L. Trahison ?

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De paisible, le bureau était brusquement passé au branle-bas de combat. A peine Thylis avait-il prononcé ces quelques mots que, de tous côtés, Istiols et lézards s'affairaient avec précipitation. Le vieux Riast semblait en état de choc, livide et figé. Son cœur battait la chamade tandis que ses yeux vitreux suivaient avec lenteur les aller et venues de ses gens. Guidé par son sens du devoir, Arse lui agrippa fermement le bras et s'exclama avec colère :

" Ressaisissez-vous bon sang ! De quelle utilité êtes-vous si au moindre problème vous cessez d'agir ?"

Puis, en se tournant comme un ouragan vers Thylis, il reprit :

" De combien de temps disposons-nous ? Sont-ils loin ? 

— Moins d'une heure, je le crains. Ils ne sont pas encore à bonne distance pour nous tirer dessus mais cela ne saurait tarder, répliqua le garde. 

— Maya, Saylin, nous n’avons plus le choix, il faut essayer de faire ce que l'on a dit ! Feorl, Tilaë, vous rassemblez les Istiols l’entrée de la grotte ! Au moindre tir, vous en sortez, des Passagers ensevelis ne nous sont d'aucune utilité ! Vous, poursuivit Arse en secouant énergiquement le vieux dirigeant, vous venez avec moi ! Nous devons organiser l'évacuation des enfants et de leurs mères ! Tous les autres viennent se battre !"

Tel un coup de vent, il sortit en trombe du bureau, bousculant quiconque sur son passage. Derrière lui, Riast claudiquait, entraîné par la poigne de fer du Calciné. En quelques minutes, ils sortirent du long corridor et débouchèrent sur la petite esplanade du troisième palier. En dessous, un immense fourmillement occupait la grotte. Toute la population rassemblaient quelques affaires, perdait nerfs et tentait tant bien que mal de se réfugier. Des pleurs de bambins se répercutaient sur les parois rocheuses, accompagnés de hurlements de terreur. Devant ce spectacle apocalyptique, Arse lâcha Riast et bondit sur une rambarde de pierre qui surplombait tout le reste de la cité troglodyte. 

" Amis lézards !  Mes frères, mes sœurs ! Calmez-vous, l'heure n'est pas au désespoir ! Rassemblez-vous et cessez de geindre ! Ayez foi en votre force, en votre peuple, en vos confrères, et envers la victoire ! Les Calcinés sont revenus ! J'en suis le dernier représentant et je me battrai ici jusqu'à la fin, quelle qu'elle soit ! Je crois en notre puissance, et par dessus tout, je crois en vous ! Montrez-moi que vous êtes les dignes habitants du dernier bastion ! Personne ne perdra espoir ce soir, personne ne gémira ou ne se laissera aller à la débandade. Cette nuit signera notre fin à tous, ou bien notre renouveau, en paix! Et cela dépend exclusivement de vous ! Cette nuit, nous avons les moyens de gagner, de choisir notre destin alors agissez ! Pour notre salut, tous ceux en âge de se battre rejoindrons l'entrée de la caverne, auprès des alliés que j'ai ramené ! Ils sont avec nous, pour nous aider, et ils sont puissants, ne les sous-estimez pas ! Les enfants, accompagnés de leur mère, dirigez-vous vers l'enclos des Uracus et ne sortez que lorsque vous verrez apparaître un mur gelé au dessus de vous ! Ce soir sera la dernière lutte du peuple lézard, alors faites en sorte qu'elle se termine en notre faveur !" 

***

Suite aux instructions de leur ami, Saylin et Maya ne purent que s'échanger un regard décidé. Les doutes régnaient encore dans l'esprit de la Reflétée, si bien que Saylin s'efforça, concentrée sur sa propre assurance, de les dissiper. Toujours au cœur du désordre dans le bureau, elles peinèrent à se frayer un chemin le long de l'étroit tunnel encombré de Passagers et de lézards. A force de jouer des coudes, elles parvinrent enfin à en sortir et assistèrent aux dernières paroles du discours plein de convictions du Calciné. A peine eut-il fermé la bouche que la population se séparait docilement, l'une partie se dirigeant vers l'entrée, l'autres vers la sortie. Quatre à quatre, elles descendirent les deux étages qui les séparaient de l'enclos des Uracus et rejoignirent les mères ainsi que leurs enfants apeurés. Maya focalisait déjà ses forces vers les brumes au loin, les faisait se diriger vers la caverne, à une vitesse bien trop lente à son gout. Elle sentait les griffes des mères inquiètes agripper ses bras et murmurer quelques supplications mais ne dépensa aucune énergie pour leur répondre. En quelques pas, elle se faufila parmi les monstrueux scorpions enfermés dans de maigres enclos de pierres, repéra l'issue et sortit au cœur de la nuit. 

La température, bien qu'élevée, n'avait rien à voir avec celle qu'ils avaient endurée en journée. A l'horizon, elle distingua malgré la pénombre les minuscules étoiles qui scintillaient parmi les brumes du Rideau. Tout son être se focalisa sur ces vapeurs, formes éthérées et libres, fluides et agiles, légères et illusoires. Petit à petit, elle sentit la marque d'Aïa luire sur son front, éclairer la poussière environnante envahie par la nuit. Tel un chant spirituel, la voix de sa déesse infiltra son âme, en emplit chaque recoin, répéta sans cesse les mêmes paroles, comme lorsqu'elle avait anéanti l'arène des Trois Blizzards : "Suis ta voie Maya, suis ta voie Maya...". De tout son cœur, elle souhaitait répliquer qu'elle suivait déjà sa voie, qu'elle l'avait trouvé, qu'elle savait désormais ce pourquoi elle était là, mais la déesse ne l'écoutait pas.

Agacée de ces paroles sibyllines, qu'elle croyait avoir comprises, mais qui semaient à nouveau le trouble en elle, le Reflétée rassembla sa fureur et laissa libre cours à ses pensées. Toutes celles qui l'avaient dérangée, déçue, dépitée, se regroupèrent en un enchevêtrement compact mais explosif au sein de son âme. Celle qui avait le plus d'écho était bien évidemment les doutes soulevés par Arse concernant l’intégrité des Immaculés. Ce seul songe redoubla la fureur qu'elle attisait afin d'amplifier sa puissance. Elle sentait désormais les vapeurs la rejoindre, l'entourer puis s'élever au dessus d'elle. 

Les images d'Aëstelle, la douce Immaculée gnome, pleine de sagesse et de bienveillance, tournoyèrent à leur tour dans son esprit. Peut-être était-elle la sœur de l'un des gnomes qui les attaquaient ce soir ? Mais qu'importe ? Sa race n'avait pas fait d'elle ce qu’elle était, seul son cœur l'avait guidé. Doucement, une nouvelle pensée infiltra les barrières de son âme, plus inquiétante, plus cruelle. Qu'était-il arrivé à l'Immaculée suite à l'embuscade gnome au sein de la cité ? Bien qu'elle se refusât à la croire, cette pensée lui susurrait qu'elle avait été désignée coupable, coupable des agissements de son peuple. Mais qui d'autre aurait pu les orchestrer ? Arse avait-il raison finalement ? Avait-elle tout manigancé, de l'embuscade à l'arène, espérant ainsi les voir mourir durant les combats ? Tout au long de cette aventure, n'avaient-ils été que les pions de l'Immaculée ? Mais pourquoi ? Pourquoi les aurait-elle trahis ? 

Un flot de larmes monta aux yeux de Maya, qui ne discernait désormais rien d'autre que son chagrin, son dépit, ses inquiétudes. Tout avait été balayé par la trahison d'Aëstelle, qui s'était forgée une place dans son coeur. Tant de colère l'envahit qu'elle crût perdre pied, tant de puissance vibra à travers sa marque bleutée qu'elle crût cesser de la contrôler. Et pourtant, elle était encore là, debout dans la poussière, les bras levés vers le ciel de fumée, l'eau obéissant à la moindre de ses volontés. 

Saylin avait rejoint son amie dehors après avoir consolé quelques mères éplorées. Quand son regard se posa sur Maya, l'intensité des pensées qui s'émanaient d'elle la força à détourner les yeux. Elle ne pouvait rein faire désormais. Une aura bleue, crépitante d'énergie, entourait la Reflétée tandis qu'elle se laissait aller à la puissance de ses sentiments. Les vapeurs étaient déjà en train de former un mur brumeux derrière le Pic, sans aucune aide du Vent. Avant même qu'elle n'aie le temps d'appeler l'élément pour refroidir l'air autour du futur mur, la brume se cristallisa doucement, perdit sa forme légère, prit une teinte bleutée mais conserva sa myriade d'étoiles. En moins de quelques secondes, sous les prunelles ébahies de Saylin, Maya venait de former un gigantesque mur de glace, aussi haut que la montagne, larges de plusieurs mètres et plus résistant que la pierre. 

Doucement, la marque de la Reflétée cessa de luire, ses bras retombèrent et ses jambes se dérobèrent sous son poids. En un bond, Saylin la rejoint et la rattrapa avant qu'elle ne s’écrase dans la poussière. Les yeux noisette de Maya se déposèrent sur elle, embués de larmes et un mince sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'elle ouvrait la bouche. 

" Ne parle pas, tu as réussi, ils peuvent s'enfuir désormais. Tu as dépensé bien trop d'énergie, pourquoi ne m'as-tu pas attendu ? Que s'est-il passé ?

— Je ne sais pas... je ne sais plus, souffla Maya avant de clore les paupières."

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