils se sont engueulés.

Celui qui dort pense qu'il faut écraser le vaincu, lui faire payer et l’empêcher qu’un jour il ne se relève.
Lui, pense qu’il ne faut pas laisser le crime impuni ,que l'Allemagne doit aider à la reconstruction et que les responsables doivent être jugés et jetés en prison.

Mais pourquoi punir le peuple ?
À affamer les enfants, ils se nourrissent de haine. Humiliés, leurs parents seront fier de voir leurs fils suivre un homme qu'il leurs demandera au nom d'un idéal ou d'une religion d'aller se sacrifier pour venger le passé.
Duval l'a traité de traître, il a haussé les épaules.

Une fois ses habits ruisselants pendus sous le auvent, il rejoint sa paillasse.
«Quel avenir ?

Pas de toit où m’abriter, je ne sais plus faire grand-chose. Ah si ! Manier les armes et marcher. Dans deux jours je serai, libre et clochard ou habillé, nourri, logé et légionnaire.».

premier septembre 1919

Le jour dit, on vient lui rappeler qu’il doit partir.
La veille les copains ont organisé une fête d’adieu pour lui et quelques autres.

On s’est promis de s’écrire et échangé les adresses.

Tous le plaignent quand il avoue ne pas en avoir, sauf Duval (le dormeur).

Personne ne propose de lui venir en aide.

Trop triste, sauvage, imprévisible et alcoolique,il le sait, comprend et n’en veut à personne.
Ce premier septembre, il va chercher sa solde dont le montant est une injure.
Arrivé au poste pour présenter ses papiers. Il n'est pas le seul.
Une fois encore on leurs demande de serrer les rangs et de montrer de la discipline.
Le temps s’éternise, le monde qui l’entoure disparaît.
Le voilà qui replonge dans ses ténèbres.
Il se promet de ne plus jamais obéir à un ordre ou suivre le troupeau.
Quand viendra l'heure espérée, qu'on le jette aux vautours, aux lions.

Que la seconde ultime se transforme en festin.

Qu'on lui évite la croix à laquelle il ne croit plus,

qu'on lui fasse grâce d’un dernier alignement.
Il connaît son avenir.

Une fois loin: “Vive la cloche ».

L’attente est interminable. ils sont plus d’une centaine dans cette file et l’adjudant frais-moulu qui vérifie les papiers prend un malin plaisir à prendre son temps.

Il tourne et retourne l’ordre de démobilisation que chacun lui présente.
Le cordon perd patience et quelques protestations commencent à fuser.
Il a atteint son but.

Aaaah ! Comme il est content le juteux,

comme il jubile,

comme il n’attendait que ça.
Il est jeune, il est beau, tout frais de quelques mois et :

“ Déjà adjudant, Monsieur !”. Et comme, celle que l’on vient de mourir était “ la der des ders”, la seule vrai vérité dans la future armée sera de :

“ Savoir se faire respecter par toute cette troupaille inutile, Monsieur !”
Voilà ce qu’il dit le soir dans les salons se faisant désirer par les jeunes filles, applaudir par les mères, approuver par les pères croulant sous leurs médailles.

Il rend les papiers à celui qui se trouve devant lui, et lui fait signe qu’il peut disposer.
Le soldat ne se fait pas prier.
“ Y aurait-il, parmi vous, quelques mécontent ? "
Tous comprennent qu’il vaut mieux ne pas répondre à cette ultime provocation.
Il se trouve pourtant au delà de l’assistance un homme qui ose affronter la menace.

“ Oui moi !” entend-on.
L’adjudant en a les larmes aux yeux.

“ Je vais m’en payer un. Il va voir celui-là. Certainement un de ceux qui riaient derrière moi et qui disait qu’il aurait bien voulu me voir sur le front appeler ma maman pour me changer le froc dans lequel se trouvait toute ma frousse déversé.”.

Même s’ils le détestent, aucun de ceux qui se trouvent à attendre n’a un jour pensé à pareils choses. Ils ont tous connu la peur et tous ont souhaité le réconfort d’une mère quand les obus pleuvaient et que le bruit, énorme, leur traversait le corps.

“Présentez-vous, devant moi !

Discutons du nombre de semaines que devront encore patienter vos proches.”.

Le groupe s’écarte afin de laisser passer le rebelle.
Jeunecon blêmit, verdit, rougit.

Il fond.

“Maman viens à mon secours !”
Certains affirmeront l’avoir vu vérifié le fondement de son froc.

Traînant non loin de là, attiré par la scène, un colonel s’avance. Il s’adresse aux soldats :
“Je vous connais tous bien et vous pouvez partir. La vie qui vous attend à l’extérieur de ces murs ne sera pas facile. Mais vous avez survécu au massacre le plus grand, quelques contrariétés ne peuvent pas vous faire peur. Partez ! Soyez heureux ! Marchez la tête haute ! Tous ceux que vous croiserez vous doivent une paix durable car je peux bien le dire et cela grâce à vous : Bon Dieu, on les a eus ! ”
Il s’éloigne sous les hourras.
D'un signe, il demande au jeune sous-officier de le suivre.
Jeunecon se retrouvera marron ou presque, enfin à côté.*

La barrière se soulève, ils sont libres.


Il lui faut dix minutes pour rejoindre la gare.
Aux pieds des voies, il ne sait quel wagon attraper…

fin de la première partie

* Vous pouvez savoir ce qu'est devenu Jeunecon dans : " tiroir entrouvert" sous le titre :

" le coq, le dindon, la poule, la pintade et autres mals faisans"

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