30 - Emprunt

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Résumé des chapitres précédents – 1 à 29 :

Diana reçoit la visite d’une gendarme qui enquête sur la mort de Nicole Dunham. En l’accompagnant, elle apprend que Nicole était jalouse de Grace Rockwell. Celle-ci n’est pas au courant d’une vidéo dévoilant son homosexualité qu’aurait possédée l’étudiante assassinée. Parallèlement, la doyenne de la fac dit s’être disputée avec Grace pendant la fête. Le gardien confirme avoir vu le scooter de Grace quitter la propriété et la doyenne la suivre dans la nuit. A propos de nuit, Paul Debreuil, l’ancien compagnon de Diana, lui rend visite un soir, et celle-ci se réconcilie charnellement avec lui. Son comportement étrange et agressif n’empêche pas Olivia d’envisager une nouvelle relation. Avec la gendarme Olivia, Diana se rend à la grotte où a été retrouvée Nicole. Le corps était disposé en fœtus dans une crevasse tapissée de pétales. Ce rite était pratiqué par les sociétés de la fin de la préhistoire. Grâce au téléphone de Nicole, Olivia et Diana ont accès à la fameuse vidéo mettant en scène Grace avec une inconnue. En revanche, ce téléphone n’est donc d’aucun secours pour suivre le parcours de Nicole juste avant sa mort. Le scooter de Grace ne présente pas de trace d’accident. Grace leur explique que les outils préhistoriques (comme ceux retrouvés dans la tombe de Dunham) peuvent être datés grâce aux résidus qu’ils contiennent, ainsi qu’aux techniques ayant servi à leur fabrication.

30

Après l’avoir quittée, nous optâmes pour nous rendre directement chez les Duguet. Il fallait profiter de l’élan.

– Ça va aller pour votre mari ? Il ne faut pas vous fatiguer Olivia, je ne veux pas.

– Roulez. Je me suis bien reposée.

La doyenne était revenue de ses quelques jours de vacances, mais elle nous appris sur un ton assez rêche qu’elle risquait de repartir bientôt. Au reste, elle semblait surprise de notre demande. Son mari était effectivement collectionneur d’objets préhistoriques. « Il est ici ? – Oui, vous avez de la chance. » Gérard Duguet se présenta à nous, grand, les épaules tombantes, en costume gris trois pièces. Il rentrait d’un colloque à Marseille. Il avait une expression asséchée, un peu comme sa femme, son visage aigu traversé par une moustache blanche et rehaussé par une mèche de cheveux poivre et sel aux ondulations un tantinet excentriques. Sa mine était celle de quelqu’un qui suivait un régime ou bien qui déprimait. Je subodorais qu’il devait ennuyer sa femme.

Cette dernière lui ayant annoncé que c’était lui que nous désirions voir, ses gros yeux veinés et marqués de fatigue roulèrent d’étonnement. Il reconnut d’emblée bien volontiers qu’il comptait parmi ses amis des personnes travaillant pour les Antiquités Préhistoriques ainsi que des paléo-biologistes à la retraite, et qu’il était lui-même un grand amateur d’artefacts. Nous découvrîmes sa collection répartie dans les vitrines du salon, selon les époques et la nature des objets.

Au fur et à mesure qu’il faisait glisser les ouvertures et nous présentait pendeloques et autres grattoirs de peau, sa physionomie se déridait quelque peu. Je reconnus pour ma part un ensemble de haches polies de différents volumes, en pierre de lave, les fameux savons noirs comme celui retrouvé dans la tombe de Nicole. Les manches en bois de cerf avaient disparu, il ne restait que les lames. Lisses comme du verre, bombées autant que le ventre d’Olivia, certaines étaient ocres, d’autres turquoises, cuivrées, bleu de Prusse, marmoréennes ou unies. Elles émettaient des reflets splendides, un véritable trésor lithique. Je ne pus m’empêcher d’échapper un cri d’admiration.

– Ici, dit fièrement M. Duguet en passant à une autre vitrine impressionnante, et alors qu’il se détendait pour de bon, vous avez des outils plus grossiers et plus anciens. Voici un racloir avec la tranche aplatie et aiguisée.

L’objet passa de main en main. Je le soupesai. Personne ne remarqua mon émoi. Mais j’avais déjà vu ce genre d’objet ailleurs qu’ici. Il n’y en avait pas seulement dans la tombe de Nicole, mais à Tours, dans le bric à brac de Paul. Tout un tas de pierres de ce genre et de silex rapportés de ses promenades, certainement de moins bonne facture, quoique certains eussent été réellement ouvragés. J’avais des images en tête, et des souvenirs difficiles, liés au comportement de mon ex-mari, s’insinuaient, accompagnés d’un peu d’adrénaline. Le nom du Grand Pressigny avait été prononcé par le mari de la doyenne. C’était un site réputé dans le sud de la Touraine. Nous avions visité les châteaux, et puis un jour nous étions tombés par hasard sur ce lieu. Paul s’était montré particulièrement excité. Les minéraux et les pierres le rendaient joyeux, le fascinaient. Comme un enfant capricieux, il m’avait supplié de pouvoir y retourner. Ce fut à cette époque qu’il m’avait montré fièrement ses pointes microlithes. Telle que celle-là même retrouvée sur le sol de corridor chez moi, après qu’il fut venu m’agresser de façon inexplicable.

Justement, Gérard possédait ce genre de pierres. Des segments de bois très courts en étaient incrustés à l’extrémité afin de reconstituer des flèches de chasse anciennes.

– Ces microlithes sont véritables. Elles datent de neuf mille avant Jésus-Christ. Mes pierres précieuses à moi. Je suis un esthète, précisa-t-il en relevant la tête, les yeux brillants, aussi fier que Paul à l’époque.

Il avait repris quelques couleurs. Il n’avait pas l’air bien méchant au fond. C’était un passionné qui s’ennuyait en dehors de sa passion. Olivia le prit au dépourvu quand elle lui demanda :

– Monsieur Duguet. Est-ce que cela vous ennuierait si vous nous prêtiez quelques exemplaires de votre collection ? Le voudriez-vous ? Vous n’avez rien à craindre. C’est pour l’enquête. Vous pouvez avoir confiance en nous.

Surpris par cette requête, - tout comme moi, en vérité – l’homme protesta un peu, craignant pour ses artefacts. Et puis, tout d’un coup, son visage s’alluma, et son regard si clair trembla : le pauvre vieux coq avait saisi.

– Ah, vous voulez comparer avec les artefacts retrouvés dans la tombe… Si ceux-là peuvent provenir d’ici…

Son ton railleur montrait aussi une certaine déception.

– Mes collègues de la gendarmerie ne vous ont pas contacté ? questionna Olivia.

– Pas le moins du monde.

– Pas encore, ajouta-t-elle. Parce qu’ils n’ont pas le temps…

Elle ne relâcha pas la pression. Elle lui expliqua qu’ils auraient dû, dans le but de faire en effet des analyses.

– Ils attendent une commission rogatoire du juge, évidemment, claironna-t-elle pour impressionner le bonhomme, mais je sais qu’ils ont en tête de savoir l’origine des objets découverts dans la tombe de Nicole Dunham.

– Mais… mais, balbutia alors le mari de la doyenne, personne ne m’a averti ! Aucun de mes artefacts n’a quitté son emplacement. Voyez, tout est en place. Ici, dans les vitrines.

Le pauvre était devenu livide. On pensait donc que lui, profitant de la fête organisée par son épouse, avait enlevé et étranglé une étudiante ? Franchement, il avait raison, je le voyais mal. Olivia sans doute m’aurait conseillée de me méfier des apparences.

– Rassurez-vous, monsieur Duguet, votre collection est magnifique. Enfin, rassurez-vous pour le moment… Les gendarmes officiels n’en sont pas encore là. Mais j’aurais besoin de quelques uns de vos artefacts. Si vous me les confiez, je ferai en sorte que mes collègues n’aient pas à franchir le seuil de votre maison. Vous serez tranquille de ce côté. Vous n’aurez affaire qu’à moi. Qu’à nous, précisa Olivia en me jetant un coup d’œil complice.

La doyenne qui venait d’entendre la fin de l’échange intervint.

– Ce n’est évidemment pas réglementaire, dit-elle avec un raidissement d’autorité. Vous êtes gendarme vous-même, vous nous avez dit. Et c’est vous qui nous proposez cela ? Et le juge dans toute cette histoire ?

Olivia déglutit et s’obligea à garder son sang-froid.

– Je vais être franche, madame. Je ne crois pas que votre mari soit mêlé à notre affaire. Mais nous avons besoin juste de son expertise, et de quelques artefacts. Pour mieux comprendre. Vous les récupérerez dans les prochains jours.

Le couple se résolut à dire oui. Cela me faisait de la peine, ils avaient cédé, et la doyenne avait tout à coup moins de clinquant, et son mari baissait la tête.

Je crois qu’en cet instant je n’aimai pas avoir autant de pouvoir. Je n’aurais pas pu être gendarme longtemps. J’étais plutôt un être de soumission que de domination. Telle était la nature, et nous ne choisissons pas. Bien sûr, je n’en confiai rien à Olivia, qui m’eût sûrement rabrouée dans l’instant. Elle occupait le rôle d’une femme efficace. Quand nous repartîmes, le matériel lithique était entre nos mains.

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