LXIII. Ton cœur est la lanterne

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Dans la pénombre presque palpable, une vague de chuchotis et d’exclamations de surprise parcourut les deux armées. Les combats cessèrent à  nouveau, les soldats se rassemblèrent en un unique groupe, perdu parmi les ombres. Si personne ne savait la nature précise de cette noirceur soudaine, Maya redoutait le pire. Durant toute son enfance, elle avait étudié les vieilles légendes liées au panthéon divin. Suite aux affirmations d'Arse, chaque récit s'imbriquait peu à peu dans son esprit. Il était reconnu dans tout Aïane que les ombres étaient l'arme du Chaos. Le Chaos, éternel ennemi du Rideau entretenu par Aïa, source de lumière et d'espoir. A cette pensée, la Reflétée releva les yeux vers les vapeurs tourbillonnantes autour d'elle. Leur lueur n'était qu'une étoile dans la nuit, mais suffisait à redonner courage. 

Le silence seulement troublé par la peur et le questionnement, une atmosphère oppressante s'installait petit à petit. De tout son cœur, Maya s'efforça de raviver la lumière de la brume, de diffuser l'espoir qui s'en émanait. Alors qu'elle balayait la masse informe de lézards et de gnomes, tous dissimulés par la pénombre, elle ne distingua que leurs yeux, tournés vers le scintillement du Rideau. Des reflets immaculés brillaient dans leurs prunelles comme autant de gouttelettes de la cascade. 

Rassurée de remplir son rôle, la jeune fille se tourna vers ses amis. Arse inspectait, fébrile, l'immensité ténébreuse qui s'étalait au dessus de leur tête. A son seul regard, elle saisit la détresse qui lui tiraillait les entrailles. Son rêve de liberté et de rébellion se métamorphosait sous ses yeux en un cauchemar d'ombres et de chaos. La Reflétée aurait tant voulu saisir sa main, lui montrer qu'ils affronteraient cela tous ensemble, qu'elle le soutiendrait jusque dans la mort s'il le fallait. Dans sa tête se répercutait encore la voix d'Aïa : Suis ta voie... Ce lézard avait donné un sens à sa vie, lui avait montré son objectif, sa raison d'être, elle en était désormais persuadée. Aïa était avec elle, avec eux, avec lui. Elle avait enfin obtenu le lien avec sa déesse qu'on lui avait prédestiné depuis sa naissance. Encouragée, la jeune fille se concentra davantage sur les vapeurs, les exhorta à donner le meilleur d'elles-même. 

Aïa, ma déesse, je vous en prie, venez moi en aide. C'est ici que tout se jouera, et nos forces ont besoin de vous, le bien a besoin de vous. Nous affronterons votre ennemi, le Chaos. Venez-nous en aide... Confiez-moi un peu de votre puissance, ma déesse... Je vous en supplie...

Maya savait pertinemment qu'Aïa n'avait jamais répondu à ses prières mais ne pouvait s'empêcher d'y croire. Si elle, qui s’efforçait se diffuser espoir et lumière, cessait d'avoir foi, alors qui l'aurait encore ? Il était de son devoir de croire aux miracles et de conserver la fébrile lueur d'espoir au fond des pupilles. 

Néanmoins, contre toute attente, la déesse cessa de répéter la même unique phrase et, au sein de l'âme de sa voyante, prit la parole. 

Tu n'as pas besoin de moi Maya... Tu n'as jamais eu besoin de moi. Ma force est déjà en toi, je n'ai rien de plus à te donner. Tu es la puissance même... 

Mais... Depuis mon enfance, on me répète que mon plateau d'argent... Que je suis en lien avec vous, que je suis votre Voyante...

Oui, tu l'es. Mais ton plateau ne t'as jamais été utile. Lorsque tu l'as perdu, tes pouvoirs n'ont fait qu'augmenter. Tu as enfin cru en ta puissance. Tu es une partie de moi, tout comme je suis une partie de toi...

Tous les Reflétés ne sont-ils pas une partie de vous ?

Si, bien sûr, mais ils sont également une partie de toi... Je t'ai accordé, dès ta naissance, une part de mon âme, donc une part de l'âme de tous les Reflétés. Tu es l'union de ma puissance et de la leur... Tu es leur guide, leur bannière, leur espoir...

Ma déesse ! Je ne suis pas sûre de comprendre... Pourquoi m'avoir dissimulé cela pendant tout ce temps ?

Enfant, tu n'étais pas prête à recevoir tant de pouvoirs... Ton équilibre en aurait été détruit, comme celui de n'importe quel être. Tes capacités ne sont pas à prendre à la légère... Puis, durant ton périple, tu te cherchais encore, découvrais peu à peu tes dons, sans pour autant savoir ton véritable but. Aujourd'hui, alors que la fin approche, tu l'as cerné, sous sa forme la plus pure... Tu sais enfin pourquoi ton destin t'a mené jusqu'ici, pourquoi tant de pouvoirs t'ont été légués...

Non ! Je ne sais pas ! Nous sommes face au Chaos ma déesse, que peut donc faire une enfant face à ce monstre ?

Vraiment ? Tu l'as pourtant pensé tout à l'heure... Quant à ta question... Tu peux faire bien plus que tu ne le crois... Ne laisse pas ton cœur t'aveugler, mais écoute-le tout de même. Il est sage et pur... 

Mais... Cette voie... 

Intérieurement, Maya retraça chacune de ses pensées. Enfin, la vérité lui sauta aux yeux.

Je le soutiendrais jusque dans la mort s'il le fallait... Je suis prête à mourir pour lui... Est-ce cela, ma voie ? Mourir ?

La mort n'est-elle pas l'objectif de tout être ? 

Non ! Je suis, certes, prête à mourir, mais pour sauver mes amis, pour sauver les quatre anneaux, pour sauver l’Équilibre ! Je ne veux pas effectuer de sacrifice inutile, guidée par un destin  que je connait pas !

Qui a parlé de sacrifice inutile ? L'important, c'est l'état d'esprit et les convictions que tu emporteras dans la mort... Adieu mon enfant, l'espoir vivras tant que tu y croiras... Ne laisse pas ton jugement t'aveugler... Tout n'est pas perdu, tout n'est pas compris... Certains mystères perdurent, et seront brisés avant la fin... La fin est proche, mais la vérité l'est davantage. Bonne chance Maya, puisse la vie te sourire.

Ma déesse ! Ma déesse ! De quoi parlez-vous ? Quelle vérité, quels mystères ?  Éclairez-moi ! J'ai besoin de votre sagesse ! Je suis perdue dans les ombres, soyez la lumière qui me guidera jusqu'à la fin...

Je ne peux pas t'en révéler davantage mon enfant... Je romprai l’Équilibre... Les réponses à tes questions sont sur ta route, tu les croiseras bientôt... Tu n'as pas besoin de ma sagesse... Ton amie l'est suffisamment, et toi aussi... Quant à la lueur... Tu es la lumière, ton cœur est la lumière, laisse-le te guider...

Saylin ? Vous parlez de Saylin ? 

Oui. Sa sagesse est unique. Son empathie également. Les réponses à ses questions seront bientôt éclaircies... Bientôt, elle découvrira qui elle est... Et tu seras à ses côtés... Tout est lié... Les dieux ne sont pas frères et sœurs pour rien...

Merci ma déesse. Je lui dirai, avec votre permission bien sûr...

Tu as ma permission... Adieu mon enfant... Ton cœur te guidera, ne l'oublie jamais...

Aussi vite qu’elle s'était établie, la communication se rompit. Maya avait l'impression d'avoir nagé en plein rêve éveillé. Bien qu’autour d'elle, rien n'ait réellement changé, elle sentait qu'elle s'était absentée un instant. Les conseils et révélations d'Aïa bourdonnaient encore dans son esprit, si bien qu'elle ne parvenait pas à se focaliser sur autre chose. Elle ne savait quoi en penser. Tout était si flou, si abstrait... Voulait-elle vraiment ces pouvoirs ? Cette responsabilité ? Alors que ses pensées se dirigeaient vers l'éventuel sacrifice qu'Aïa lui prédestinait un cri interrompit son raisonnement. Sans même se tourner, elle reconnut cette voix qu'elle chérissait tant. Rauque et sifflante, et pourtant puissante et assurée. 

" Où vous cachez-vous ? A quoi rime cette mascarade ? Montrez-vous qu'on en finisse ! hurlait Arse."

Maya devinait que les flammes dans ses yeux se préparaient à occire sans pitié celui qui se dévoilerait. 

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