27 - Hominium

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Résumé des chapitres précédents – 1 à 26 :

Soupçonnant son ex mari Paul de l’avoir agressée, Diana Artz se remémore le comportement étrange de celui-ci. Elle reçoit la visite d’une gendarme qui enquête sur la mort de Nicole Dunham. En l’accompagnant, elle apprend que Nicole était jalouse de Grace Rockwell, laquelle courait après son fiancé et se fournissait en cannabis auprès de Blur. En revanche, Grace n’est pas au courant d’une vidéo dévoilant son homosexualité qu’aurait possédée l’étudiante assassinée. Parallèlement, la doyenne de la fac dit s’être disputée avec Grace pendant la fête. Le gardien confirme avoir vu le scooter de Grace quitter la propriété et la doyenne la suivre dans la nuit. A propos de nuit, Paul rend visite un soir à Diana, et celle-ci, qui ne sait plus où elle en est, se réconcilie charnellement avec lui. Olivia et Diana vont à la grotte où a été retrouvée Nicole. Le corps était disposé en fœtus dans une crevasse tapissée de pétales. Un professeur leur apprend que ce rite était pratiqué par les sociétés primitives de la fin de la préhistoire. Grâce au téléphone de Nicole (Andreas le lui avait « emprunté » juste avant la fête) Olivia a accès à la fameuse vidéo mettant en scène Grace avec une inconnue. En revanche, ce téléphone n’est donc d’aucun secours pour suivre le parcours de Nicole juste avant sa mort.


27


Notre déception fut au maximum après avoir rencontré à nouveau Grace Rockwell. La jeune femme avait récupéré son scooter, elle nous avait montré la facture du garage, la déclaration d’assurance, Olivia avait vérifié les dates. L’accident était récent. Ma « collègue » examina alors les phares de plus près, et, sans se gêner, elle sortit devant l’étudiante américaine le morceau qu’elle avait ramassé au bord de la route. L’étudiante américaine ne cilla pas. Et les phares de son scooter étaient intacts. Pour chacun d’eux, avant ou arrière, Olivia constata même que les rondelles de fixation étaient légèrement rouillées. Ils n’avaient sans doute pas été touchés depuis la sortie d’usine de l’engin. C’était raté pour cette fois.

– Cet accident n’était pas grave ?

– Non. La fourche était simplement faussée. Je suis arrivée trop vite dans un muret.

Son regard perçant, si beau au milieu de ce teint hâlé, nous dévisagea. Elle eut un rictus narquois et un ton arrogant pour ajouter :

– Vous pensez que je mens ? Que j’ai eu un accident cette nuit là, après la fête ?

Grace nous toisait, arborant un short sexy surmonté d’un tee-shirt moulant, si bien que l’on ne pouvait rater sa poitrine, superbe. Cette fille était un parangon d’insolence. Elle nous tourna le dos, sans complexe, en faisant l’avion avec ses bras. Ses jambes fines et bronzées, musclées à point, constituaient des fuseaux admirables. Elle n’avait aucune marque sur aucun membre, aucun bleu, aucune lésion. Elle nous narguait, la Bostonienne, en même temps que son charme était réel. Je me rappelai sa bisexualité, alors qu’en ce moment son regard de chatte exquise s’enfonçait comme une vrille dans le mien. Elle n’imaginait tout de même pas un plan à deux, ou à trois, la garce ? En était-elle coutumière, sur le campus ? Olivia et moi-même ne correspondions en rien à ce modèle. Je trouvais démente son audace, si toutefois je ne penchais pas dans le délire.

Ma nuit fut agitée. Je fis un rêve peuplé de filles qui m’enlevaient. Les corps dénudés tournaient, le lit immense se transforma en plage de sable blanc où j’errais, parmi les baigneuses scandaleusement nues. Puis je me retrouvais enfermé dans un hangar rempli de mannequins de cire. Il fallait les saisir à bras-le-corps, ils étaient si légers mais si encombrants. Je dénichai un ballon, et pour m’enfuir, je simulai une grossesse en le mettant sous mon chemisier. Comme tout rêve, l’aventure se révélait âpre et sans queue ni tête.

Avant cela, j’avais reçu un coup de fil au moment du dîner, non pas surprenant, mais improbable. Je fus un peu déçue quand j’entendis une voix d’homme, parce que j’espérais des nouvelles d’Olivia concernant l’analyse de la vidéo dans le téléphone de Nicole. J’enfilai prestement les oreillettes, et pour ne pas perdre de temps, je me lançai dans la confection d’une salade composée au basilic en même que de discuter avec lui. Il s’agissait d’Emile Rateuge, l’ami de Sonia qui habitait Tours. Il voulait me demander un service.

– Je vous explique, Diana. Il se trouve que c’est bientôt l’anniversaire de mon fils Eugène, et je suis allé sur Internet pour des figures de comics. Je voudrais lui en offrir, il est fan. Je pensais que le site dépendait d’un magasin parisien, mais pas du tout, il est situé à Aix, et Sonia m’a dit qu’elle avait une amie là-bas, elle m’a donné votre numéro. J’ai voulu appeler le magasin cet après-midi, avec le numéro donné sur le site, mais cela ne répondait pas.

– Vous voudriez que j’y aille faire un saut, c’est ça ?

– Si cela ne vous dérange pas, ce serait l’idéal, je l’avoue. Je voudrais m’assurer de la qualité des figurines. Sur le descriptif, le pied est en fonte et la figure en cire peinte et vernie, mais vu le prix, j’aurais aimé être sûr pour la finition…

– Hé bien, entendu, dis-je tandis que j’étais à la recherche des concombres dans le frigo. Je vais vous donner mon mél. On peut peut-être se tutoyer ?

– Bien sûr. C’est EmileRateuge@gmail.com

Et dire que je continuais de vouvoyer Olivia. Je n’avais jamais vu Emile, mais l’ami d’un ami est votre ami, raconte-t-on. Ma rigidité avec Olivia était ridicule, et ce n’était pas sa faute. Peut-être cela lui aurait fait plaisir à elle aussi de la tutoyer ? Il est plus facile d’obtenir l’amitié par recommandation que par le courage de son propre cœur.

– Attends Emile, je quitte le frigidaire et je prends un crayon. Il s’agit de quelles figurines de Comics ? Spiderman, je suppose ?

– Non, il l’a déjà. Avec sa mère on a choisi Hulk, Octopus et le Bouffon Vert. En hauteur, c’est celles de dix sept centimètres.

– Le Bouffon Vert… Hulk… Ils sont tous en vert. Vous êtes dans le vert ! dis-je en m’esclaffant.

– Oui, c’est ça, dit Emile en riant. C’est le docteur Banner qui dès qu’il en rage se transforme en Hulk.

– Je connais. J’ai vu les films. Hulk, c’est la force brute, osai-je même ajouter.

Je songeais à quelque chose. De l’électricité me courut sur les bras. Emile ne soupçonnait pas ce à quoi je pensais. L’oie blanche que j’étais serait devenue rouge de honte.

– Et pour sa mère, je vais prendre Wonder Woman. Elle l’adore aussi.

– Ah, toute la famille s’y est mis, je vois, dis-je en ressentant un pincement au cœur, car j’avais prononcé le mot « famille ».

– Pas ma fille Charlotte. Elle est plutôt série américaine.

– Et toi, Emile, c’est quoi ton personnage préféré ?

– Oh moi, ça serait Wolverine.

– Qui est-ce, déjà ?

– Une sorte d’homme-loup. Il se transforme. Du moins, il a des griffes qui poussent au niveau des premières phalanges quand il se met en colère. C’est un réflexe défensif qu’il ne maîtrise pas. Il a subi une opération dans le passé, son squelette a été remplacé, il est indestructible, en adamantium. Wolverine guérit de toutes ses blessures. Il est extraordinaire. A ce côté de cela, j’aime bien aussi les bronzes de Rodin, rassurez-vous ! Quoique ma statue préférée, c’est l’Hominium de Zadkine, un bronze qui représente un homme à la fois robot, très moderne, futuriste même, mais aussi très ancien. Il n’a pas de visage. Le visage est enlevé, c’est un creux à la place. Je l’aime beaucoup. Le musée Zadkine est près de chez moi.

Je laissai parler Emile, alors que mon cœur était en train de faire de grandes embardées dans ma poitrine. Déjà, quand l’ami de Sonia avait évoqué Hulk, j’avais frémi. Mais là, d’évoquer ce Wolverine, cet homme-loup, me laissait tout chose.

– Hé bien, je vais aller jeter un œil à ton magasin, promis. J’ai bien noté. Et Wonder Woman pour ta femme, conclus-je en m’efforçant de rire à mon tour.

– Mon ex femme, elle s’appelle Sabine…

C’était idiot, mais cela faisait longtemps que je n’avais pas rencontré quelqu’un dans cette situation, et de le savoir séparé me rasséréna bêtement.

– Pardon, me contentai-je de prononcer. Hé bien, Emile, j’aime bien aussi Wonder Woman. Elle, je la connais un peu. Elle est droite, vaillante, elle veut changer les hommes en bien…

J’attendis la réponse d’Emile : elle ne venait pas. C’était à son tour de demeurer muet quelques instants.

– Vous ne dites rien ?

Cela m’intriguait, si bien que je m’étais remis à le vouvoyer. Avais-je commis une bévue ?

– Si, si, tu as raison Diana, dit-il enfin. Wonder Woman vient de Paradisland. Avec ses Amazones, elle rend la justice. Elle enchaîne les criminels. Elle les fait parler, leur fait dire la vérité avec son fouet, pour qu’ils changent en bien, qu’ils se soumettent…

– Ah, je croyais t’avoir choqué !

– C’est que Wonder Woman a un secret…

Ma salade était prête, mais j’avais encore envie de discuter.

– Tous les héros ont un secret.

– Mais ici, peu de gens le savent. C’est mieux ainsi.

– A propos de Wonder Woman ?

– Oui. Cela vaut mieux. Ou pas…

– Comment cela ?

– Oh, je parlais pour Sabine… Excuse-moi, Diana.

– Tu n’es pas clair, Emile, dis-je en riant encore.

C’est alors que sa réponse s’avéra drôle. Car de même que je trouvais étrange que quelqu’un d’inconnu comme lui abordât le thème de Wolverine, l’homme loup, et de Wonder Woman, la femme mystère, Amazone à la sexualité tendancieuse, changeante, je trouvais étrange que par-dessus il me répondît :

– Oh, c’est que Sabine voue un culte à Wonder Woman, et je n’ai pas envie qu’elle soit contrariée et déçue. Notre séparation a été difficile. Je veux dire, on s’est quitté difficilement avec Sabine Wonder Woman est quand même très… spéciale dans ses goûts, sa façon de faire dire la vérité, de voir la vérité, avec des mœurs qui feraient rougir les petites filles. Je te passe la suite, Diana. Mais oui, les signes existent, et il faut les croire. Regarde, s’emballa encore Emile, le plus extraordinaire, c’est que tu t’appelles Diana, le prénom de Wonder Woman ! N’est-ce pas incroyable ? Moi, ma maladie s’appelle l’apophénie, et tout le temps je trouve un sens à des événements qui surviennent dans ma vie au quotidien, tout est lié, me dis-je, il n’y a pas de hasard à force…

Jésus, quel discours ! Il était vrai que je m’appelais Diana. Cela me fit un petit choc après cette envolée explicative. Pour changer de conversation, je lui demandai :

– Au fait, vous êtes aussi musicien, Sonia me l’a dit.

– Et vous jouez de quoi ?

– En ce moment, du Emile.

– Ah ah, très drôle…

– Non, j’ai été enrôlé dans un groupe, je leur ai commencé une petite chanson à Fuzz, Richard et Pox. Et vous, vous êtes musicienne ?

– Non, j’écoute seulement. Je chante faux. Envoyez-moi votre chanson.

– Si vous voulez. Vous savez, vous avez tort de vous déprécier. En réalité, personne ne chante faux. C’est une question d’écoute. De dimension dans laquelle se trouve votre oreille. Votre oreille n’est pas dans sa bonne dimension. Vous écoutez quel titre en ce moment ?

– « I think I’m paranoid »…

– Ah ah, très drôle, fit Emile à son tour. Et vous l’êtes, paranoïaque ?

– Ca m’a arrivé récemment. Et encore un peu, je crois.

Là-dessus, nous poursuivîmes sur les chansons rock et nous revînmes à l’histoire des figurines et de Wonder Woman. Cet Emile était intarissable. Comme il était certes sympathique mais singulier. Sonia m’avait prévenu par texto : « Diana, tu vas recevoir le coup de fil d’un ami ici à Tours qui veut te demander un service, il n’est pas piqué d’un hanneton, tu vas voir, mais très bien. » J’avais sursauté à toutes ces paroles. Mais n’avais-je pas en ce moment le même raisonnement que lui ? N’étais-je pas victime d’apophénie en associant Paul à Wolverine, et Wonder Woman à moi-même, partagée entre mon admiration pour ces femmes, - ces Amazones comme Olivia, Grace, Hélène, séduisantes, entières, assumées - et un homme comme Paul, mon héros récurrent ?

Et cet Emile que je ne connaissais pas, me téléphonait et me donnait la solution. C’en était risible. A la limite, j’aurais pu lui avouer ce que je pensais en cette seconde, de sorte que nous aurions pu échanger nos aveux d’apophénies réciproques et ajouter de l’eau à notre moulin apophénique, de même que deux cousins se fussent offert le même cadeau, qui eût été la photo d’eux ensemble, s’apercevant alors qu’ils étaient jumeaux !

La conversation s’acheva. Elle me laissait perplexe. J’avais Wolverine et ses griffes acérées devant les yeux. L’homme-loup était un animal lubrique. Se pouvait-ce être Paul, dans ma mythologie intérieure ? Dans ce cas, je devais me méfier.

– Vous avez une autre chanson de votre chanteuse du passé ? me demanda Emile. Je pense à vous envoyer la mienne.

– Oui.

– Laquelle ?

– « Stupid Girl »…

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