Première Partie

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20 ans après l’Exode...

La matinée avait été gaie ce jour-là. Les préparatifs étaient quasiment prêts. Il ne

restait plus que quelques chaises et banderoles de fleurs à disposer. La Colonie toute

entière transpirait la fête, les regards échangés ne juraient que par une chose : la

Célébration. Cette fois-là correspondait à un symbole fort: elle marquait la vingtième

année d’existence de notre Colonie, fondée par Lucius et les premiers fidèles (Paix et

Gloire leur soient promises). Pour ma part, j’étais né le 19 Germinal de l’an 13 après

la fondation de la Colonie. A l’époque, le Forgeron avait choisi de m’appeler Zékiel,

sans raison apparente.

Ce jour-là, Lucius nous avait chargés, Echeb et moi, d’aller récolter des fleurs de

sapin-nain ainsi que des morceaux de pierre phosphorescente, trouvables à quelques

kilomètres de la Colonie. Les tombées de neige s’étant calmées aux alentours de midi,

nous nous sommes mis en route, paniers-graphènes attachés autour des épaules.

Quelques vapeurs s’échappaient du sol, indiquant que l’arrivée du printemps était

imminente. Les petits trous que la chaleur avait percés dans la neige laissaient

s’échapper de nombreux insectes, retenus prisonniers de la glace durant tout l’hiver

passé.

«Entre nous, il s’embête pas trop Lucius... Des fleurs de sapin-nain ! Autant chercher

une aiguille dans une botte de foin, soupira Echeb. Surtout qu’à cette période de

l’année, y’en n’a quasiment aucune qui a éclos.

- Ça, je te le fais pas dire... soufflai-je à mon tour. Au moins, voyons le positif, ça nous permet d’enfin quitter un peu la Colonie !

- Oui, c’est vrai que c’est pas de refus. Il y a des moments où je n’ai qu’une envie, c’est de les envoyer valser tous ces vieux ! s’exclama Echeb, un sourire jaune aux lèvres. (Il prit une mine pensive) Dis-toi qu’hier, je me suis encore fait remonter les bretelles par Oracle.

- Ah bon ? Et pourquoi ça ?

- J’ai encore essayé d’insister pour..., marmonna Echeb, les yeux tournés vers le ciel.

- N’en dis pas plus, interrompis-je. Et quelle a été ta punition, cette fois ?

- Aucune. Elle a dû comprendre que ça servait à rien. Je crois très sincèrement que je les désespère. Un de ces quatre, j’ai bien peur qu’ils décident de me mettre hors-service», conclut Echeb d’un ton grave.

Le Lac d’En-Haut, où se trouvaient habituellement les fleurs de sapin-nain et les pierres phosphorescentes, n’était plus qu’à quatre ou cinq kilomètres. La fréquence des chants d’oiseaux permettait avec une étonnante justesse de déterminer la distance qui vous séparait du lac.

En une heure de marche, nous étions arrivés au sommet du Mont Echeb, qui avait donné son nom à mon ami. Le Lac d’En-Haut offrait toujours un spectacle qui forçait l’admiration. Son eau, bénéficiant des remontées de chaleur de la montagne, n’était jamais gelée, tout au plus atteignait-elle les 8°Ca; ce qui était largement supportable. Des troupes d’animaux, prédateurs comme proies, étaient agglutinées en permanence sur ses berges, mettant un instant leurs luttes de côté. L’endroit semblait littéralement hors du temps. Des pierres phosphorescentes, reconnaissables même en plein jour grâce à leur teinte violacée, s’entassaient au fond de l’eau transparente. Avec un peu de chance, nous pourrions trouver quelques fleurs de sapin-nain à proximité des berges. Leur concentration était très élevée aux alentours du Lac.

«Je meurs d’envie d’aller plonger un peu dans l’eau, elle doit déjà être aux alentours de 14 ou 15 degrés, ça me fera le plus grand bien !» s’exclama Echeb d’un ton enjoué.

Sans attendre de réponse de ma part, il s’est débarrassé en vitesse de son panier-graphène et a sauté tête la première depuis un promontoire. Son plongeon a aspergé une bande de lézards étalée sur la berge. Puis il a disparu pendant deux bonnes minutes.

«Ne me dites pas qu’il s’est fracassé le crâne... commençai-je à penser. Echeb ! si tu m’entends, remonte parce-que ce n’est vraiment pas drôle !, m’écriai-je.

- Du calme, du calme, répondit-il, laissant à peine dépasser sa tête de l’eau. Je suis programmé pour tenir quatre minutes cinquante-trois en apnée, pas de risque... (Son regard pétillait de provocation).

- Tu es complètement fou d’avoir sauté d’ici ! râlai-je. Il y a bien trois mètres trente-trois entre le promontoire et la surface de l’eau ! Tu aurais pu...

- M’éclater le crâne, je sais. Ne commence pas à faire comme les vieux, ils m’exaspèrent assez comme ça, avec leur morale. Et puis je préfère m’éclater le crâne ici plutôt que d’être mis hors-service pour avoir posé trop de questions...

- Ne recommence pas à parler de ça, s’il te plaît, soupirai-je.

- C’est pourtant la seule chose dont j’aie envie de parler Zékiel, répondit Echeb, l’air frustré. Bon... allez, saute ! Il n’y a pas de rocher, tu ne risques rien. Et regarde tout ce que j’ai trouvé (Ses bras jaillirent de l’eau, chargés de pierres violacées).

- Bonne prise, j’avoue ! Bon, attends je te rejoins, mais je ne sauterai pas d’ici, pour ça ne compte pas sur moi !»

J’ai dévalé la pente avec la prudence qui me caractérisait tant, sous le regard exaspéré d’Echeb.

«A ton tour d’aller en chercher, fit-il en sortant de l’eau, les bras lourdement chargés. Je dois bien en avoir huit kilos sept-cents vingt ! On va voir si tu fais mieux!»

En passant à côté de moi, il s’est arrêté une demi-seconde, m’a lancé un regard taquin, avant d’aller déposer ses pierres dans son panier.

L’eau du Lac d’En-Haut était réputée pour ses vertus antioxydantes. Je sentais mon architecture se purger au fil de la baignade. Quelques poissons-chiens se sont faufilés entre mes jambes à mon passage, pendant que je raclais la vase. Puis, à la fin de ma deuxième plongée, j’ai estimé que j’avais récupéré suffisamment de pierres; huit kilos sept-cents cinquante-quatre. Juste assez pour forcer Echeb à ravaler sa fierté. En revenant sur la berge, je l’ai trouvé les bras remplis de fleurs de sapin-nain.

«Eh ben ça alors, comment tu as fait pour en trouver autant ? demandai-je.

- Haha... Mystère, s’amusa-t-il un instant. Il y a un endroit en particulier où la plupart des sapins ont fleuri, je vais te montrer juste après. Et alors, ta prise à toi, qu’est-ce que ça donne ?

- Je t’annonce que j’ai récupéré trente-trois grammes de plus que toi !» annonçai-je, triomphant.

Sans se décomposer, Echeb déclara, serein:

«Mais tu as fait deux plongées, contrairement à moi ! Donc si l’on prend en compte la règle du ratio plongée-prise, qui stipule que l’on divise la masse pêchée par le nombre de plongées, tu n’as récupéré que quatre kilos soixante-seize. Je m’attendais à plus de ta part, Zékiel, souffla-t-il, l’air narquois.

- Qu’est-ce que c’est que cette règle que tu viens de m’inventer ?

- Elle a toujours été là, tu ne savais pas?», demanda Echeb, sourire aux lèvres.

C’était un vrai professionnel de la mauvaise foi; il trouvait toujours un stratagème pour ne jamais reconnaître la moindre défaite.

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