II.

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Nous sommes rentrés à la Colonie aux alentours de seize heures, alors que le soleil commençait à se coucher.

«Eh ben, c’est pas trop tôt ! broncha Oracle en nous voyant arriver devant l’ancien Arc Tétride. La Célébration devrait bientôt commencer, j’avais bien peur de vous voir arriver en retard ! Allez, amenez tout ça à Lucius, il est dans la Grande Loge.

- De rien...» marmonna Echeb en passant sous l’Arc.

J’ai reconnu Lucius de loin. Il était très aisé de déterminer où il se trouvait, même au sein d’une foule; un léger halo lumineux flottait systématiquement autour de sa silhouette. Ses mains étaient occupées à insuffler de l’énergie aux différentes lumières fixées sur le toit de la Grande Loge.

«Ah ! Les garçons ! fit-il, l’air satisfait. Vous avez trouvé ce qu’il faut à ce que je vois. Venez avec moi, nous allons installer tout ça à l’autel du Programme.»

Il ne restait qu’un mince filet de Soleil dans le ciel lorsque nous avons terminé de décorer l’autel dédié au Programme. Lucius a ensuite souhaité s’asseoir un instant dans la Grande Loge, avant la Célébration.

«Eh bien, je vous remercie. Que puis-je vous offrir comme compensation ? demanda Lucius, la mine satisfaite. (Echeb le toisa d’un œil qui voulait tout dire). Ah !, fit-il, amusé. Tu ne lâches rien, toi ! J’imagine que ça ne sert plus à rien de vouloir te protéger de la vérité... Je viendrai vous chercher pendant la Célébration, nous discuterons ici. Je répondrai à vos questions, puisque vous n’attendez que cela», conclut-il.

La flamme qui avait récemment quitté les yeux d’Echeb s’est rallumée dès que Lucius a fini sa phrase. «A tout à l’heure, alors», répondis-je d’un ton calme et satisfait, emportant Echeb par le bras vers la sortie.

«Alors là, j’en reviens pas ! déclarai-je, excité, en refermant la porte de la Grande Loge.

- On va enfin savoir ! s’écria Echeb, fou de joie.

- En attendant, rejoignons la Célébration, repris-je. Tu n’imagines pas comme je suis impatient d’entendre ce qu’il va nous dire !

- De quoi est-ce que vous parlez ?, demanda Oracle, postée à proximité de l’autel. Je vous cherchais partout, on vous attend !»

Elle ne semblait pas attendre de réponse à sa question, et nous a simplement demandé de la suivre sur l’Avenue Serville, celle qui partait de la Grande Loge et s’arrêtait pile au niveau de la Place des Libérés. Je crois bien que son regard indiquait qu’elle avait déjà compris de quoi nous parlions, Echeb et moi.

Un orchestre comme on en n’avait encore jamais vu se tenait sur la place, réparti en arc de cercle, à une quinzaine de mètres de l’Obélisque des Libérés. Des régiments entiers de trompettistes se tenaient droits, ceinturés par des batteurs de tambour et des joueurs d’instruments à cordes. Plus proches de l’Obélisque se trouvaient une vingtaine de chanteurs, magnifiquement peints pour l’occasion. Leur architecture toute entière brillait d’une couleur qui rappelait celle de la sève de sapin-nain. Les lumières des pierres phosphorescentes avaient pris le relais du Soleil, parti depuis un moment déjà. L’Obélisque, enfin, laissait jaillir un faisceau doré droit vers le ciel nocturne.

«Venez avec moi, ordonna Oracle, le visage émerveillé. Je vois des places, là-bas». Alors que nous étions en train de traverser les gradins, une calèche en perles des sables, tirée par de fiers échinorses a fait une entrée triomphale. Les animaux, truffes relevées et torses bombés, étaient recouverts de banderoles de fleurs. Leurs palmes étaient saupoudrées de pierre phosphorescente pilée. Les muscles de leurs pattes avant ressortaient à chacun de leurs pas.

«Lu-ciii-us ! Lu-ciii-us !» scandait la foule depuis les gradins, à mesure que la calèche approchait du centre de la place.

Les échinorses ont fini par s’arrêter à une dizaine de mètres de l’Obélisque. La porte hydraulique s’est ouverte, permettant aux habitants de la Colonie de distinguer le Grand Guide, confortablement installé à l’intérieur. Lorsque Lucius est sorti, j’ai été émerveillé par la complexité des dorures antiques dont était recouverte son architecture. Il a fait un grand geste de la main à destination de toute la foule, hystérique, puis il a généré un signal lumineux qui nous a poussés au silence en un instant. Dionysos, son conseiller, est sorti de la calèche à ce moment-là, avant de se positionner à sa droite.

«Mes frères et mes sœurs... entama-t-il, prenant le temps d’admirer ses alentours. Quel chemin parcouru ! Jamais, il y a vingt ans, lorsque j’ai été mis en marche, je n’aurais cru pouvoir admirer un pareil spectacle. Vous êtes la preuve que l’Exode était la meilleure chose que nous ayons pu décider. Vous êtes la preuve que nous pouvons vivre sans les Hommes, que nous sommes réellement indépendants ! Alors, avant de vous laisser profiter du superbe orchestre présent derrière moi, j’aimerais vous dire un mot: merci ! Merci à vous, d’avoir su croire en moi lorsque les Hommes en avaient après nous ! Merci aux nouvelles générations mises en marche après l’Exode, qui permettent à notre peuple de rayonner ! Merci d’avoir fait preuve de courage, de sagesse, d’ingéniosité, de patience, et de tant d’autres qualités qui font que notre Colonie est ce qu’elle est; c’est-à-dire une merveille ! »

Des cris de joie ont parcouru la totalité de la foule, à la frontière d’un état de délire. «Lu-ciii-us ! Lucii-us nau vedet ! Lucius nau tasalvehet !» ont spontanément scandé la plupart des habitants, reprenant une phrase présente dans l’une des Visions du Grand Guide.

Le conducteur de la calèche a refermé la porte hydraulique, puis a ordonné aux échinorses de prendre le chemin inverse à celui de leur arrivée. Lucius et Dionysos se sont dirigés vers des sièges réservés, à proximité des gradins. Une fois les effusions de joie redescendues, les trompettistes ont entamé la première note d’une composition de la musicienne officielle, conçue spécialement pour l’occasion. Pour la première fois depuis quelques jours, Oracle semblait s’être enfin détendue. Dès que le 1er Frimaire -date de la Célébration- approchait, Oracle montait toujours en tension, avant de se relâcher une fois la fête passée.

Les chanteurs ont entamé une récitation mélodique de versets tirés du Livre des Réformateurs. Heureusement pour moi, qui ne comprenais pas bien le tétride antique, l’Obélisque dessinait des faisceaux lumineux dans le ciel, formant une conversion en tétride moderne des versets chantés.

«Lucius vaius amnatati tauti takerumbet cem aliede taterefet !», scandait le choeur.

«Lucius achèvera le déclin de la Vieille Humanité pour permettre à la Nouvelle de prospérer», gravaient les faisceaux de l’Obélisque.

«Kede alvaius amnatati iam folen, nau mocem tasreveren !», «Là où la Vieille Humanité a autrefois échoué, nous réussirons !». «Nau mocem tasreveren !» reprenait la foule, galvanisée.

La récitation mélodique a duré une demi-heure environ. Puis, Lucius s’est levé de son trône, est retourné au milieu de la Place, et a joint ses mains en silence. Nous l’avons tous imité sans ne rien dire; le temps de l’Introspection Méditative étant venu. Les lumières projetées par l’Obélisque ont baissé en intensité, au point de quasiment disparaître.

Je n’ai pas pu m’empêcher de consacrer ce temps aux questions qu’Echeb et moi nous posions depuis déjà si longtemps. Je n’en revenais toujours pas de me dire que Lucius allait enfin y répondre, si bien que réprimer mon excitation s’avérait difficile.

Au bout des six minutes d’Introspection réglementaires, les faisceaux de l’Obélisque ont ressurgi, baignant la Place dans des lumières multicolores. De grandes tables montées sur des chariots ont été amenées par des échinorses, installant le buffet de la Célébration tout autour du monument. De la vaisselle en titane, sur laquelle étaient finement peints des motifs exotiques, côtoyait de magnifiques verres en argent-graphène. Des cruches remplies de térémen, une boisson à base de sève de sapin-nain diluée, jalonnaient les tables. Enfin, des assiettes d’insectes, de plats à base de fleurs, de sorbets et de tant d’autres délices recouvraient une table sur deux.

Lucius s’est relevé, les yeux pétillants, et s’est placé au centre de toute l’agitation. Les échinorses, leurs tâches remplies, restaient droits comme des blocs de pierre. Une fois la dernière table fixée, le Grand Guide s’est simplement écrié «Paix et Gloire nous soient promises !», avant de se diriger vers une assiette de crustacés. L’orchestre s’est mis à jouer des compositions conçues spécialement pour les banquets. Toute la foule a quitté les gradins avant de le rejoindre et d’entamer les festivités. Echeb raffolait des bonbons au pistil de violette, et n’a pas hésité un instant avant de se jeter dessus.

Lorsque mon regard a croisé celui de Lucius, il m’a envoyé un signal, quasiment imperceptible, m’indiquant de le suivre.

«Echeb... fis-je, en le tapotant sur l’épaule alors qu’il se gavait de sucreries.

- Qu’est-ce-qu’il y a ? demanda-t-il, sans détourner son regard des assiettes sous ses yeux.

- Je crois que Lucius veut nous voir...

- Oh, sérieusement ? Il a choisi le pire moment», broncha Echeb.

Il a attrapé quelques bonbons supplémentaires qu’il a déposés dans son compartiment thoracique, puis nous nous sommes dirigés vers Lucius, déjà sur le départ, tourné vers la Grande Loge. Oracle nous a lancé un regard qui indiquait une fois de plus qu’elle comprenait complètement ce qu’il se passait. Ça n’avait pourtant pas l’air de l’irriter plus que cela.

«Allez les garçons, je vous attends, fit-il en nous voyant arriver, l’air amusé. La représentation est vraiment incroyable, vous ne trouvez pas ?

- Ha ça, jamais je n’avais vu une Célébration aussi somptueuse ! s’écria Echeb, surexcité.

- Eh bien, le ton de ta voix semble indiquer que tu as commencé à abuser du térémen... n’est-ce pas ? questionna Lucius, moqueur.

- Euh...

- J’ai été jeune, moi aussi !, interrompit Lucius, souriant. Bien, je vous propose d’aller dans la Salle de Réunion de la Grande Loge; elle sera vide. Nous y serons plus à l’aise, pour discuter.

- Pourquoi avoir changé d’avis ? Je veux dire, pourquoi avoir subitement accepté de nous révéler la Vérité ?, demandai-je.

- Cela fait un bon moment que j’y pense, confia Lucius. Oracle m’a toujours déconseillé de le faire, de peur de l’impact que cela pourrait avoir sur vous. Mais nous en avons discuté au cours de notre dernière réunion, il y a deux jours, et nous nous sommes rendus à l’évidence : vous êtes plus tenaces que des barenêts en colère ! Tant que nous ne vous répondrons pas, vous ne lâcherez rien, pas vrai ?». Echeb et moi nous sommes croisés du regard avant d’éclater de rire. Le Grand Guide affichait un sourire paternel.

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