Chapitre 13

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  Dans les jours qui suivirent, Minchi se fit peu à peu aux habitudes de la caserne. Il ne retint jamais vraiment les noms de ses camarades de chambre, et encore moins ceux de tous les membres de l’escouade d’épéistes. De toute façon, ses collègues ne lui portaient que peu d’intérêt, du moins au début. Ses journées se résumaient à s’entraîner à manier l’épée le matin, se restaurer, puis s’entraîner de nouveau l’après-midi, faire de l’exercice pour se maintenir en forme, dîner, puis aller se coucher, fourbu. Minchi avait beau être tonique et souple, il souffrit de courbatures les premiers jours, notamment à cause du poids de l’épée. Mais il serrait les dents, ravalait ses larmes, et faisait de son mieux pour ne pas être un fardeau pour son équipe. Il apprit rapidement à tenir son arme de façon correcte, et les enchaînements qu’il avait retenus en observant Taejun s’entraîner lui assurèrent un avantage. Si tout n’allait pas bien, du moins tout allait mieux.

Taejun vint rapidement lui rendre visite. Il trouva son ami moins lumineux que d’habitude, mais constata avec soulagement que ses clavicules reprenaient leur couleur habituelle. Voir le prince redonna du baume au coeur à Minchi, il se sentit moins abandonné. Mais au bout de quelques jours, le danseur commença à comprendre à quel point le seigneur Han l’avait rendu dépendant à leur contrat de proxénétisme. Il était en manque d’opium. Il devint nerveux, irritable, faisait des erreurs aux entraînements. Heureusement, il put se faire apporter sa pipe et une petite quantité d’opium en cachette, grâce à Taejun. Il les dissimulait sous son matelas. Puis il découvrit un coin tranquille derrière un bâtiment administratif pour y fumer sans se faire prendre.

Avec le temps, ses camarades qui l’avaient d’abord ignoré commencèrent à s’intéresser à lui. Apprenant auprès d’autres soldats que Minchi était à l’origine un danseur, ils ne mirent pas longtemps à l’affubler de surnoms ridicules, ou à imiter ses manières gracieuses. En effet, Minchi ne se déplaçait pas comme s’il essayait de faire trembler le sol à chaque pas, ou de donner des coups d’épaule à quiconque s’approchait de trop près. Il avait un port altier et droit, les jambes serrées, les hanches souples. Aux entraînements, il ne maniait pas l’épée pour porter des coups, elle était simplement un nouvel accessoire de danse, certes un peu lourd, mais tout aussi efficace. Minchi ne se mouvait que par intérêt esthétique, contrairement à ses collègues. Lorsqu’il fallait s’entraîner en duel, personne ne voulait se mettre avec lui : c’était bien trop facile de gagner. Il suffisait de le déstabiliser alors qu’il tournait sur lui-même ou qu’il faisait un saut, et Minchi mordait inévitablement la poussière. Avec ses partenaires de danse, il n’était jamais question de profiter des faiblesses de l’autre, mais au contraire de travailler ensemble, en s’appuyant sur les qualités de son acolyte. Les suçons dans le cou de Minchi furent vite remplacés par de véritables bleus.

Puis, pour une obscure raison, on eut vent des activités nocturnes du danseur, pourtant censées être secrètes. Les surnoms ridicules devinrent insultes, on se mit à profiter de son manque d’agressivité. Plusieurs fois, Minchi se fit attaquer alors qu’il se lavait dans les sources d’eau chaude, on l’agressait pendant les périodes de repos, le plaquant contre les murs pour le toucher contre sa volonté, ou pour simplement le rouer de coups. Taejun essayait de rendre visite à son ami quotidiennement, désespéré de le voir dépérir à vue d’œil. Mais un jour Minchi lui demanda de ne plus venir le voir. Des rumeurs commençaient à courir sur la régularité des visites du prince et sur son lien avec le danseur.

Dans les rares moments où Minchi échappait à ses camarades, il lui arrivait de croiser Resal. Elle s’horrifiait de ses plaies et bosses, mais ne parvenait pas à faire comprendre aux maîtres d’armes de l’escouade qu’ils devaient protéger le jeune homme. Le harcèlement était courant dans l’armée, et les supérieurs de Minchi ne voyaient dans l’attitude de ses camarades qu’un innocent jeu d’intimidation. Lorsque Minchi demandait à Resal si elle se souvenait de sa promesse, elle répondait inlassablement qu’elle y travaillait mais que son plan prenait du temps à se dérouler.

Dès qu’il lui restait un instant de répit, le danseur allait fumer dans sa cachette. Il ne sentait plus la terre sous ses pieds. Chaque jour était un calvaire incessamment recommencé. Comme si son corps avait été vidé de toute substance, comme si la seule chose qui subsistait dans son ventre était la fumée bleutée de l’opium. Il ne sentait plus rien, ne pensait plus à rien, et assistait en spectateur aux sévices qu’on lui faisait subir. Il n’aimait pas se battre, savait à peine se défendre. Il ne voulait même plus s’échapper, juste que tout s’arrête. Il ne désirait pas mourir, seulement être mort. Cela dura deux mois.

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