19 - Une amie

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CHAPITRE 19 – UNE AMIE –


Résumé des chapitres précédents – 1 à 18 :

Soupçonnant son ex mari de l’avoir agressée par deux fois, Paul Debreuil, Diana Artz se remémore le comportement étrange de celui-ci, ses manies, ses soucis de santé. C’est alors qu’elle reçoit la visite d’une gendarme, Olivia Caron, qui enquête sur la mort d’une étudiante, Nicole Dunham. Diana soupçonne dans cette affaire son ex mari, mais tente de le disculper. Bientôt, elle accepte la proposition d’Olivia de la suivre pour interroger de façon non officielle le fiancé de Nicole Dunham : Andreas Öpfe. Celui-ci fait des révélations sur Nicole. Celle-ci était jalouse d’une étudiante américaine Grace Rockwell qui courrait après Andreas, son petit ami, et qui sur le campus se faisait approvisionner en cannabis par un type surnommé Blur. Pendant ce temps, l’autopsie a parlé. Nicole Dunham est morte d’un violent coup au crâne, son étranglement serait post-mortem. Le crâne a été lavé, tout comme le corps, et celui-ci placé bizarrement dans une grotte. Diana et Charles Deuring soupçonnent une nouvelle fois Paul... Diana se souvient qu’elle a consulté des spécialistes car il lui semblait que Paul changeait non seulement mentalement mais aussi physiquement.


19


Le lendemain, Charles m’annonça au téléphone que tout était réglé. J’ignorais comment il avait procédé, mais il me certifia que la gendarmerie allait bientôt recevoir des nouvelles de Paul, et que les enquêteurs pourraient vérifier à loisir auprès des autorités congolaises sa présence sur leur territoire. Effectivement, le lendemain en soirée, ce fut au tour d’Olivia de me contacter. Et elle semblait ravie, autant que moi j’étais soulagée.

– Tout est en ordre. Votre ex mari nous a envoyés ce qu’il fallait : photocopie de passeport, acte d’entrée officielle par la police aux frontières, et j’ai aussi son adresse à Brazzaville. Il est installé là-bas depuis deux ans, c’est bien ça ?

– Oui, c’est ça, balbutiai-je, surprise malgré tout.

Avec Charles, nous avions pris soin de nous accorder sur une version cohérente. Je supposais qu’il connaissait des gens bien placés dans la capitale du Congo pour monter cette supercherie en un rien de temps. Côté France, la situation administrative de Paul était en friche. Qui aurait pu le dénicher là où il était, quand bien même ce fût près d’ici ? Il y a tant de gens perdus dans notre pays.

– Moi, je ne suis jamais allée en Afrique, je ne sais quoi en penser, m’avoua Olivia. Cela me semble attirant et dangereux à la fois. Bon, soupira la jeune femme, passons. J’ai téléphoné de mon côté à votre assurance. Pour le cambriolage de l’an dernier, tout est en ordre. La montre est effectivement stipulée dans les objets précieux disparus. Au fait, j’oublie de vous dire, votre ex-mari a pris soin de téléphoner chez nous, c’est un collègue qui l’a eu, et qui m’a bien sûr ensuite passablement brocardée. Mes camarades étaient étonnés par mon insistance pour la montre. C’est vrai, je ne vous l’ai pas dit, mais elle est assez abîmée, avec pas mal de rouille à l’intérieur. Mes collègues pensent qu’elle était peut-être déjà là dans la grotte avant la mort de Nicole Dunham, on n’a jamais évoqué cette hypothèse. Elle était assez loin du corps, il fallait la trouver. C’est vrai que beaucoup de gens traînent dans ces endroits. Euh, je dois vous faire mes excuses, Diana…

Intriguée, je demandai à la gendarme pourquoi. Elle paraissait vraiment déçue, et dépitée.

– Je crois que j’ai fait fausse route. J’étais si enthousiaste quand j’ai trouvé le nom de votre ex-mari qui s’accordait aux initiales gravées. Le lieu non loin de chez vous, tout correspondait. Cette montre dans la grotte n’a rien à voir. Aucune trace de lutte dessus. Tout tombe à l’eau. Mais cela m’a occupée. Je me suis juste un peu ridiculisée vis-à-vis de mes collègues. (Elle fit une pause.) Vous savez ce qu’ils m’ont dit à la suite de l’autopsie, en riant ? « Nous, on a du sperme. Pas toi ! »

Elle laissa passer un autre silence, guettant ma répartie. Il n’y en eut pas.

– Vous connaissez les hommes, ils se sont bien gaussés de moi au labo, ajouta-t-elle, désappointée.

Je les imaginais, en effet. Je les connaissais bien aussi. J’arborais une moue mitigée. Je commençais à entrevoir les relations entre Olivia et ses collègues : tout n’était peut-être pas au beau fixe entre eux. Ce que ne sut pas Olivia, c’est qu’après son coup de fil, cette anecdote et la phrase malsaine qui allait avec me taraudèrent toute la soirée.

– Et donc ?

– Et donc, je vous l’ai dit, le viol est avéré. Et le moment de la mort est situé d’après le légiste autour de la date correspondant à la fête chez la doyenne.

C’était à peu près la période où Paul m’avait agressée la première fois, songeai-je, et cette pensée me glaça le sang.

– Mes collègues consultent les bases d’ADN, poursuivit la gendarme. Pour eux, c’est une histoire de mauvaise rencontre. Andreas Öpfe ne nous l’a pas dit, mais une fois débusqués par Nicole, avec Grace ils se sont séparés momentanément le soir, mais retrouvés dès le lendemain, et ils ont encore couché ensemble. Personne n’a aperçu Andreas avec Nicole après, et ce n’est pas son sperme qui a été retrouvé sur le corps. Etant l’ami de Nicole, son ADN a été prélevé dans les premiers. Cela aussi, le grigou a évité de nous le dire, c’est de bonne guerre. La brigade de recherche fouille dans les affaires de viol similaires dans la région et ailleurs. Avec « leur sperme », comme ils disent, répéta Olivia sans fard, et avec dureté. Bon, ils sont contents, il n’y a rien de nouveau pour eux. Le corps de Nicole porte les traces d’un viol brutal avec ecchymoses, pénétration, traces de strangulation, tutti quanti… Enfin, pas grave, tint-elle à me préciser sur un ton faussement libéré, après un silence qui en disait long sur son aversion pour cette violence tous azimuts, mes collègues gendarmes ne sont même pas de vrais amis, je crois… Et puis, on n’a pas le temps de s’inviter. Et ma façon d’être les énerve un peu, je le sais. Il faut dire, je suis toujours de bonne humeur. Sauf là, avec vous ! plaisanta-t-elle en se forçant encore un peu.

L’affaire Dunham pesait sur tout le monde, en vérité. En raison de ses origines modestes, pour lui rendre hommage, mais aussi de la disposition étrange du corps dans la tombe, la presse anglaise avait surnommé Nicole Dunham « The little Princess », la petite Princesse. Les commentaires allaient bon train en France et outre-Manche, et même au-delà.

Après cet épisode de morosité, une question me vint. Car Olivia m’avait dit, à propos de la rencontre possible de Nicole avec un psychopathe de passage : « A moins qu’il y ait autre chose… » Je lui fis part de ma remarque. J’entendis un léger rire, fier et étouffé, à l’autre bout du fil. Olivia avait visiblement une autre révélation à me faire.

– Oui, c’est vrai, dit-elle, j’en suis de plus en plus certaine. Vous vous rappelez le récit d’Andreas ? Déjà, il a dit vrai. Je me suis rendue sur le campus, et malgré les vacances, j’ai pu rencontrer des gens de l’administration. Vous savez, pour cet Hervé Lebeaud, alias Blur, celui qui fournit des gens sur le campus. Je le rencontre demain. Donc, comme vous m’avez dit oui pour aller voir la tombe de Nicole, vous me direz peut-être oui pour le rencontrer, lui.

– Bien sûr !

– Vous avez raison de me dire oui. Parce que j’ai des doutes là-dessus et sur autre chose.

– Comme quoi ?

– Je suis aussi allée rendre visite à la doyenne du campus, une certaine Hélène Duguet. C’est une belle femme, comme vous, bon attention bien plus âgée, hein ? ajouta Olivia en riant. Je trouve qu’elle a du style. Mais impossible de lui tirer les vers du nez. Vous m’aiderez à l’apprivoiser, si vous voulez... Avec vous elle sera peut-être plus diserte. Bon, je dois vous quitter. Il est tard, et mon ventre me tire. Je vais aller me reposer. Bonne nuit, Diana.

Je raccrochai, mi dubitative, mi rassérénée. L’appel d’Olivia m’avait fait quand même du bien. Non pas pour me distraire et ne plus penser à ce que j’endurais comme sensations diverses en ce moment, mais simplement pour me sentir normale. Une « amie » m’avait appelé un soir de semaine, et nous avions bavardé. De toutes les manières, tout bien réfléchi, il était évident que ma jauge émotionnelle ne pouvait être que particulièrement basse en ce moment. Elle l’était pour tout le monde. Un sentiment de mal être régnait un peu partout, dans cette époque trouble et violente, où l’insécurité n’était pas suffisamment compensée par la justice. Je me sentais mal à l’aise, mais tout ne pouvait pas venir seulement du traumatisme dite « de la violée », clairement. Nicole Dunham, elle, l’étudiante anglaise, ne ressentait plus rien du tout.

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