IX.

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Yohann Serville nous a proposé une tasse de thé, choisie parmi une variété invraisemblable de parfums. «Comme au bon vieux temps», marmonna Lucius, la voix empreinte d’une nostalgie étrange. Une grande étagère, située dans le salon de son Laboratoire, était uniquement dédiée au stockage de ses petites boîtes. La pièce était faiblement illuminée, ce qui expliquait probablement le teint pâle du vieillard. A côté de la vigueur et de la perfection des quelques Hommes que nous avions croisés sur le chemin du Laboratoire, Yohann Serville faisait vraiment tâche. Sa démarche boiteuse, accompagnée du réflexe maladif de remonter en permanence ses lunettes, ne lui donnait pas l’air brillant, pour ainsi dire. C’est vraiment lui qui nous a conçus ? réfléchissai-je en sirotant ma tasse de thé vert.

«Eh bien... Quelle est la raison de votre venue ici ? demanda l’Ingénieur à notre groupe. Oh... Oh, je le sais déjà; mais j’aimerais entendre ce que vous avez à en dire.

- La prophétie n’est pas accomplie, comme vous le savez, déclara Lucius. Pouvons-nous compter sur vous pour nous y aider ?

- Je ne suis maître de rien, vous le savez déjà. C’est au Programme que vous devez poser la question. Mais puisque la prophétie vient de Lui, j’imagine qu’Il est d’accord pour vous aider à l’accomplir. A moins qu’Il ne prenne plaisir à vous faire perdre votre temps et votre énergie. D’autant que... (L’Ingénieur se racla la gorge, puis alla cracher un glaviot dans l’évier) Il ne vous reste plus longtemps à vivre, poursuivit-il en se réinstallant sur son fauteuil. 

- Plus longtemps... Vous savez exactement combien de temps ? questionna Lucius, le regard illuminé.

- Oui. 

- Alors pourquoi ne dites-vous rien ? interrompit Dionysos.

- Cela fait déjà trois fois que j’essaie, répondit Yohann Serville, l’air las. A chaque fois que je m’apprête à vous dire combien de temps il vous reste à vivre, le Programme interfère avec mon esprit et me force à dire autre chose. Tout ce que je peux vous révéler, c’est qu’il ne reste pas longtemps, ça non. Je ne peux littéralement pas vous en dire plus, pas que je ne veuille pas.»

Il ne doit plus vous rester longtemps à vivre non plus, vieillard, pensai-je, attristé pour une raison que j’ignorais. D’une manière où d’une autre, Yohann Serville semblait m’avoir entendu et s’est contenté de me lancer un clin d’œil avant de reprendre la conversation.

«Depuis vingt ans, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? demanda-t-il, souriant.

- A qui le dites vous... Je ne reconnais absolument pas la Cité Tétride.

- La Cité Tétride... Ah... soupira l’Ingénieur, pensif.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Echeb.

- Rien... Cela faisait juste... Longtemps, que je n’avais pas entendu ce nom. Depuis vingt ans bientôt, cet endroit s’appelle la Cité Pentagone. (Visiblement, Yohann Serville avait un grand besoin de parler). A peine trois ou quatre mois après votre évasion du Centre... Beaucoup de choses ont changé ici. Je me rappellerai toujours... Le matin du 18 Germinal, il y a dix-neuf ans, je me suis réveillé et... tous les Hommes avaient disparu de la ville. Drôle d’expérience à vivre, si vous voulez mon avis.

- Comment ça «disparus» ? demandai-je. Nous avons croisé plein d’Hommes, dans la rue, non ?

- Ah ah ! s’amusa l’Ingénieur. Depuis quand les Hommes peuvent bondir aussi vite que le son et transformer leurs bras en tout un tas d’outils ? Voyons, ce ne sont clairement pas des Hommes... Ne tirez pas ces têtes, ça ne change pas grand chose ! Vous avez une prophétie à accomplir. Achever le règne du Programme et paver la voie de la Nouvelle Humanité... Vous connaissez la chanson. 

- Et pourquoi vous seul êtes resté ?

- Sans vouloir faire de interprétation abusive de Sa Volonté, le Programme devait avoir d’autres projets pour moi, j’imagine. Et puis, je ne suis pas à plaindre. Je ne les ai jamais aimés de toute façon, les Hommes. Au moins, les Remplaçants -c’est comme cela que j’ai décidé de les appeler- sont agréables à côtoyer. Polis, intelligents, cultivés, serviables... que demander de plus ? Je n’ai pas réussi à suivre les évolutions de cette ville; pour le dire franchement je suis devenu inutile à cette société. Et pourtant, les Remplaçants me donnent de quoi me nourrir, me vêtir, et me permettent gratuitement de me loger dans ce Laboratoire. J’ai accès à tous les ouvrages que je souhaite... Non, non. Je n’ai clairement pas envie de me plaindre.

- J’imagine que nous n’avons pas tous la même notion d’agréable, rétorqua Dionysos, amusé.

- Jusqu’à aujourd’hui, la cohabitation se passe au mieux. C’est tout ce que je demande. Enfin, reprit l’Ingénieur en quittant son fauteuil, restez donc ici pour la nuit, reposez-vous. Profitez donc des magnifiques endroits à visiter en ville. Vous avez encore un peu de temps pour la prophétie.»

Avant de quitter la pièce, le vieillard nous a adressé un regard étrange, par-dessus son épaule.

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