LXIV. Les masques tombent.

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Pour seule réponse, un grondement sourd ébranla le nuage d'ombres. Saylin devina qu'elle devait l'interpréter comme un rire de la part de leur adversaire. Inquiète de la réaction de son ami, la jeune fille se tourna prestement vers lui. Le lézard avait simplement serré les poings de fureur et reportait désormais son attention sur les deux armées confondues. 

" Voilà notre ennemi commun ! Voilà la véritable cible de vos canons ! Voilà celui qui vous a manipulé, qui nous a mené à cette guerre insensée ! Ou plutôt devrais-je dire celle..."

Un long silence suivit ces mots. Tous se regardaient, inquiets, intrigués, perdus. Ce nuage noir pouvait-il vraiment être à l’origine d'une guerre ? Si les soldats reptiles contemplaient le dernier des Calcinés avec admiration, les gnomes restaient de marbre face à ces accusations. 

" Ces ténèbres sont le fruit de votre déesse, Kazroka ! Elle n'agit pas en votre faveur, elle oeuvre pour le Chaos ! Croyez-moi, nous devons être unis dans cette dernière bataille, la dernière véritable bataille ! En nous serrant les coudes, en nous relevant mutuellement, en combattant côte à côte, peut-être arriverons-nous à emprisonner la déesse ! Me soutiendrez-vous ? Nous soutiendrez-vous ? s’exclama le Calciné, les bras levés au dessus de la tête. Il en va de l'avenir de notre monde ! Si nous n'agissons pas, les Quatre anneaux ne seront plus ! Nous soutiendrez-vous ? Nous soutiendrez-vous pour cette ultime combat ? répéta-t-il avec entrain."

Aussitôt, une vague de cris de guerre et de ferveur se répandit dans la foule. Tous, qu'importe leur pays, levaient leurs armes en signe de soutien.

Avec un sourire attendri, Saylin balaya cette étendue à nouveau pleine d'espoir, puis leva elle aussi le bras et souffla, pour elle-même :

" Pour le Vent de mon anneau... Tu me manques mon ami..."

Pourtant, alors que l'exaltation touchait à son apogée, un nouveau grondement se répandit dans les ombres. S'il s'agissait bien d'un rire, celui-ci se faisait plus cynique, amusé. 

Avant même qu'Arse n'ouvre la bouche, Feorl lui donna un coup de coude et désigna, au loin, une forme au cœur du voile noir. Alertée, Saylin tourna également ses yeux vers elle. Elle distinguait une silhouette, comme flottante au sein des ombres seulement nimbée d'une aura violette. Alors que l'individu se rapprochait, Saylin remarqua, au centre de cette aura, une teinte blanche comme la neige. Peu sûre d'elle, la jeune fille interrogea ses camarades du regard. Elle croisa d'abord celui de Maya et faillit être éblouie par la lueur puissante que dégageait son front. Du simple reflet au fond de ses prunelles noisette, Saylin comprit que la Reflétée refusait de croire ce qu’elle avait vu, ne voulait pas comprendre qui était leur ennemi. Feorl, quant à lui, semblait fouiller dans sa mémoire à la recherche d'une personne similaire, mais finit par jeter un coup d’œil interrogateur à Saylin pour davantage d'explications. La jeune fille ne pipa mot et se concentra enfin sur Arse, qui n'avait pas quitté la silhouette du regard. Elle sentait que ses théories s'échafaudaient aussi vite qu'elles redevenaient poussière. 

Il finit cependant pas se tourner à nouveau vers ses amis et s'écria :

" Un Immaculé ! Je l'avais dit depuis le début ! Aëstelle nous a trahis, elle obéit à sa déesse et a tout manigancé depuis le début !

— C'est faux ! Aïa avait toute confiance en Aëstelle ! Si elle l'a acceptée, c'est qu'elle savait que son cœur était pur !

— Et pourtant ! Regarde qui voilà ! cracha le lézard. 

— Maya a raison, Arse. Cela ne peut être Aëstelle, s’interposa Saylin. 

— Et pourquoi donc ? 

— Ça se voit d'ici. Cet être n'a pas la taille d'un gnome.

— Je suis désolé, mais j'ai peur de ne pas comprendre, intervint Feorl. 

— Ce n'est pas grave. De toute façon, que cela soit elle ou n'importe qui d'autre, c'est notre ennemi ! Nous devons nous organiser !"

Pour la troisième fois, un rire transperça les ténèbres. Surpris, les quatre amis relevèrent la tête vers l'endroit où la silhouette était apparue. Rien. Que des ombres, de la noirceur. 

" Montrez-vous, souffla Arse alors que les flammes montaient à ses poings."

Après un autre grondement, un nuage violet apparut juste en face de lui. Tandis que le Calciné envoyait un coup de griffes au cœur de la forme, celle-ci se recula et esquiva avec une facilité déconcertante. Il fit une nouvelle tentative infructueuse, suivie d'une troisième, en vain. 

Le nuage violet s'éleva de quelques mètre, hors de portée, et enfin, il se dissipa. Saylin étouffa un hoquet de surprise alors qu'elle reconnaissait les cheveux châtains, courts et soignés, le regard vert implacable et la peau bronzée de Maëross, l'Immaculé qui les avait accueilli à Aïane. L'Immaculé qui lui avait fait la promesse de chercher la raison de ses pouvoirs. La première personne à qui elle avait accordé sa totale confiance. 

Aux côtés de la jeune fille, ses amis paraissaient tout aussi hébétés. Si Arse le regardait avec haine et colère, Maya semblait plus surprise, déçue, désappointée. Seul Feorl ne réagissait pas, n'ayant jamais vu cette homme à l'allure charismatique. 

Alors que ses yeux profonds les scrutaient avec insistance, un léger sourire se dessina sur les lèvres de l'Immaculé. 

" Quelle surprise, murmura-t-il de sa voix grave et apaisante. Nous nous sommes déjà croisés il me semble, je me trompe ?

— Non, répliqua Maya, le cœur au bord des lèvres. 

— Oh... Quel chagrin petite Maya... La vie est dure n'est-ce pas ? Que de désillusions...

— Pourquoi ? le coupa Arse. Pourquoi toutes ces horreurs ? N'étiez-vous pas au service du bien ? 

— Je l'ai été, en effet... Une lointaine époque il me semble... Mais comment résister à la tentation de basculer ?"

L'homme conservait son allure fière et impressionnante, mais son cynisme différait complètement de son attitude lorsqu’ils l'avaient rencontré à Aïane. 

" Cela n'explique rien. Qu'avez-vous fait ? Ne vous arrêterez-vous jamais ? 

— Pourquoi toujours des explications, alors que la victoire est à portée de bras ? Mourir avec vos réponses vous fera-t-il mourir heureux ? 

— Nous n'avons pas l'intention de mourir, articula Arse, implacable. 

— Dommage, car c'est quant à moi bien mon intention."

Aussitôt, un rayon violet jaillit des ténèbres et, après avoir oscillé quelques instants tel un serpent, fonça vers le torse du Calciné. Au même instant, alors que le bout du projectile allait heurter le lézard, un mur de glace s'érigea devant lui et l’arrêta net. Surprise, Saylin se tourna vers Maya. Celle-ci, une main tendue vers Arse, regardait avec défi l'Immaculé. 

" Je vois... L'oiseau a quitté le nid on dirait, s'exclama ce dernier, railleur.

— Et il n'hésiterai pas à lutter contre son maître si besoin est, renchérit la Reflétée. 

— Mais ta langue s'est acérée également ! C'est attendrissant, mais tu ne peux rien contre moi. 

— Et pourquoi donc ? Qu'avez-vous fait ? Quel genre de monstre êtes-vous devenu ? 

— Quel genre de monstre suis-je tu veux dire ? C'est bien simple, je suis la puissance même... Je suis l’incarnation de la déesse Kazroka, mère des gnomes et de cette chère Aëstelle..."

Le ton de Maëross prenait une teinte légère, presque enfantine. Les paroles qu'il prononçait semblait sonner comme des banalités à ses oreilles. 

" Que lui avez-vous fait ? 

— Moi ? Rien du tout. Quelques paroles sensées à la populations tout au plus. C'est fou comme l'esprit humain peut accuser vite pour d'aussi futiles raisons... Quelle méchante Immaculée d'avoir orchestrée une embuscade gnome contre nos chers invités... 

— Elle était innocente ! Vos l'avez accusée de vos propres crimes ! Où est-elle maintenant ?

— Dans les geôles éternelles d'Aïane, pour y avoir amené la violence et le sang...

— Et à quoi rime cette mascarade ? intervint à nouveau Feorl. Je ne vous connais pas, et, en toute honnêteté, vous ne me semblez pas bien recommandable. Alors pourquoi ne pas tout arrêter de suite et admettre que vous êtes le méchant, fin de l’histoire ?"

Maëross éclata d'un rire franc, avant de reprendre immédiatement contenance et de déposer un regard froid sur l'Istiol. 

" Vous n'avez toujours pas compris n'est-ce pas ? Tout simplement car j'ai ici l'occasion en or d'éliminer deux dieux du panthéon..."

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