Chapitre 14

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Le serpent venimeux

Cela faisait si longtemps que j'étais enfermé sous terre dans cette cage en fer. Mon seul crime, avoir obéit aux ordres d’Héra. Cette dernière, jalouse de Léto, la nouvelle maitresse de Zeus, m’avait ordonné de la poursuivre sans relâche. Mais je n’avais pu mettre la main sur elle, car elle s’était réfugiée auprès de Poséidon pour donner naissance à des jumeaux : Apollon et Artémis. Et pour me punir, d’avoir persécuté sa mère durant sa grossesse, j’avais été tué par Apollon et je m’étais retrouvé enchainé dans le Tartare.
Cependant, je venais d’être libéré, mais je ne pouvais pas encore endosser ma véritable enveloppe, celle que je chérissais. Non, je devais ressembler à ces créatures immondes possédant des bras et des jambes.

_ Tssss…

Me retrouver dans le corps d'un humain était un véritable calvaire. Je préférais sinuer sensuellement que marcher tel un constipé. Hélas, Le Seigneur des Cieux m'avait confié une mission et il était hors de question d'échouer ! J'avais déjà passé trop de siècles dans cette prison austère.

Cette soi-disant liberté que l'on me promettait, en cas de succès, n'était qu'une illusion éphémère, des paroles en l'air. Je devais effectuer le sale boulot et me taire, tel un chien portant une muselière.

Les jours de la fille d'Hadès étaient comptés, car je n'allais pas me dérober sous peine d'être bafoué. Sa mort contre ma délivrance, tel était le prix à payer. Aucune indication ne m'avait été fournie, mais une vision allait bientôt me parvenir.

_ Tssss…

J'étais Python, fils de Gaïa, la Reine de la Terre. Autrefois, je vivais à Delphes où je régnais en maître, celui des divinations. Oui, j'étais le père de tous les oracles et je le suis encore.

***

J'étais dans un pays que l'on nommait Tahiti. C'était à cet endroit, au bord de la plage sur laquelle je me trouvai, que le Messager des flots avait aperçu la progéniture maudite d'Hadès. Je l'avais cherchée, mais aucune trace d'elle, son père l'avait bien dissimulée pendant toutes ces années. J'attendais donc qu'une vision pointe le bout de son nez, sauf que ma patience commençait à s'étioler...

—Tsss…

Je ne comprenais pas cet engouement qu'avaient les humains à l'égard de cette chose bleue et nauséabonde. Ils s'y étaient amassés nombreux et ne cessaient de brailler, de gesticuler, s'asperger d'eau et de se badigeonner de sable. Immondes cafards ! J'avais entendu l'une de ces créatures parler de « vacances » à son acolyte. Que voulait dire ce mot ? Buffet à volonté ? Car, oui, j'avais faim ! Mon estomac ne cessait de gronder.

Cependant, il était plaisant de se poser sur un rocher et de se faire réchauffer par l'astre de feu.
Lézarder était agréable !
Vivre était délectable !
Être mouillé était abominable !

Un horrible petit humain tout baveux, venait de m'éclabousser et il osait rire. Je ne laisserais pas passer cet affront, il allait mourir !
Je regardais toutes les créatures présentes et changeait mon fusil d'épaule. J'avais été patient jusqu’ici, mais ils allaient tous périr, car je devais me nourrir avant de défaillir.

Je l'hypnotisai à l'aide de mes yeux, et lui ordonnai mentalement de venir à moi.
Approche petit humain, j'ai quelque chose à te montrer.
Il dodelina de la tête et sortit de l'eau pour grimper sur mon rocher. Hum, il était bien dodu, j'allais me régaler !
Une vision décida que c'était le bon moment pour m'assaillir d'images révélatrices. Mon corps fut pris d'un soubresaut et je m'affalai sur le sol rocailleux et sablonneux. Mon esprit s'envola hors de cette enveloppe humaine. J'étais devenu sourd à ce qui m'entourait et je voyageai dans l'espace-temps.
Mon essence s'arrêta dans un jardin d'une ville américaine. Une fille, dont la chevelure noire faisait penser à des algues, pourchassait un petit garçon blond qui rigolait aux éclats. Elle le rattrapa et se mit à le chatouiller. Le bonheur et la joie s'échappaient en volutes épaisses de leurs pores. Ensuite, ils prirent place sur une chose en bois, pourvue de cordes et de planches, et avec laquelle ils pouvaient se balancer.
Une nymphe à l'air sévère sortit et les interpella. La fille se retourna et ses yeux vairons, bleu et mauve, capturèrent mon regard. Me voyait-elle, c'était impossible, j’étais invisible, incorporel. Elle fronça les sourcils et se détourna. Elle s'adressa au petit humain qui lui prit la main. Ils s'engouffrèrent dans la maison aux briques brunes et je les perdis de vue car ma vision m'emmena autre part.
J'étais à présent dans une forêt humide : des arbres verts, des animaux appétissants, une pancarte indiquant : Forêt de Sam Houston, Ville de Houston.
Une jubilation sans nom prit possession de mon corps et je revins à la réalité. Des gens m'entouraient pensant que je me sentais mal et un sourire carnassier se dessina sur mes lèvres. Non, j'allais bien et j'avais faim...

—Tsss…

J'avais trouvé la fille ! Maintenant, je devais réfléchir à un plan pour l'approcher en toute discrétion.
Mais, avant, j'allais me sustenter...
Des cris de souffrances brisèrent la douce quiétude de cette fin d'après-midi ensoleillée, dans une ville de Tahiti.
La mer qui était jusque-là saphir se teinta de Ruby...

***

J'étais dans le jardin qui m'était apparu lors de la vision que j'avais eue deux semaines auparavant.
Il faisait sombre, le vent s'était levé et une brume enveloppait la ville. Des lumières de lampes tentaient tant bien que mal de filtrer au travers des lumières, mais à cette heure-ci, il y en avaient très peu. Au loin, on pouvait entendre le vacarme que faisaient les engins à roues, des portes qui claquaient, des chouettes qui hululaient, des chiens qui aboyaient, des gens qui parlaient, …
L'herbe émeraude, sur laquelle je m'aventurai, était recouverte d'une fine pellicule d'eau et me mouillait les orteils. Je n'avais pas pris la peine de me chausser, ni m'habiller, car j'allais bientôt me transformer.
Je me léchai les babines à la pensée du festin qui m'attendait. J'allais me régaler et ne me contenterai pas de la fille, la nymphe et le garçon. Non, toute la rue allait y passer.
Je m'approchai d'une porte en bois blanc dont la poignée en métal irradiait au clair de lune. Il me restait trois marches à franchir pour atteindre mon but. Trois marches qui me séparaient de mon repas et de la fin de mon trépas.
J'étais sur le point de les monter, mais une force immatérielle me repoussa avec violence et je m'écrasai sur le toit d'une machine à roue. Cette dernière hurla son mécontentement et je la fis taire en lui arrachant tout ce qui la composait. Des objets de toutes sortes s'éparpillèrent autour de moi et un liquide visqueux s'échappa de sa carcasse fumante. J'aperçus mon reflet morcelé au travers une glace brisée, je faisais peur à voir. Toute humanité m'avait quitté : ma langue fourchue ne cessait de s'échapper d'entre mes lèvres, mes yeux étaient redevenus jaunes avec des pupilles verticales et mon corps ondoyait. Je perdais le contrôle et c'était mauvais signe. Je n'avais pas vu les barrières magiques entourant tout le périmètre autour de la maison. J'aurais dû y penser ! Hadès était intelligent, l'habitation était inviolable et mes pouvoirs ne pouvaient rivaliser avec ceux du Seigneur des enfers. Je devais trouver une autre solution pour mener à bien cette mission ! Pour cela, j'allais devoir attirer la fille hors des protections !

Un humain, qui avait été alerté par le son émis par l'engin à roues, sortit de chez lui et s'approcha de moi.
_ Allez-vous amuser ailleurs et pour l'amour du ciel habillez-vous ! hurla-t-il en me postillonnant dessus.
Je pivotai ma tête dans un angle incongru pour un humain et le dévisageait. Il déglutit et commença à marcher à reculons. Il avait un ventre bedonnant, des jambes courtes et flasques, et il sentait la transpiration, mais je m'en contenterais.
À la vitesse de l'éclair, je me précipitais sur lui pour lui dévorer la langue, si l'envie de crier lui prenait. Ses yeux s'exorbitèrent d'horreur et de souffrance. Je gobai, ensuite, ses globes, dévorait un à un ses membres et aspirai son sang chaud et onctueux.

Dans cette nuit noire, il n'y avait que le bruit de succion d'une bouche sur des os qui se fit entendre. Une fois repus j'émis un rot retentissant et je m'en allait.

***

Cela faisait des jours que je tournais en rond, à la recherche d'une occasion d'approcher la fille. Le temps me semblait long, faire le guet pour trouver une faille dans ses protections devenait lassant.
J'essayais de tromper mon ennui en dévorant ceux qui osaient s'aventurer seuls la nuit. J'attendais, caché et lorsqu' une proie se présentait je la mangeais avec délectation et concupiscence.
Alors que je suçais la moelle osseuse de ma victime, une prédiction me parvint.

Un ciel déversant des trombes d'eaux.
Des animaux fuyant une menace.
Une forêt se balançant au gré du vent.
Une maison remplie de créatures— nymphes, satyre, centaures… —en train de chanter.
La fille maudite dans une robe rouge sang en train de danser.
Une date le 27 octobre.

Il ne restait à cette pauvre enfant et ses amis que deux jours d'existences. Après, j'allais tous les anéantir.
Mon repas émit un gémissement sourd et je lui craquai le cou pour ne plus l'entendre.

Dans deux jours, je serai enfin libre.
Dans deux jours, je pourrai revêtir ma véritable apparence.
Dans deux jours...


- Tsss...

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