Le déni

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"Anosognosie", c'est le nom barbare que les psychiatres ont donné à cette caractéristique commune à toutes les personnes schizophrènes d'avoir toutes les peines du monde à se reconnaître comme malades. Parce que cette pathologie touche le cerveau et en désorganise le fonctionnement, alors même que c'est de cet organe que l'on a utilité à distinguer le vrai du faux, le symptôme de la pensée saine. Il faut des médicaments et une thérapie persévérante pour amener la personne malade à toucher du bout du doigt que ce qu'elle vit n'est peut-être pas très "normal". Mais la norme, c'est vachement subjectif, en général c'est la majorité qui la définit et la majorité n'a pas toujours raison. Alors comment savoir ?

Bon d'accord, foutez-moi la paix, je suis malade et je vais prendre vos fichus médicaments. Sauf que quand on n'est pas convaincu à 100% d'en avoir besoin et qu'en plus il y a des effets secondaires pénibles, on a tendance à ne pas tout prendre bien comme c'est prescrit, voire à arrêter le traitement surtout si on est dans un vilain délire d'empoisonnement ou que sais-je. Cela peut justifier en soi seul une hospitalisation. Surveiller l'observance de l'ordonnance jusqu'à ce que la personne soit en état de se convaincre que tout ce que dit le médecin n'est pas absurde et faux, voire manipulateur.

J'ai de la chance si l'on peut dire, car vers l'âge de 10-12 ans j'étais convaincu d'être malade mais d'une maladie inconnue et surtout physique. Je me souviens que je voulais écrire tout ce qui clochait chez moi, le mutisme surtout et le niveau extrême de stress le jour puis les cauchemars traumatiques la nuit, l'incapacité à jouer pendant les récréations où je restais immobile et inerte à compter chaque seconde jusqu'au retour en classe, la concentration anormalement élevée pendant les cours et malgré tout des moments d'absence où je me "réveillais" sans savoir depuis combien de temps mon esprit avait quitté mon corps. La sensation d'avoir été souillé aussi, la chair marquée et le moral en miettes. Mais je n'ai pas osé en parler finalement, j'avais trop peur de la réaction en face, qu'on me dise qu'il n'y a pas de solution, que ça ne serve à rien. Parce que pour une maladie inconnue il n'y a pas de médicament fabriqué, c'est logique.

Les hallucinations, déjà je ne savais pas ce que c'était, et puis j'ai vite compris qu'il valait mieux les garder pour moi sinon les moqueries redoublaient et je ne voulais pas être frappé encore plus fort. Il m'en aura fallu du temps, du temps et du courage pour oser me livrer petit à petit aux professionnels de santé, d'abord mon médecin de famille puis une psychothérapeute et enfin un psychiatre puis toute une équipe de soignants à l'hôpital. Aujourd'hui je sais que ma maladie n'est pas inconnue, que c'est une schizophrénie, plus fréquente en France que le diabète donc pas rare du tout, que je dois prendre mes médicaments pour mener une vie à peu près conforme au moule social et surtout ne pas trop souffrir, avoir accès à de plus en plus de bons moments. Mais au fond de moi, j'ai bien conscience que l'anosognosie n'est pas vaincue, que je fais semblant de me convaincre d'être schizophrène mais que je n'y crois pas complètement, certains jours oui et d'autres non. J'ai une autre explication pour tout ce qui m'arrive. Un délire, plus logique que ce que les médecins racontent.

Bref, j'alterne périodes de déni et périodes de plus grande lucidité. Ou bien l'inverse. C'est déjà beaucoup, il paraît que "je reviens de loin".

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