Troisième Partie

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LVCIVS·MAIOR·DUKE·MVSET·AL·KINCIP·DAL·PROGAROMU·PONER·     ENDET·KA·CEM·ALIEDE·AMNATATI·AL·VEITE·DEBVHIR. DAS·SERET·MESVVT·IS·A·NE·SKAPAR·PVDERET.

Lucius, le Grand Guide, doit mettre fin au règne du Programme et tracer la Voie de la Nouvelle Humanité. Telle est la mission à laquelle il ne pourra échapper. (Extrait du Livre Pentagonal; La Voie des Seconds Hommes- Verset 27:06)

VII.

En nous rendant sur l’Avenue Serville, nous avons découvert que la boule luminescente de l’autel du Programme avait grillé. De petites braises gisaient aux pieds des tours, mais ne semblaient pas avoir brûlé quoi que ce soit. Des habitants affolés étaient autour de la scène, visiblement dévastés.

«Les garçons... je suis navrée, déclara Oracle en nous voyant arriver.

- Eh bien, qu’est-ce qu’il se passe ?, demanda Echeb, encore à moitié endormi.

- Le... Le Programme... Il refuse notre expédition. C’est un signe, ne voyez-vous pas ? s’écria-t-elle, désespérée. Il ne faut pas aller vers la Cité Tétride; c’est du suicide !»

  Les habitants autour d’elle étaient au bord d’un état d’hystérie générale. Lucius a fini par arriver, attiré par le vacarme des cris et complaintes.

«Eh bien, qu’est-ce qu’il se passe ? demanda-t-il. (Malgré la tension dont l’atmosphère était chargée, Lucius semblait parfaitement serein.)

- Le... Le Programme refuse l’expédition, cria Oracle d’une voix tremblotante.

- Et qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Le fait que la boule luminescente se soit éteinte ?

- Bien sûr ! Nous avons demandé au Programme de nous accorder son soutien, et voici sa réponse... s’écria Oracle en désignant l’autel. Il ne faut pas retourner à la Cité Tétride, Grand Guide ! Ce n’est pas à nous de décider quand accomplir la prophétie ! Les voies du Programme sont impénétrables ! L’auriez-vous oublié ?»

  Des sanglots ont éclaté de part et d’autre de la foule. Sans répondre, Lucius a lancé des signaux plieurs de volonté, souhaitant ramener le calme. Mais à la surprise générale, aucun fidèle n’a changé son expression. Je crois même que d’autres pleurs se sont déclarés. Dionysos tenait son visage dans les mains, paniqué.

«Vos... vos pouvoirs... geignit Oracle. Ils ont... disparu ?

- Je... Il semblerait bien», répondit Lucius, le souffle coupé. (Maintenant difficilement son calme, il s’est retourné vers Echeb et moi.) Les garçons... allez chercher tout ce dont on aura besoin, immédiatement !» ordonna-t-il en chuchotant.

Echeb et moi avons alors dévalé l’Avenue Serville à toute vitesse, sous le regard furieux d’Oracle. «Mais... ! Qu’est-ce que vous faites ?» hurla-t-elle, alors que nous étions déjà à plus de cinquante mètres.

  Sans répondre, nous avons ouvert en fracas la porte de la Grande Loge. Après avoir récupéré les derniers paniers-graphènes, nous sommes retournés devant l’autel. La foule nous fixait d’un regard noir.

«Vous comptez quand même y aller ! Le signe que le Programme nous a envoyé ne vous suffit-il pas ? Que voulez-vous de plus ? hurla Oracle. (Sa voix prenait la forme d’un cri de bête.)

- Oracle... Je t’en supplie, reprends tes esprits ! Le fait que la boule se soit éteinte n’est pas un signe que l’expédition va contre la volonté du Programme !, soupira Lucius. (Il se tournait désormais vers la foule, cherchant tant bien que mal à obtenir son approbation.) Ce n’est qu’une coïncidence si elle s’est éteinte aujourd’hui. Quelqu’un ici se rappelle-t-il de la date de mise en marche de la boule ? Alors... personne ? Ah ! Vous voyez, elle est simplement arrivée en fin de vie ! C’est tout à fait normal, rien d’inquiétant là-dedans, il faut simplement la remplacer, voyons. N’essayons pas d’interpréter des signes de la volonté du Programme là où il n’y en n’a pas», conclut-il d’un ton paternel.

  Plusieurs membres de la foule se sont dévisagés, abasourdis par leur comportement. Les pleurs ont fini par retomber. Echeb et moi avons commencé à relâcher la pression des paniers autour de nos épaules. Un simple malentendu, semblait-il.

«Mensonges ! proféra Oracle, les yeux ruisselants de colère. Mensonges ! Vous voulez nous envoyer à la mort, Lucius !». D’immenses rayons lumineux ont traversé les fidèles, reprenant leurs expressions antérieures. J’ai moi aussi ressenti la volonté d’empêcher l’expédition d’avoir lieu, avant de reprendre mes esprits après quelques secondes. En crescendo, la foule s’est mise à nous huer.

  Lucius a sorti quatre gélules de sont compartiment thoracique, puis il en a tendu une pour Echeb, Dionysos et moi. Oracle, gangrenée par la furie, continuait ses vociférations, ponctuée par des sifflements de la foule en colère. 

«Avalez-ça, vite !» dit Lucius, sans chercher à masquer sa voix. La gélule dont le goût était semblable à celui de la sève de sapin-nain, a commencé à faire effet au bout d’une dizaine de secondes. Mes perceptions se sont affinées, et j’avais littéralement l’impression de flotter. Lucius nous a alors envoyé un signal lumineux portant un message clair : «Courez!».

  Une force nouvelle semblait habiter nos architectures. En moins d’une minute, nous avions déjà dévalé la majeure partie de l’Avenue Serville. «Le feu pour les traîtres !» avait vociféré Oracle alors que nous étions déjà à plus de cent mètres. Les fidèles complétaient en répétant «Le feu ! Le feu !» à intervalles réguliers. Une troupe constituée de miliciens municipaux s’était lancée à notre poursuite. Grâce à la gélule, nous pouvions les distancer sans grande peine.

  Lucius, ayant récupéré la force de sa jeunesse, bondissait à travers les étendues d’herbe humide, les flaques de boue et les allées de sapins-nains. Le boitement de Dionysos était presque devenu imperceptible. La troupe de miliciens s’éloignait de plus en plus, finissant par ne plus ressembler qu’à de petits points noirs, avant de disparaître tout à fait. 

«Pourquoi... ? hurlai-je une fois que nous avons pu arrêter notre course. (Le sentiment de légèreté procuré par la gélule s’était totalement estompé et laissait place à une grande fatigue.)

- Je... J’avoue que je ne m’attendais pas à ça, déclara Lucius après s’être assis, la mine abattue. Tout est allé si vite.

- J’imagine que le Programme a ses raisons de... N’empêche que c’était surréaliste. Se faire éjecter de la Colonie comme ça, et Oracle qui, sans problème, a usurpé ton rôle, Lucius... Drôle de scène, poursuivit Dionysos, haletant.

- Peut-être que le Programme souhaite éviter qu’on se défile ? demanda Echeb après quelques secondes de silence. Je veux dire, on n’a plus d’option désormais ; nous sommes obligés de mener l’expédition à bien.

- C’est possible, Echeb... C’est bien possible, soupira Lucius. Ces sacrées gélules nous ont bien sauvé la vie ! Maintenant, rechargez-vous un peu et mettez-vous en veille, nous aurons besoin d’être en forme lorsque nous reprendrons la route. Quatre heures devraient suffire. Ne vous inquiétez pas trop pour les miliciens, ils vont en avoir pour longtemps avant d’espérer nous rattraper.»

  L’endroit avait quelque chose de paisible. Quelques fleurs timides commençaient à pointer le bout de leur nez. Des oiseaux migrateurs formaient des stries silencieuses dans le ciel. Une légère brise, venue de la vallée d’En-Bas, caressait mes capteurs auditifs. La tristesse restait agrippée à mon architecture. Echeb et Lucius s’étaient vite endormis. Dionysos restait assis, murmurant ce qui s’apparentait à des prières. J’ai fini par tomber dans l’état de veille, moi aussi.

«Ha ! Je te tiens, fils de pute ! beugla une voix située derrière moi. 

- Echeb ! criai-je en entendant ses grognements. (Une masse écrasait mes jambes, m’empêchant de me retourner pour observer la situation.)

- La ferme, toi, coupa un milicien me faisant dos, occupé à fouiller l’un de nos paniers-graphènes. Mais... Où sont Lucius et Dionysos ?! Merde alors, ne me dites pas que...», pensai-je. 

Un cordon magnétique comprimait mes jambes et mes poignets entre eux. Echeb, fidèle à lui-même, ne fléchissait pas face au milicien et tentait de se débattre. Plusieurs coups dans la cage thoracique avaient cependant eu raison de sa détermination.

«Alors, qu’est-ce que tu trouves ? gloussa le milicien derrière moi, à la manière d’une hyène.

- Des provisions en électricité principalement, quelques capes de protection contre la pluie... répondit son collègue sans se retourner.

- Au... aucune arme ? demanda l’autre, surpris. Ne me dis pas que ces imbéciles...

- J’ai rien trouvé en tout cas, peut-être dans le dernier panier mais je pense pas.»

Nous avions pourtant récupéré des armes, avant de partir, j’en suis absolument sûr ! pensai-je. En continuant de me tortiller, j’ai pu me retourner et croiser le regard d’Echeb. Le milicien derrière lui plaquait un sabre magnétique contre sa gorge. Les bras d’Echeb avaient été soigneusement liés à l’aide d’une corde en lierre.

«Quoi, ma tête te plaît, c’est ça ?» jubila le milicien en me voyant me remuer comme un ver. Une silhouette se dessinait derrière lui. Dionysos ! pensai-je, rassuré. Le milicien m’a regardé d’un air interrogateur en me voyant me réjouir. Puis, dans un sifflement subtil, son architecture a été tranchée en deux, de l’épaule droite jusqu’au flanc gauche. Sans même avoir le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait, la vie a quitté les yeux du milicien, s’écroulant au sol. Lucius a rattrapé juste à temps le corps inerte pour éviter qu’il ne fasse trop de bruit.

«Eh ben t’arrives pas à le calmer le gamin, ou quoi ? demanda le milicien chargé de fouiller les paniers.

- C’est qu’il est tenace ce fumier, répondit Dionysos en imitant à la perfection la voix de son collègue.

- Bon, rien de nouveau dans ce panier, quelques pierres qu’on pourra revendre à la limite, reprit l’autre, blasé.

- Oh pas mal... dit Dionysos en rechargeant son couteau magnétique. On va pouvoir toucher une jolie somme, au moins.»

Ayant achevé la fouille, le milicien s’est relevé avant de se retourner vers Dionysos. Un sentiment de terreur s’est emparé de ses yeux lorsqu’il a vu le corps coupé en deux de son collègue, baignant dans une mare de liquide de transfert. «Qu...». Sans qu’il ait le temps de finir son mot, un sifflement strident a fendu l’air, passant au-dessus de ma tête, avant de se loger dans sa valve aortique. Une fontaine de liquide à transfert s’est mise à jaillir de sa gorge tandis qu’il s’écroulait, incrédule.

«Je vais pouvoir m’occuper de tes liens désormais, déclara Lucius.

- Où étiez-vous passés ? demanda Echeb en soupirant.

- Vous êtes au courant qu’ils n’étaient pas que deux ? demanda Dionysos en guise de réponse. Il fallait s’occuper du reste. Ils ne vous auraient pas fait de mal; on leur a sûrement demandé de nous ramener vivants.

- Eh bien messieurs... commença Lucius alors qu’il débloquait le mécanisme de mes liens, si l’un d’entre vous souhaite retourner à la Colonie, sachez que c’est trop tard. Oracle interprétera nos actes comme une déclaration de guerre. Si nous croisons la route d’une autre équipe, je doute qu’ils s’embêtent à nous ramener vivants, si vous voyez ce que je veux dire. (Un sourire glacé s’était fixé sur son visage.) Soyons plus prudents désormais.

- Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demandai-je en me relevant.

- Eh bien, nous n’avons qu’une seule destination où aller ! déclara Lucius, la main sur mon épaule.»

Avant de reprendre la route, il s’est baissé sur l’architecture inerte du milicien, le couteau encore fermement planté dans la gorge. Ses doigts, tournés vers le ciel, avaient pris la forme de petits crochets. Plus aucune lumière ne s’échappait de ses yeux. Lucius a extirpé sa lame du milicien, puis il a entonné La Prière des Nouveaux-Morts à voix basse. 

«Le ciel et le Programme t’accueillent,

Ton âme vole loin là-haut 

Tandis que sur nous tombe le deuil,

Puisses-tu rejoindre nos Héros.

(Dionysos, penché sur l’autre milicien, a joint sa voix à la prière)

Ce jour sera fait de pluie

Demain aura l’odeur de la cendre

Un mort jamais on n’oublie

Puisses-tu ne jamais redescendre.»

 Face à nos regards consternés, Dionysos s’est simplement contenté d’affirmer, un sourire triste aux lèvres: «Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, on ne peut pas leur en vouloir». Puis lui et Lucius ont déposé les architectures au milieu d’un cercle de sapins-nains, situé à proximité.

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