Le rendez-vous

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Pendant la semaine qui précéda mon entrevue avec lui, je me renseignai un peu plus sur Lev Haakonen. Ce qu'avait dit Maarti était exact, et vérifiable partout. Je fus très occupée par les répétitions, mais je me surpris à penser beaucoup à lui. J'avais vraiment envie d'en savoir plus sur ce type pas très ordinaire. Lorsque le jour du rendez-vous arriva, fixé par un rapide coup de fil à sa secrétaire, je mis beaucoup de temps à décider ce que j'allais porter. Il fallait que je lui fasse manger ce contrat, je devais paraitre à la fois sérieuse et jolie.

Je pris le métro à neuf heures pour me rendre à son bureau, qui était situé à Espoo, en périphérie de la ville. J'étais très stressée, mais j'avais hâte de le voir. Les bureaux principaux de Novka étaient grands et lumineux, situés dans une de ces enclaves forestières qui séparent les quartiers de la ville. Ils correspondaient tout à fait à l'image de la marque.

Étrangement, il y avait peu de gens dans le bâtiment principal. Il avait même l'air vide.

À peine entrée dans le bâtiment, je me sentis très nerveuse et jugeai qu'il était plus sage d'aller boire un café avant d'aller voir la secrétaire. Il y avait justement un distributeur, et en attendant que ma boisson coule, je me recoiffai face à la vitre. Lorsque je me retournai, ce fut pour me retrouver nez à nez avec Lev.

— Ah, bonjour, bredouillai-je. Justement, j'allais vous voir.

— Je sais, fit Lev avec un sourire fin. Mais je pensais que vous n'arriveriez pas avant dix heures, alors je comptais boire un café avant de vous attendre. Excusez ma tenue, mais je suis allé courir dans les bois à côté et je n'ai pas encore eu le temps de me changer, je comptais le faire après le café en fait.

Je jetai un œil rapide sur ses vêtements. Effectivement, il avait troqué son costume noir de la soirée contre un jogging et un sweat-shirt. Du reste, cela lui allait très bien. Il faisait patron cool en friday-wear à l'américaine, et cela achevait de donner une idée positive de sa personne. Mais son regard perçant reflétait une intelligence froide et calculatrice, très à l'opposé de ses traits et de son ton chaleureux. Il m'avait tout à fait l'air d'être du genre à faire exprès de trainer en casual-wear avant un rendez-vous pour rassurer les partenaires économiques...

— Désolé, j'arrive toujours en avance, balbutiai-je, un peu gênée. Mais ce n'est pas votre secrétaire qui vous fait votre café ?

— Ne vous excusez pas, répondit Lev en passant son bras au-dessus de moi pour insérer une pièce dans la machine. Je n'arrive jamais au bureau avant dix heures, de toute façon. Aujourd'hui, c'est exceptionnel. Quant à ma secrétaire, eh bien, elle est occupée par des choses beaucoup plus importantes que de faire le café du patron. J'ai peu d'employés ici, finalement.

Lev me tendit mon café, que je pris maladroitement, puis attendit, les mains dans les poches, que le sien finisse de couler. Pendant ce temps, il me regardait du coin de l'œil, un léger sourire aux lèvres. Je me brûlai en tentant de boire le café qui venait de sortir, et soufflai dessus sous le regard amusé de Lev. Il doit me prendre pour une foldingue, pensai-je, contrite.

— Suivez-moi, dit-il en prenant son café dans la main gauche.

Je le suivis dans les couloirs jusqu'à la réception, où une jeune femme aux courts cheveux roux me salua.

— C'est mon rendez-vous, Ava, fit Lev en passant devant elle. Je serai dans mon bureau jusqu'à midi, alors je ne prends plus personne.

La secrétaire acquiesça et je poursuivis mon périple sur les pas de Lev dans les escaliers. Arrivé au premier étage, il ouvrit une petite porte et s'effaça pour me laisser passer.

— Entrez.

Le bureau était, comme le reste de l'immeuble, lumineux et épuré. Du reste, il n'était pas très grand, du moins pas comme on s'y attendrait du bureau du PDG d'une boîte comme Novka.

Lev me dépassa et tira un fauteuil face au bureau.

— Mettez-vous à l'aise, dit-il avant de poser son café et de se diriger vers une grande armoire située dans la pièce derrière moi.

J'obtempérai. Tout ce qu'il disait était proféré sur un ton chaleureux et presque doux, mais cela n'en restait pas moins des ordres. Je n'avais jamais entendu Lev dire le moindre « s'il vous plait » ou encore « je vous en prie », et il parlait toujours à l'impératif. C'était assez déroutant.

Curieuse, je regardai autour de moi. Il n'y avait pas grand-chose de très personnel. Pas de photo de famille, ni de chien ou chat... Et pas la moindre carte postale.

— Comment s'est passé votre voyage ? demandai-je en me retournant, avant de revenir dans ma position initiale, les joues en feu.

Derrière moi, Lev était en train de se changer, et il venait de retirer son sweat et son t-shirt d'un même mouvement au moment précis où je m'étais retournée. J'avais eu le temps d'apercevoir un torse parfaitement sculpté, des abdos apparemment en acier et des bras puissants. En fait, je n'avais jamais vu une musculature aussi parfaite autrement qu'en photo.

— Très bien, répondit-il sans que rien n'indique qu'il m'avait vue. Je suis rentré hier, en fait. Un jour plus tard que prévu.

— Où êtes-vous allé ? m’enquis-je en tentant désespérément d'avoir l'air naturelle.

Sa voix me parvenait toujours de derrière. Il en était où, maintenant ? Au bas ?

— J'étais au Japon. Novka domine le marché en Chine, mais n'est pas du tout implanté au Japon, et j'aimerais bien que ça change. Seulement là-bas, ils ont un système très particulier, qui laisse très peu de place aux marques non japonaises. C'est un pays extrêmement conservateur, vous savez.

Je me retournai discrètement. Lev était en train de finir de boutonner sa chemise, et il avait même changé de pantalon. Rapide et efficace.

— Vous vous plaisez au Japon ? ajoutai-je pour parler, car du reste j'ignorais tout de ce pays.

— Je déteste le Japon, répondit Lev carrément. Moins j'y vais, mieux je porte, mais je suis malheureusement obligé d'y aller souvent. En revanche, j'adore la Chine.

— N'est-ce pas assez similaire ?

— C'est très différent, comme le jour et la nuit. Dites à un Chinois ou à Japonais qu'ils se ressemblent, et ils vous étripent tous les deux !

— Charmant, murmurai-je pour moi-même.

— En fait, dit-il en s'asseyant face à moi, je suis né au Japon, dans une enclave russe des îles Kouriles. Mais je suis retourné sur le continent vers l'âge de quinze ans, et je n'en ai pas de très bons souvenirs.

Lev posa ses deux coudes sur le bureau et appuya son menton sur ses mains croisées.

— Alors, qu'est-ce que vous avez à me proposer ?

Ayant pendant un instant oublié le but initial de ma visite, je sortis toute ma paperasse avec des gestes plus nerveux que ce que j'aurais souhaité. C'était maintenant que tout allait se jouer.

Le bureau était large, ce qui rendait difficile la lecture conjointe des documents. Le remarquant sans doute, Lev se leva, en fit le tour et tira une chaise pour s'asseoir à côté de moi. C'était la première fois que j'étais aussi proche de lui, et ma nervosité atteignait des sommets inégalés. Je tremblais, bégayais, peinais à lire les chiffres et les caractères d'imprimerie. Pourquoi une simple présentation me rendait si nerveuse ? Heureusement, il ne faisait déjà plus attention à moi, plongé attentivement dans le dossier.

Alors que Lev était occupé à lire les documents se trouvant sur mes genoux, les yeux baissés sur ces derniers, j'eus tout le loisir d'observer son visage de près. J'avais toujours du mal à soutenir son regard et n'osais pas le regarder franchement, aussi, je n'avais pas vraiment eu l'occasion d'avoir plus qu'une impression générale de son visage plutôt particulier. Ce qui me frappa le plus, c'est le mélange de force et de douceur qui se rencontrait harmonieusement dans ses traits : il avait des yeux de chat très en amande, bordés de longs cils noirs, un visage plus triangulaire que carré, des pommettes hautes et des joues légèrement creusées. Sa peau était très pâle, mais épaisse : contrairement à celle de la plupart des scandinaves, il était impossible d'y discerner la moindre trace de rougeur. En revanche, je distinguai de multiples tâches de rousseur, minuscules, sur son nez et même sur son front haut et large. Il fallait être très près pour pouvoir les voir. Ses sourcils étaient de la même couleur gris cendrée que ses cheveux, et il avait de petites oreilles pointues d'elfe, derrière lesquelles ils les rabattaient. En fait, c'était exactement ça : il ressemblait à un elfe dans une grosse production hollywoodienne. Du tout se dégageait une impression de froid intense, heureusement contrebalancée par son ton toujours agréable et chaleureux. Je suppose que c'est ce qu'on doit appeler le type sibérien, réalisai-je en observant le mélange frappant de traits eurasiens et scandinaves, le caractère polaire de ses traits.

Il finit par lever son regard glacier sur moi.

— Ça me va, annonça-t-il. Je suis d'accord pour m'engager.

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