Abeilles et tamanoir

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Toubou est soulagée. Celle-là se taira, l'Ancêtre l'a terrifiée. La chamane déteste la possession de cet esprit, son empreinte la souille chaque fois. Elle ne sait pas qui il est, mais la première fois qu'elle l'a ressenti c'est le jour où elle a tranché la gorge de son mari. Il est puissant, enragé et poisseux.
La sorcière frissonne et se hâte vers Leki.

À quelques pas de sa case, un bourdonnement massif l'accueille.
Le Chien est agité, il aboie. Dès qu'il l'aperçoit, il file sans demander son reste.
Le gardien, tout impressionnant qu'il soit, a peur des abeilles. Pourtant, ici, personne ne penserait à le blâmer. Les abeilles sont partout. Sans doute plusieurs essaims, y compris les ouvrières maçons, de quoi couvrir un éléphant. Toubou s'avance, poussée par l'idée que Leki est seule sur sa toile tendue.
Les avettes s'écartent plus ou moins de son chemin. Elle a l'habitude d’interpréter leur comportement, elle n'a pas l'impression qu'elles soient en alerte, au contraire, elles semblent plutôt paisibles.

La chamane se déplace avec plus de confiance vers la case.
Quand elle voit Leki, un cri pousse dans sa gorge, mais elle garde la bouche fermée. La petite fille est couverte d'insectes, elle ne bouge pas. Seuls sa bouche et son nez sont libres. Les abeilles grouillent. La sorcière puise un peu de courage et avance la main doucement. Les sentinelles tournent autour, se posent sur ses doigts. Toubou transpire. Elle tend l'index pour tâcher de toucher l'enfant et les avettes libèrent cet espace. Elle peut poser sa paume sur le thorax du bébé, elle sent sa respiration, son cœur ; il bat tranquillement. Alors, elle s'assied sur une natte au sol et patiente.
La journée s'étire, la case bourdonne, changée en ruche géante. Puis la lumière baisse, pourtant les abeilles n'arrêtent pas leur manège.
C'est le temps où Badou rentre habituellement. Quand il a fini de vadrouiller et de pêcher, il fait un tour sur les trois champs de Toubou. C'est ce qui inspire le plus de mépris aux villageois. Il ne sera jamais un homme puisqu'il s'occupe de tâches féminines.
Aux abords de l'enceinte, le garçon hésite : toutes ces abeilles l'inquiètent. Il appelle en criant péniblement de l'extérieur. Toubou masque sa bouche pour lui répondre :
« Reste dehors Badou, tout va bien. Préviens Vuvu et reviens avec elle demain. J'espère que l'esprit de Zamba aura terminé. »

Les bourdonnements chargent l'air de vibrations sourdes et d'une brise légère. L'odeur de la case est celle du pollen et des ruches. Toubou somnole et finit par s'endormir.
L'agitation du bébé la réveillent.
Il n'y a plus d'abeilles dans l'air. Quelques dizaines sont restées au sol et ne voleront plus. La sorcière réalise que les essaims étaient bien là !
Toubou découvre que le corps de Leki est couvert de cire. Elle est souple à cause de la chaleur de la chair. Quand Toubou la touche l'enfant ne grimace pas, ne crie pas. Elle ne semble plus avoir mal.
Les doigts de la vieille femme marquent un creux sur le bras de l'enfant qu'elle saisit. Elle voit dans son cou que la cire s'est fissurée. Faut-il laisser la cire comme ça ?
C'est impossible, Leki a besoin d'être changée, le berceau de toile sent mauvais.

Toubou la soulève délicatement. L'enfant la regarde et, pour la première fois, le fantôme de la douleur est absent de son expression.
La sorcière verse une larme. Elle prolonge un peu cette paix, elle hésite à ranimer la souffrance par des soins nécessaires. Elle chauffe de l'eau et comme d'habitude, y ajoute un antiseptique végétal.
Elle allonge Leki sur le ventre en travers de la planche de soins. Elle essuie délicatement la peau des fesses de l'enfant. La cire fond facilement et Toubou constate avec émotion qu'une peau se forme. Elle a l'air bien plus résistante que la membrane qui laissait si facilement des plaies. Toubou décide de laisser la cire et le miel agir aussi longtemps que cet onguent se maintiendra.

Vuvu et Badou passent le seuil à ce moment-là.

Ils ont, plus que les autres, l'habitude du surnaturel qui gravite autour de Toubou, mais le récit qu'elle leur fait les laisse pantois.
Tous les deux observent cette peau nouvelle, elle est pâle, rosée et marbrée.

Vuvu nourrit Leki puis rejoint ses enfants. Son dernier mâche sans conviction la bouillie de manioc et de viande. Quand il voit sa mère il se précipite et mendie une tétée, elle refuse et lui donne un morceau de mangue qu'elle a cueillie en rentrant. Cette saison facilite la vie.

Vuvu est la fourmi qu'un tamanoir déloge.

Yembé, l'ami du roi, a des privilèges, c'est un homme d'âge mûr à qui il est difficile de tourner le dos. Il s'approche de la case de la jeune mère, accroche son regard et ne le lâche plus. Elle devine ce qu'il va lui dire mais le laisse parler :
« Mboté Vuvu. Comme je ne pouvais pas m'adresser à un chef de ta famille, j'ai obtenu l'accord de Mongo, je veux t'épouser. Tu as quatre fils, tu ne peux pas rester seule. Tu es jeune encore, tu as besoin d'un homme et moi je veux un fils. Mes épouses me donnent les filles qui feront la fortune de mon clan et étendront mon sang. Mais je veux un chef pour me succéder. J'ai la considération du roi et des villageois. J'ai un troupeau de chèvres important et j'ai deux cases. Ni toi, ni tes enfants ne manqueront jamais de rien. Je te traiterai bien, je te protégerai, je suis un puissant etumba.
— Je te remercie de ton offre généreuse mais tu sais, Je n'ai pas à me plaindre, mon champ est une bonne terre. J'y veille. La sorcière m'aide à trouver ce qui manque. Mes garçons vont bientôt pouvoir prendre soin de leur mère…
— Tu n'as pas bien compris Vuvu, le monkozi m'a donné son accord, il est l'autorité tutélaire de ta famille, je préférerai que tu sois désireuse de m'épouser mais ce n'est pas nécessaire.
— Je ne peux pas t'épouser, Yembé, il y a des choses que tu ignores. Je dois allaiter une petite fille, c'est mon devoir de pureté sacré et le moto lui-même ne peux rompre cet engagement, je sers la vie.
— Quel enfant ? Il n'y a pas d'enfant sans mère dans les clans !
— Je ne peux pas te parler librement, va voir Toubou... »

Contrarié et dubitatif, le chasseur se rend directement chez la chamane.
Vuvu lui ment certainement. Elle est un peu sauvage et prétend vivre comme cette sorcière. Celle-là donne le mauvais exemple.

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