Chapitre 10

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  Le lendemain, comme toujours, son humeur s’était allégée. Pendant que Taejun suivait ses cours particuliers auprès de ses professeurs, Minchi avait l’habitude de se rendre dans les jardins du palais pour faire ses étirements. Il choisissait souvent de s’installer dans un petit pavillon des thés, car sa barrière était à la hauteur parfaite pour qu’il puisse appuyer ses jambes et les tendre au maximum. Personne, à part les jardiniers, n’allait au jardin le matin, les nobles étaient trop fainéants pour bouger leurs derrières gras de la terrasse du château. Ils rataient vraiment quelque chose, pourtant. L’air n’était pas encore étouffant, les oiseaux chantaient dans les arbres, et quelques nappes de brouillard embellissaient le tout. Minchi était penché sur la balustrade, quand il entendit des pas résonner sur le plancher du pavillon. Son estomac se noua quand il comprit de qui il s’agissait.

« Le prince Min-jae semble avoir particulièrement apprécié ta compagnie, l’autre nuit, commença le seigneur Han. Il voudrait te revoir ce soir, avant de repartir avec sa famille demain. »

Minchi hocha la tête. L’atmosphère sereine avait complètement changé, viciée par la présence de cet homme abject. Le danseur changea de jambe, conscient qu’il laissait son dos à la merci de l’autre. Il le sentit se déplacer près de lui.

« La semaine prochaine, c’est un autre vassal de Sa Majesté qui vient en visite, continua Han. Il possède trois filles, qui ont à peu près ton âge. Cela te changera un peu des jeunes hommes que tu fréquentes trop souvent.

-Et si, pour une fois, je refuse que vous m’utilisiez ? répliqua Minchi.

-Minchi, tu ne vas pas recommencer à me faire un caprice ? s’offusqua le seigneur d’une voix plaintive. Tout d’abord, je ne t’utilise pas. C’est pour toi que je fais ça. Que tu fasses des galipettes avec ces jeunes filles ne m’apportera rien.

-C’est faux, vous serez payé, et grassement, riposta Minchi en reposant son pied par terre.

-Et je te donnerai ta part, bien entendu. Où est donc le problème ? Tu ne veux plus gagner d’argent ?

-Je ne veux plus être un jouet. Je suis un être humain, et j’ai le droit d’être considéré comme tel.

-Mais je te considère comme tel, Minchi !

-Ce n’est pas l’impression que j’en avais, vu la façon dont vous me preniez hier. »

Le jeune homme savait que mentionner ces rendez-vous secrets mettait le seigneur en rage. En effet, celui-ci pâlit de colère.

« Tu feras ce que je t’ordonne. Ou sinon, notre contrat est brisé, et tu sais ce qui t’attend. »

La menace dans sa voix n’était qu’à peine voilée. Minchi savait que le seigneur paradait tous les jours avec son sabre à la ceinture, et qu’il savait particulièrement bien l’utiliser. Il ne se laissa néanmoins pas démonter, toisant Han en se tenant bien droit. Cela eut pour effet de creuser un répugnant sourire dans le visage de l’autre.

« Tu sais à quel point j’aime quand tu me résistes, Minchi, siffla-t-il.

-Ne… n’approchez pas ! prévint le jeune homme.

-Si je le pouvais, je te garderais caché dans ma chambre, continua le seigneur Han en avançant vers lui. Tu ne serais alors qu’à moi.

-Bas les pattes ! s’écria Minchi en tentant de lui échapper. Ne me touchez pas !

-Allez, laisse-toi faire, susurrait-il. »

Le danseur reculait contre la rambarde, cherchant une sortie, repoussant les mains baladeuses du seigneur. Celui-ci finit par lui saisir le poignet, et tordit son bras en arrière. Minchi hurla de douleur.

« J’adore quand tu cries comme ça, petit sucre. »

Le jeune homme ne pouvait plus se défaire de son prédateur, et il avait beau appeler et se débattre, personne ne viendrait à son secours. Le seigneur commença à défaire le col de sa tunique. Minchi était au bord des larmes.

« Lâchez tout de suite ce jeune homme, seigneur ! s’exclama alors quelqu’un. »

  Han se détourna de sa proie. Les yeux de Minchi débordèrent de larmes de soulagement. Geom Resal, le maître d’armes de Taejun, se tenait derrière son agresseur, sabre au poing.

« Vous ne pouvez rien faire, répliqua l'homme. Il m’appartient entièrement !

-C’est faux, Minchi est un sujet de sa Majesté. Je ne sais pas ce qui vous lie, tous les deux, mais je constate seulement que vous vous apprêtez à faire du mal à ce pauvre garçon. Beaucoup de mal. Laissez-le partir.

-Ce n’est pas grave, il a l’habitude, continua l’autre. »

Minchi essayait par tous les moyens de se dégager, mais le seigneur l’écrasait de tout son poids contre la rambarde.

« Je ne me répéterai pas, maintint Resal. Lâchez ce jeune homme et tout se passera bien. »

  Le seigneur l’ignora, et se retourna vers le danseur, qui se remit à crier. Le poids de l’homme disparut tout à coup, et il fut attiré en arrière. Resal venait de l’attraper au col. Faisant preuve d’une force étonnante, elle plaqua Han contre la balustrade, et le menaça en pointant son sabre vers son visage.

« Vous avez de la chance d’être aussi haut placé, lui cracha-t-elle, rouge de colère. Sinon vous n’auriez plus de tête depuis un moment.

-Geom Resal, je vous ferai regretter votre acte, persifla l’autre. Vous ne perdez rien pour attendre.

-Mais allez-y donc ! le nargua la femme en relâchant sa prise et en écartant les bras. Attaquez-moi, tuez-moi, si ça vous chante ! Vous seriez bien récompensé. »

L’autre ne répondit rien.

« Ne vous en prenez plus jamais à ce jeune homme, continua-t-elle. Ni à aucun autre, d’ailleurs. »

Le seigneur s’était remis debout et allait dégainer son arme, mais Resal le repoussa et il s’écroula par terre.

« Allons donc, se moqua-t-elle. Vous voulez vous battre, mais vous ne savez même pas tenir sur vos jambes, vieux sénile ! »

Han bondit sur ses pieds.

« Ça aussi, vous allez le regretter ! menaça-t-il. Nous n’en avons pas fini, Resal ! Et avec toi non plus, Minchi, tu vas voir ce qui t’attend !

-Non mais vous continuez ? cria Resal. Laissez-le tranquille ! Sinon je vais devenir nettement moins accommodante. »

En effet, elle écumait tellement de rage que Minchi était heureux de ne pas être son adversaire. Le seigneur parut le réaliser aussi, et il quitta le pavillon, drapé dans son manteau noir.

« Minchi, ça va ? s’enquit immédiatement Resal, perdant toute sa colère d’un coup. Il t’a blessé ?

-Pas physiquement, non, répondit le jeune homme avec amertume.

-Qu’est-ce que tu as dans le cou ? »

Il fut bien obligé de lui révéler ses clavicules tachées de bleu et de violet. Resal devint très pâle.

« Ce sont…

-Ce ne sont pas des coups, non, coupa Minchi. »

Il n’avait pas envie de penser à eux.

« Minchi, depuis combien de temps te fait-il subir ça ? »

Il la dévisagea, un sourire piteux sur le visage.

« Qu’est-ce que ça vous apporte ? Vous ne pouvez rien y faire.

-Minchi, c’est de la maltraitance, soutint la femme. Il n’a pas le droit.

-Je sais. C'est ce que je m'efforce de lui faire comprendre, mais il refuse de m'écouter.

-A ce stade, parler n’est plus une option. Ce genre de malade ne comprend que la violence.

-Vous allez le faire tuer ?

-Comment pourrais-je faire une chose pareille ? Je suis soldate, pas mercenaire. »

Minchi se sentit de nouveau très seul. Personne ne pouvait l’aider, même pas cette femme, alors qu’elle venait de le sauver.

« Viens avec moi, nous allons commencer par te faire ausculter par un médecin, déclara Resal.

-Un médecin ? Mais je n’ai rien de cassé ! Je ne suis pas blessé, je vous ai dit !

-Peu importe. Je m’inquiète pour ta santé, Minchi.

-Mais je vais bien, je ne suis pas malade ! »

Il avait trop peur de ce qu’ils allaient découvrir. Le jeune homme se dirigea vers la sortie.

« Minchi, c’est peut-être ta seule chance de t’en sortir, lui lança la soldate. »

Il s’immobilisa.

« Si tu t’en vas, si tu ne fais rien, Han reviendra de plus belle. Pire que ça, il va se venger sur toi. Je ne sais pas ce qu’il te fait vivre, mais ce sera pire. Je ne peux pas laisser cela arriver. »

Il se retourna vers elle.

« Je sais que c’est difficile d’accepter ses faiblesses, reprit-elle. Mais j’ai les moyens de t’aider. Tu ne t’en sortiras pas tout seul. »

Minchi dut se faire violence pour ne pas se laisser tomber aux pieds de la femme.

« Qu’est-ce que vous voulez faire pour moi ? questionna-t-il.

-Je suis certaine de pouvoir te mettre en lieu sûr, et également de m’assurer que le seigneur Han ne s’en prenne plus à toi. Tu peux me faire confiance. Mais tu dois accepter de me suivre. »

  Minchi hésita. C’était peut-être sa chance. Tant qu’il resterait en présence de cette femme, il savait qu’il serait en sécurité.

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