12 - Orage humain

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Résumé des chapitres précédents – 1 à 11 :

Diana Artz habite un mas non loin d’Aix-en-Provence. Elle vit dans la psychose depuis son agression, voilà quinze jours. Soupçonnant son ex mari, Paul Debreuil, elle se remémore le comportement étrange de celui-ci, ses manies, ses obsessions, ses soucis de santé. C’est alors qu’elle reçoit la visite d’une gendarme en civil, Olivia Caron, qui utilise son temps libre pour aider dans l’enquête qui vient de s’ouvrir sur la mort d’une étudiante, Nicole Dunham. Sur le lieu du crime, une montre a été retrouvée, ce qui a mis Olivia sur la piste de Paul Debreuil. Paniquée, Diana a menti et prétexté que son mari est en Afrique, et que la montre faisait partie d’un butin de cambriolage. Elle téléphone alors à Deuring qui lui promet de l’aider pour attester de la présence de Paul en Afrique, tandis que son compagnon Nicolas rajoutera la montre dans la liste des objets volés. Diana et Charles lors d’une conversation se remémorent un autre fait étrange : Paul, dans le passé, avait eu pendant un temps une obsession de courir, par tout temps, dans n’importe quelle tenue, avec une incroyable résistance…

– 12 –

La canicule ne diminuait pas. On étouffait. J’avais beau ouvrir en grand la nuit, rien n’y faisait. La chaleur demeurait torride, à couper au couteau. C’était comme si l’air de l’atmosphère avait décidé de quitter la surface pour que s’installât à la place un grand tison invisible, trouant habitations, gorges et entrailles. En nage, sans rien sur le corps hormis cette peau en trop, je me relevais en ayant l’impression de déplacer des cubes brûlants. Le jour, le soleil était de plomb. Il frappait les toits, décapait comme l’enfer, asphyxiait. Le silence même était occis. La nature rôtissait sans bruit, sans un crissement d’élytres ni un cri d’oiseau. Tout était sec, dur et craquelé, et subissait la loi de sa majesté Phœbus, immensément cruel et oppressant à son zénith.

Cet après-midi là, je tentai de me reposer à l’étage, derrière les volets fermés. J’étais en culotte, le seul tissu un peu supportable. J’avais la nuque lourde et irritante, comme le reste. Je me retournais, le drap ne rendait aucune fraîcheur. Le frottement de mes seins était douloureux, autant que cette impression de colle en permanence. Ma phobie de la sueur triomphait odieusement. Je râlais, j’allais devoir retourner sous la douche. Il fallait aiguiller mon système nerveux vers autre chose que la chaleur.

Je me disais que repeindre récemment le cellier du sous-sol avait été une mauvaise idée. L’odeur chimique qui se dégageait des murs m’empêchait d’y installer un divan. Côté salon, le cuir des canapés était devenu lui aussi tout collant et désagréable. Je pestais contre la douche italienne et l’absence de baignoire. Je rêvais d’un bac quelconque avec des glaçons. Un rire nerveux ponctuait toutes ces pensées.

En fin de journée, la lumière déclina pourtant brusquement. Je ne l’avais pas remarqué, mais le ciel s’était couvert d’une immense toile grise menaçante. Encore une heure d’attente pesante, et les premiers grondements se mirent à résonner au loin. Un vent noir jaillit du nord-ouest. Il était évident que les nues étaient prêtes à éclater.

Enfin, je perçus les gouttes. Les nuages roulaient à vive allure et s’emmêlaient dans les cimes. Il faisait presque nuit. J’allumai le salon, puis retournai sur le seuil de la porte d’entrée afin de surveiller l’orage. Rien encore, des gouttes éparses seulement. La nature ne semblait pas décidée tout à fait. Patience.

Au moins il y avait de l’air, me dis-je en retournant dans la maison. Et la nuit serait peut-être plus supportable. J’ouvris partout, quitte à provoquer de violents claquements de porte à cause des courants d’air. On eût dit de ce coulis de fraîcheur s’engouffrant dans la maison par toutes les extrémités comme du sang neuf dans les veines d’un moribond.

Un énorme craquement déchira le ciel au-dessus du mas. Je n’eus pas le temps de sursauter que l’ouragan avait déjà emporté tous les rideaux de l’étage. Les portes branlèrent. Les plombs sautèrent. C’est alors que j’entendis une voix forte qui appelait, tandis que les premières cataractes s’abattaient sur les tuiles. Avais-je rêvé ? Effrayée, je descendis jusqu’à la porte d’entrée. Celle-ci était bien fermée. L’œil de bœuf au-dessus de la porte faisait comme une médaille luisante, assombrie par la furie des éléments. Un long et étroit corridor, parsemé de guéridons et tapissé de mosaïques, scindait ma demeure en deux, en façon de grande arrête faisant communiquer la cour de devant avec le jardin de derrière. Si bien qu’en me retournant, je pus apercevoir la porte du fond. Un cri strident s’échappa de ma gorge. Elle était ouverte, et ce qui était une silhouette humaine se découpait dans l’ombre, fouettée par les tourbillons de pluie.

Je demeurai paralysée. J’aurais peut-être eu le réflexe de fuir par devant s’il n’y avait pas eu tout ce fracas dehors et cette agitation de la nature qui décuplait ma panique. Au lieu de cela, je battis en retraite dans le salon, tandis que l’homme se ruait sur moi. Une masse hirsute, barrée d’un collier de barbe et de bras décharnés, chercha à me retenir et s’agrippa.

– Diana, c’est moi ! C’est moi, Diana !

Un autre coup de tonnerre éclata à ce moment, une détonation inouïe. Les murs tremblèrent. Paul m’avait saisi les poignets, et tandis que je me débattais sans réfléchir, il répéta les mêmes mots, sorte d’enfant ogre ayant perdu la raison.

– Diana, Diana, arrête !

– Lâche-moi ! Mais lâche-moi ! Tu es fou ! Mais que fais-tu là ? Va-t-en !

Je hurlais ces paroles. Mes cris étaient noyés dans le bruit assourdissant de l’orage. La foudre s’était abattue sur le plateau. Paul n’était qu’une ombre indistincte, je reconnaissais à peine ses traits. Il semblait en panique. Nous roulâmes sur le tapis. Il était sur moi, et dans mon effroi je perdis la force de résister. Son poids m’écrasait. Ses prunelles étincelantes et le ton de sa voix reflétaient un immense désarroi.

– Oh, Diana. Je voulais juste que l’on parle. Tu es venue chez moi l’autre jour. Je t’ai aperçue. J’ai couru, j’étais trop loin. Je voulais être avec toi. Comme avant…

Je parvins à articuler, bien qu’il m’écrasât :

– Tu es un assassin, Paul ! Tu as violé et tué cette fille, cette pauvre fille, cette Anglaise. Il faut te faire soigner. J’ai averti Charles Deuring. Nous pouvons encore te sortir de là. Tu es malade, Paul…

Voilà tout ce qui m’était passé par la tête. Surpris, mon agresseur se mit à bredouiller :

– Comment cela, violer ? De qui parles-tu ? De qui ?

Il avait l’air d’être fâché. Son visage près de moi, plein de sueur, était haché par les éclairs, lesquels par le jeu des contrastes rendaient ses traits saillants et y ajoutait des angles fantastiques. Ses yeux bien ronds avec tous ces reflets s’étaient transformés en forges électriques. Il ne relâchait pas son étreinte. Mais il semblait ne pas comprendre. C’est vrai, il n’était jamais au courant de rien. Il n’avait ni télévision, ni téléphone, ni ordinateur, et quant à cette montre que l’on avait retrouvée sur les lieux du crime, à Paris, il ne la conservait que pour l’objet en lui-même, épais, rond et massif. Il trouvait le boîtier magnifique, mais il n’avait jamais changé la pile et n’utilisait plus la montre en tant que telle. J’avais du reste beaucoup réfléchi depuis l’annonce du meurtre de Nicole Dunham. Si Paul avait abandonné sa montre, c’était qu’il s’était passé quelque chose de grave. Il avait fallu un événement extraordinaire pour qu’il l’oubliât près du cadavre. Cependant l’idée m’obsédait. La vision me traversait les yeux avec violence : c’est lui qui avait fait de la pauvre Dunham une morte.

Je demeurai muette. Qu’il aille au diable.

– Tu parles de qui, dis, Diana ? reprit-il en me serrant. Un viol. Quel viol ? Un viol ? Comme ça ? Tu te moques de moi ! Tu te moques ? Tu veux un viol, c’est ça ?

Il semblait furieux tout à coup. Je réussis à le repousser. Il reprit l’avantage, en me retournant. Ses mains s’abattirent sur mes fesses. Je poussai un hurlement.

– Arrête !

Mais le tonnerre continuait de rouler, et il se mit à plonger dans ma chevelure, et m’embrasser en disséminant sa bouche avide absolument partout. Il n’écoutait pas.

– Arrête, je te dis !

Mes objurgations le laissaient de marbre. Il m’enveloppait de tout son poids. Il pivota sur le côté, je pus sentir son odeur qui était un mélange de bois humide, de fumée et de renfermé. Mon peignoir en tulle s’était relevé. Le tissu n’est pas bien épais. Je songeai alors qu’il savait où je cachais la clef de secours. Evidemment, c’était de cette manière qu’il s’était introduit chez moi l’autre jour, et c’était sans doute à ce moment qu’il avait perdu la pointe de silex.

Sa main continuait de remonter, glissant cette fois à l’intérieur de mon peignoir, et non au dehors. Son horrible manège oscilla entre le bas et le haut. C’étaient d’atroces descentes aussi lascives que désordonnées, saccadées, ponctuées par la violation de mes cuisses et de ce qu’elles défendaient vainement, tandis que sa barbe repoussante me râpait joues et épaules. Je me tus complètement, fermant les yeux de toutes mes forces pour ne plus penser à l’outrage en cours. Assourdie par l’orage, assommée par l’attaque, il me semblait couler à l’intérieur du parquet, seule direction de fuite. Sa poigne bestiale m’étonnait. Il n’avait pas cette force dans les débuts, à Paris. Comme il avait changé. Mais sans doute me faisais-je ces réflexions pour oublier que les boutons avaient sauté, et qu’il était en train de parvenir à ses fins. Il s’était frayé un chemin en haletant. Tout ceci était simplement horrible, bête et révoltant. Je demeurais là, crispée, exsangue, ne pouvant que subir dans mes chairs la fougue d’un sauvage.

Les événements récents, mon anxiété chronique, m’avaient ôté toute énergie vitale. Mes pensées refusaient de répondre. J’étais comme un pantin déchiqueté sous les crocs et les grognements du dogue.

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