29 – Des vrais comme des faux

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Résumé des chapitres précédents – 1 à 28 :

Diana reçoit la visite d’une gendarme qui enquête sur la mort de Nicole Dunham. En l’accompagnant, elle apprend que Nicole était jalouse de Grace Rockwell. Celle-ci n’est pas au courant d’une vidéo dévoilant son homosexualité qu’aurait possédée l’étudiante assassinée. Parallèlement, la doyenne de la fac dit s’être disputée avec Grace pendant la fête. Le gardien confirme avoir vu le scooter de Grace quitter la propriété et la doyenne la suivre dans la nuit. A propos de nuit, Paul Debreuil, l’ancien compagnon de Diana, lui rend visite un soir, et celle-ci se réconcilie charnellement avec lui. Son comportement étrange et agressif n’empêche pas Olivia d’envisager une nouvelle relation. Avec la gendarme Olivia, Diana se rend à la grotte où a été retrouvée Nicole. Le corps était disposé en fœtus dans une crevasse tapissée de pétales. Un professeur leur apprend que ce rite était pratiqué par les sociétés de la fin de la préhistoire. Grâce au téléphone de Nicole, Olivia et Diana ont accès à la fameuse vidéo mettant en scène Grace avec une inconnue. En revanche, ce téléphone n’est donc d’aucun secours pour suivre le parcours de Nicole juste avant sa mort. Le scooter de Grace ne présente pas de trace d’accident.


29


Grâce à cette enquête, j’avais toujours un prétexte pour téléphoner à Olivia. Elle avait pris une grande place dans ma vie, du moins dans ma vie de cet été. La roue des amis tourne, certains quittent votre existence, d’autres montent en marche. Il faut dire aussi que l’affaire Dunham me taraudait comme tout le monde. Lorsque j’allais au pain sur la place du village, ou que je foulais avec mon panier les travées du marché à la recherche d’un bon melon, de pêches juteuses, d’une botte de thym, j’entendais les gens parler, et le sujet qui revenait invariablement était la mort de l’étudiante anglaise. Le scandale ne tarissait pas. Tout le monde s’interrogeait. Au paradis du farniente et de la douceur de vivre, si près de la French Riviera, du luxe, des plages et de l’élégance, une jeune femme avait été sauvagement violée et assassinée. Si la loi n’était plus adaptée à son époque, pourquoi ne pas changer la loi ? Les Anglais étaient furieux, les Français à cran. Pour ma part, je m’intéressais à cette empreinte retrouvée dans la tombe de Nicole.

– Olivia, j’aimerais savoir une chose à propos des éléments découverts près du corps…

– Ah, ça tombe bien que vous me téléphoniez, Diana, je suis en pleines recherches sur les outils du néolithique. A cause des artefacts dans cette tombe. Mais il y a trop de sites, de périodes, d’hommes préhistoriques différents, je le subodorais en écoutant le professeur Brunettiau à Aix, vous vous souvenez ? J’ai du mal. J’essaie de m’y retrouver, mais j’avoue que je nage.

– Oui, je me doute. Vous avez parlé d’une empreinte découverte près de la tombe de Nicole. Vous connaissez sa taille ?

J’essayai de canaliser ma voix. Il n’était pas question qu’elle se doute de mes intentions à ce sujet.

– Non, pas comme ça de mémoire. Mais j’ai tout le dossier ici dans l’ordinateur. Si je vous invite à venir boire quelque chose à la maison, vous dites oui ? Je reviens du bureau et je ne veux pas reprendre la voiture. Mais j’aimerais bien bavarder avec quelqu’un. Mon mari ne veut plus que je bouge. Je lui ai promis que oui, je ne veux pas pipoter.

Une petite heure plus tard, je sonnais à sa porte. Olivia et Olivier logeaient dans un pavillon coquet à la périphérie d’Aix, isolé derrière un muret bordé de bougainvilliers en fleurs. C’était drôle, cet écho des prénoms entre les deux époux que je venais de repérer sur la boîte aux lettres.

– C’est un quarante-trois pour l’empreinte, me dit-elle alors que nous nous retrouvions autour d’un thé à la menthe très frais. Donc vous avez déniché notre type, notre assassin ?

Elle parlait avec ironie.

– Euh, non pas vraiment…

La gendarme enceinte ne s’était accordé qu’une larme de thé. Je lui demandais la raison de sa parcimonie. « Mais à cause de bébé, fit Olivia étonnée. Le thé une boisson excitante, il faut que j’évite. » Je me mordis la lèvre. J’étais indigne de porter un enfant.

– Sauf si c’est la taille des chaussures d’Andreas Öpfe... repris-je alors à propos de l’empreinte, afin de donner le change et de compenser mes carences honteuses.

Olivia s’apprêtait à tremper ses lèvres. Elle arrêta son geste.

– Tiens, c’est vrai, dit-elle. Je n’ai pas encore songé à vérifier cette info. Heureusement que vous êtes là, vous.

J’en rougis de plaisir.

– Et vos artefacts trouvés dans la tombe ? questionnai-je tout en appréciant à mon tour l’exquise boisson.

– J’essaie de voir qui les fabrique, où peut-on en trouver, comment les authentifier… Brunettiau a parlé de vrais et de faux. Pour moi, il n’y a que des vrais, trouvés dans la nature. La région en regorge, on m’a toujours appris cela. Le musée de Quinson est à peine à quatre-vingts kilomètres d’ici.

Elle me montra sur sa tablette des styles d’outils différents, taillés aux époques du Moustérien, du Gravettien, de l’Aurignacien. Je contemplai les crânes. Au bout d’un moment je dis :

– En venant je me suis souvenue. Il y aussi quelqu’un qui doit s’y connaître. C’est Hélène Duguet, la doyenne.

– Pourquoi elle ? fit Olivia étonnée.

– Quand nous sommes allés chez elle, j’ai vu qu’il y avait des vitrines remplies de silex de ce genre. Elle fait la collection, ou bien c’est son mari. Et puis, c’est une universitaire. Mais je n’ai pas trouvé sa spécialité sur Internet.

– Vous êtes vraiment épatante ! s’écria Olivia en me considérant sous un angle admiratif, ma plastique et ma vêture élégante n’y étant sans doute pas pour rien non plus.

Ses prunelles se plissèrent, tandis que sa bouille sérieuse me faisait sourire. Sa compagnie m’était précieuse. Un peu de fierté répandue en soi rend fertile, je crois. C’était une idée à creuser.

– J’ai encore mieux, dis-je soudain avec malice. Il y a quelqu’un d’autre qui doit s’y connaître...

Elle m’interrogea du regard.

– Grace Rockwell, Olivia. Elle est étudiante en paléo-socio-anthropologie. Et il y a aussi Andreas.

– Vous m’épatez vraiment ! répéta Olivia.

Puis elle s’immobilisa, la mine perplexe. Et, tenant son ventre par un geste chargé de volupté, elle s’exclama d’une voix douce, dans la foulée :

– Hé ! Mais c’est moi qui vous l’ai dit l’autre jour, pour Grace ! Zut, je perds la boule à force de fatigue. Vous me faites marcher !

Je me mis cette fois à rire franchement. Elle me fit visiter sa maison, par un désir commun de nous distraire. Après le thé, Olivia avait tenu à me faire goûter son lait de kiwi maison. Je plaquai le verre glacé contre ma joue. « C’est plutôt moi qui devrait avoir une bouffée de chaleur », brocarda gentiment Olivia. Je fis une grimace en moi-même, tout en gardant le silence et lui pardonnant. Comment aurait-elle pu savoir qu’elle narguait mes désirs de maternité ?

Il n’empêche, les boissons et les rires nous avaient requinquées. Nous choisîmes d’aller rendre visite à Grace Rockwell. L’étudiante nous avait passablement irritées la fois dernière.

– Et que va dire votre mari ?

– Qu’on est l’après-midi. Que ma promesse, c’était pour ce matin. Je me sens en grande forme. Je vais lui mettre un texto. Il est compréhensif. On va rouler doucement.

C’était tiré par les cheveux, mais sincère.

– On va essayer de la mettre sur le grill, notre jolie Américaine, ponctua Olivia avec son petit air de flic rusé.

Cette fois, Grace nous fit entrer chez elle. Sa figure toujours altière s’égaya d’un sourire poli et me parut plus aimable. Son appartement spacieux était décoré avec goût. Cela me surprit pour une simple étudiante, puis je me souvins que le beau-père de Grace avait de l’argent, sa mère aussi.

Elle admit qu’elle s’y connaissait en outillage préhistorique.

– Ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de reconstituer les relations sociales autrefois, jusqu’à un temps très reculé, déclara-t-elle avec son accent américain léger. Je voudrais devenir paléo-ethnologue. Cela vient de ma passion pour le feu, qui a tout déclenché pour la civilisation humaine.

A ces paroles, je scrutai la blondeur cendrée de ses cheveux, le racé de sa figure, l’ondoiement de tout son corps, véritable flamme. C’est cela, pensai-je en moi-même, elle est le feu, cette fille.

Cependant, moins exubérante, demeurant assise sur le divan, elle ne faisait plus les manières de l’autre jour, et ses réparties étaient moins acerbes.

– Ce n’est pas facile de dater les objets que vous avez sur vos photos, vous savez, dit-elle. En général, on quadrille le site et l’on date les couches stratigraphiques environnantes, l’âge du terrain géologique. On en déduit des époques. En outre, c’est ardu parce que d’autres hommes ont pu réutiliser les outils trouvés, les animaux s’emparent des grottes à leur tour, il y a les inondations, les couches de sol s’enchevêtrent. Mais là, il n’y a rien de tout ça. On étudie aussi l’aspect technique. Tel outil correspond à telle époque, parce qu’il est taillé de telle manière.

– En somme, dis-je, car je commençais à éprouver de l’intérêt pour ces histoires de datation, on ne peut dater une pierre taillée, mais on peut dater les résidus que l’on trouve dessus ou sur le terrain où on l’a retrouvée, ou les techniques de fabrication ?

– C’est exactement cela.

Grace m’accorda un regard où je retrouvai sa chaleur de l’autre jour, toutefois sans l’ardeur incandescente. Cela me soulageait un peu. Pince sans rire, Olivia me glissa un petit signe de félicitation.

– Quant à leur rôle, ajouta Grace, c’est plus aisé. Vous avez des microscopes à balayage vous aussi dans la police, comme nous à l’université, n’est-ce pas ?

Olivia se dépêcha d’acquiescer. Et l’Américaine reprit, tandis que je contemplais ses genoux mis en avant, graciles, légers, harmonieux :

– On étudie les micro-stries sur les artefacts. C’est comme cela que l’on parvient à connaître la matière que l’outil a permis de travailler, et donc son rôle. Si c’est le cuir, le bois, l’os, la pierre, et cetera. Si c’est un racloir, une scie, un perçoir, les marques au microscope ne sont pas les mêmes, vous comprenez ? Bien sûr, il y a aussi la forme de l’outil qui compte, mais parfois, ce n’est pas évident pour les époques reculées. Cent mille ans, qu’est-ce que c’est, au fond ?

Alors que je posais d’autres questions, Olivia demanda à s’absenter quelques minutes, à cause de bébé qui lui pesait. Des besoins physiologiques incontrôlés, pour lesquels Grace lui indiqua la salle d’eau.

Nous restâmes à discuter seules toutes les deux, et j’orientai la discussion sur la mort de Nicole, en espérant relever une réaction dans la figure de Grace. Mais celle-ci demeura impassible, raide et solide tel un roc. Je la sentis qui se retranchait à la pensée de feu son amie. Son air absent dura, la mélancolie s’étala sur son doux visage. Elle devenait pouponne et presque attendrissante. A ce moment, elle me fit songer à Paul jadis.

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