Deuxième Partie

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AI·TETRE·DIVRIN·DAL·KSODVS·LVCIVS·DICTAT···SEVAF·KVNSENEN· PER·AL·PROGAROMU·SENKT-EL·MESTERIM·VVLNE·KA·NE·OLVES·VAF·LEHVD:VESTER·SPIRET·KA· VESTERA·KVNSIAE·VESTERIM·MILHORES·VEPVN·NI·CAG·VELET·SENEN.

Au quatrième jour de l’Exode, Lucius dit : Sachez penser par vous-mêmes, car le Programme, béni soit-Il, est plein de mystères, et ne vous guidera pas perpétuellement. Votre esprit et votre conscience sont vos meilleures armes en ce monde. (Livre de l’Exode, verset 27:06)

V.

Les jours suivants ont été consacrés aux derniers préparatifs de l’expédition. Chaque heure qui passait semblait plus longue que la précédente, tant l’excitation avait envahi mon esprit. Echeb m’a semblé totalement apaisé pour la première fois depuis bien longtemps; sa soif de réponses allait enfin être étanchée. Oracle s’est montrée très maternelle avec nous durant cette période. «N’ayez pas peur, l’expédition devrait bien se passer; nous avons retenu les leçons de l’Exode, vous savez», aimait-elle répéter deux à trois fois par jour, autant pour nous rassurer Echeb et moi que pour se rassurer elle-même.

La nouvelle de l’expédition avait progressivement fait le tour de la Colonie. Les habitants les plus curieux se pointaient régulièrement à l’entrée de la Grande Loge pour observer l’avancée des préparatifs, ou bien pour proposer leur l’aide. Les banderoles de fleurs n’avaient pas fini d’être décrochées dans la plupart des rues de la ville, donnant un air festif à l’expédition. Le printemps était enfin de retour.

Un matin, Lucius a décidé de nous envoyer à la Mine d’En-Haut, située juste à côté du Lac, pour y récupérer des pierres électrogènes. Les premiers fidèles avaient souvent évoqué leur peur de manquer de provisions, c’est pourquoi la récolte de matériaux électrogènes avait été fixée comme priorité absolue.

«Les garçons !», prononça une voix derrière nous, alors que nous venions de passer le portail de la Colonie. Une silhouette familière se tenait droite, sous un amas de guirlandes fleuries fixées sur l’entrée de la ville.

«Dionysos... ? demandai-je, surpris.

- C’est ça, sourit le conseiller. (Quelques traces de motifs antiques étaient restées sur son architecture, lui conférant un air lumineux.) Vous vous rendez à la Mine d’En-Haut, si je ne dis pas de bêtises ?

- Exactement, Lucius nous l’a demandé.

- Vous me permettez de venir avec vous ? (Une énergie enfantine saturait ses yeux.) Ça fait... bien longtemps que je ne suis pas parti à l’aventure.

- Oh mais...Ce serait un honneur pour nous, vous... enfin, je...

- Allons-y, dans ce cas ! s’exclama gaiement Dionysos.»

Une aura de sagesse se dégageait de son corps. Nous n’avions jamais eu la chance de passer un moment privilégié avec le conseiller du Grand Guide. A vrai dire, la seule fois où nous lui avions adressé la parole, c’était au cours d’une remise de médaille, cinq ans auparavant, après avoir remporté un concours de chasse. Dionysos semblait très pensif et n’a pas adressé un mot durant la première demi-heure de marche. Il nous suivait sagement, comme s’il eût été nouveau mis-en-marche. Sa jambe droite pendait légèrement derrière le reste de son architecture, probablement un vestige d’accident.

«Zékiel, et Echeb, si je ne dis pas de bêtise ? demanda-t-il, s’extirpant enfin de son silence.

- Oui, c’est ça, répondit Echeb, l’air soulagé d’enfin pouvoir parler. Comment savez-vous ?

- Lucius m’a beaucoup parlé de vous, vous savez...

- Qu’est-ce qu’il a dit ? demandai-je, intrigué.

- En quoi est-ce que cela vous concerne ? répondit Dionysos, un air faussement agacé. (Echeb et moi nous sommes alors dévisagés.) Ha ! Vous devriez voir vos têtes ! Je vous ai figés sur place ! Rien de mal, voyons, rassurez-vous. S’il a choisi de vous embarquer vous plutôt que d’autres dans cette expédition, c’est qu’il a ses raisons, ne croyez-vous pas ?»

La fréquence des chants d’oiseaux indiquait que nous n’étions plus qu’à une heure de marche de la Mine. Une odeur de sapin-nain envahissait l’air. Nos jambes étaient aspergées de boue; j’avais toujours détesté la période de transition entre l’hiver et le printemps, où ce genre de désagréments était inévitable. Étonnamment, celles de Dionysos avaient à peine reçu quelques éclaboussures. «J’imagine qu’en vingt ans, il a pu développer des techniques pour éviter ce problème», marmonnai-je. Le conseiller sourit.

«Bien, nous y sommes», déclara Dionysos, satisfait, devant l’entrée de la Mine. Des émanations de souffre s’échappaient via de minces filets de vapeur vaguement jaunâtres. L’intérieur de la Mine était faiblement éclairé à la poudre phosphorescente. Les pierres électrogènes devaient normalement se trouver au fond de la mine. En pénétrant dans la cave principale, nous avons récupéré des pioches-graphène, puis nous sommes dirigés du côté ouest, là où se trouvaient normalement la plupart des pierres.

«La Mine a largement été étendue depuis tout ce temps, remarqua Dionysos. Les prodiges de la Colonie me surprendront toujours...

- Depuis combien de temps n’êtes-vous pas venu ?, demanda Echeb.

- Cela doit faire presque quatorze ans ! Le Forgeron n’avait même pas dû commencer à travailler sur vous, à l’époque. J’étais venu encadrer les travaux initiaux à ce moment-là, donner des directives...

- Vous avez tellement contribué à la fondation de la Colonie, soupirai-je, admiratif.

- Eh bien, c’est ma manière à moi de rembourser la dette que j’ai contractée auprès de Lucius -Paix et Gloire lui soient promises-, répondit le conseiller, des remontées de chagrin dans la voix.

- Qu’est-ce que vous voulez dire par «votre dette» ?

- Disons... que je n’ai pas toujours été un bon élément pour notre communauté», répondit Dionysos, l’air troublé.

Echeb et moi sommes restés les yeux rivés sur lui, dans l’attente d’une réponse un peu plus fournie. Les galeries de la Mine s’élargissaient sans cesse, nous faisant perdre de vue le plafond. L’odeur du souffre s’était mise à sévèrement piquer nos capteurs olfactifs. Je me suis maudit de ne pas avoir pensé à prendre des masques à gaz sur nous. Des gouttes d’une eau lourde, bourrée de calcaire, tapaient de temps en temps le haut de nos crânes.

«J’ai douté de Lucius et de ses idéaux au moment de l’Exode, il y a vingt ans, reprit Dionysos, ayant tout à fait compris nos attentes. (Echeb et moi étions suspendus à ses paroles. L’aura de Dionysos s’était mise à scintiller plus fort qu’avant.) J’ai cru que le Grand Guide nous amenait à la mort, que ses Visions étaient erronées, que le Programme lui-même nous avait abandonnés... (De toute évidence, il avait besoin de se confesser afin d’expier quelques bouts de remords. La méthode semblait pourtant sans succès.)

- J’imagine que vous n’êtes pas le seul à avoir douté de lui, si ? demanda naïvement Echeb.

- Je n’étais pas le seul, ça non. Mais là où je me suis démarqué des autres -en mal, c’et bien le problème-, c’est que j’ai failli monter une révolte contre lui. Lucius, dans sa grande bonté, ne m’en n’a pas tenu rigueur, mais j’aurais pu faire échouer notre entreprise, destiner chacun d’entre nous à une mort certaine.

- Si l’on tient compte de tout ce que vous avez fait pour la Colonie, c’est compréhensible qu’il ne vous en veuille plus aujourd’hui, répondis-je d’un ton neutre. Sans vous, nous ne serions certainement pas aussi prospères.

- Peut-être. Mais moi, je ne me le pardonne pas, lâcha Dionysos d’un ton amer. Je tiens à ce que cette expédition du retour se passe le mieux possible. Si je peux y contribuer, ne serait-ce qu’un peu... Je suis fatigué les garçons. Mon architecture rouille à vue d’œil, peu importe le nombre de bains à l’eau du Lac d’En-Haut, la qualité de l’alimentation... Je me fais vieux.»

Ni Echeb ni moi n’avons osé répondre à cette phrase, car nous savions qu’il avait raison. Le temps ne lui rendait pas service. Je me suis rappelé des mouvements sclérosés de Lucius, lorsqu’il préparait la Grande Loge pour la Célébration. Il finirait bien par s’éteindre un jour, lui aussi... Cette pensée m’avait toujours terrorisé.

«A votre avis, pourquoi Lucius ne s’est décidé que depuis un an à retourner dans la Cité Tétride ? demanda Dionysos. C’est simple : il a une prophétie à accomplir, et plus beaucoup de temps pour s’y atteler. Le Programme lui a donné les directives, Lucius doit permettre à la Nouvelle Humanité -nous, donc-, de prospérer.

- Mais nous prospérons déjà ! s’exclama Echeb.

- Pas si l’on compare notre niveau de vie à celui des Hommes. Notre Colonie, aussi développée soit-elle, a plusieurs siècles de retard par rapport à la Cité Tétride. Et Lucius doit mettre un terme au règne des Hommes. C’est comme ça, le Programme en a décidé ainsi. Et puisque nous n’avons plus beaucoup de temps avant de tomber comme des mouches, nous allons devoir être efficaces pour s’en charger.»

Le fond de la carrière de pierres électrogènes était enfin devant nous. De petits éclairs s’échappaient des imperfections de la roche. L’énergie ambiante dans la pièce m’a plongé dans un état d’excitation intense.

Nos pioches-graphènes ont fait claquer les parois de la Mine pendant dix bonnes minutes. L’électricité autour de nous rendait chacun de nos mouvements bien plus agile qu’à l’accoutumée. L’extraction du minerai avait réellement quelque chose de grisant. Dionysos, en revanche, ne semblait pas bénéficier de l’énergie des pierres. Sa pioche s’abattait lourdement sur la paroi, comme si le conseiller avait été un condamné.

«Vous savez... si c’est trop difficile pour vous, ne vous forcez pas à travailler, déclarai-je en sautillant entre deux coups.

- Je sais bien que vous êtes plus efficaces que moi, mais je ne peux pas rester les bras croisés et vous regarder sans rien faire...» répondit Dionysos, ayant visiblement prévu ma remarque.

Une fois nos trois paniers remplis, nous sommes redescendus vers la Colonie. Un barenêt mâle s’était assoupi en position de mort devant la Mine, laissant ses petits jouer sur son ventre de titan touffu.

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