XXXVI. Uracus

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D'un dernier bond, Feorl parvint enfin au sommet du talus. Plus qu'une colline, cet amas de cendre se terminait en réalité par un large cratère, apparemment éteint. Des roches volcaniques formaient le pourtour de la fosse, raides et effilées. Sous le regard étonné du chat, le filet de poussière se glissa sous ces pierres avant de disparaître totalement. Irrésistiblement attiré, l'animal avança prudemment, tous les sens en éveil, vers le centre du volcan afin de voir l'intérieur du creux. Pas à pas, il finit par atteindre les premières roches, d'un noir étincelant et profond. Soulagé de sentir enfin une surface solide sous ses coussinets, il trépigna quelques instants sur place, ignorant les éraflures causées par le tranchant des roches. Doucement, il reprit sa forme Istiole, debout en équilibre au sommet d'un volcan de plusieurs mètres de haut. Derrière le talus, au loin,  il aperçut une immense caverne, creusée sur le flanc d'un pic escarpé. Il ne distinguait qu'approximativement l'endroit mais compris, en remarquant l'activité qui l'animait, qu'il s'agissait sans doute du dernier bastion des hommes-lézards dont ils étaient à la recherche. 

Partagé entre l'envie d'aller prévenir ses compagnons et celle de retrouver la créature cachée sous le cratère, le petit homme s'immobilisa. Fébrilement, il jeta un regard plein de convoitise vers le creux du volcan avant de céder en un soupir. Sans un coup d'œil en arrière, il s'approcha davantage des roches abruptes et commença sa petite ascension, au détriment de ses mains, déchirées par le tranchant de ces œuvres de la nature. Les pierres s'effritaient sous ses pieds, il peinait à conserver solidement ses prises tant elles étaient douloureuses mais il tint bon. Après quelques minutes de souffrance et d'effort, il parvint enfin à se hisser maladroitement au-dessus du cratère. Rien. De la cendre, de la poussière, du sable brûlé... Dépité, il s'apprêtait à faire demi-tour en sautant au bas des pierres quand un léger, presque imperceptible bruit, venant du creux, le ravisa. Surpris, il se retourna soudainement et vacilla avant de retrouver son équilibre. Le tunnel était revenu, mais au milieu du volcan cette fois. L'estafilade de poussière formait des multiples cercles parfaitement identiques à une vitesse impressionnante. Hypnotisé par cette spirale infinie, Feorl se pencha en avant, manqua de tomber des pierres mais ne s'en soucia pas. C'était magnifique... Peu à peu, la poussière et la terre qui tapissaient le fond du cratère parurent se surélever, créant un minuscule monticule avec pour pic le centre du cercle.

Dominé par sa curiosité, Feorl descendit prudemment des pierres et entra dans le creux du cratère. Du bout du pied, il tâta le sol, vérifiant qu'il supporterait son poids, puis s'avança à pas mesurés vers le monticule, de plus en plus imposant. Alors qu'il pouvait presque toucher la forme dégoulinante de poussière qui faisait maintenant sa taille, celle-ci explosa dans une gerbe de cendre et de sable. À sa place se tenait désormais un dard affûté, blanchâtre, ondulant et recouvert d'une carapace à l'apparence visqueuse. Effrayé, le petit homme bondit en arrière alors que le sol se dérobait sous ses pieds. Le fond du cratère se fracturait inexorablement en de multiples crissements glaçants. Tombé à quatre pattes, Feorl s releva précipitamment et s'élança vers la barrière de roches qui entourait le creux. Quand il allait atteindre sa destination, un immense fracas retentit, la couche de terre se fendit alors qu'apparaissait un gigantesque insecte, pourvu de deux pinces acérées, d'une queue terminée par le dard tournoyant qui avait attiré l'Istiol et d'une monstrueuse tête aux petits yeux luisants. L'entièreté de la créature était d'un bac laiteux malgré la cendre sous laquelle il était tapi. L'écoulement de terre avait réformé un sol sous ses affreuses pattes alors qu'il faisait claquer ses mandibules, savourant son repas à venir.

En un coup d'œil horrifié, le Passager jaugea son adversaire. La bête déchiquetterait de ses pinces n'importe quelle forme animale qu'il pouvait prendre. Mais le pire était l'ondoyant membre qu'il agitait au-dessus de sa tête. Ce dard qui, par ses ridicules arabesques, l'avait attiré comme un idiot jusqu'à son nid. Quelle mort stupide pour le plus grand des Passagers... Il se retourna vers le monstre, le dos plaqué contre les roches qui lui labouraient la colonne vertébrale. De son regard aiguisé, il percevait la faible étincelle de délice qui brillait dans les minuscules prunelles noires dépourvues de cœur. Bien que laide, la créature était maligne...

Alors qu'il s'apitoyait sur son sort en contemplant son bourreau pour la dernière fois, une silhouette agile bondit sur la carapace du scorpion, lui arrachant un affreux crissement de surprise. Étonné, l'Istiol se concentra à nouveau sur le monde qui l'entourait et distingua son alliée, minuscule comparée à l'insecte. La tigresse, dont l'ambre luisait comme jamais, taillada de ses griffes affûtées la chitine du monstre avant de sauter aux côtés de son frère. Sur son dos, Feorl aperçut Tilaë, le visage fermé mais ses yeux exprimant l'inquiétude qu'elle refoulait tant bien que mal. Sans ménagement, la féline le saisit par le col, le lança sur son dos comme elle l'avait dans la Grande Forêt et bondit à nouveau au sommet des pierres volcaniques. Feorl, figé de stupéfaction, n'avait pas remué le petit doigt. Le scorpion avait émis un grincement de rage en voyant son repas ainsi parti mais s'élança à leur suite à l'extérieur du cratère. Bien qu'immenses, ses pattes puissantes et agiles, n'eurent aucun mal à le lancer sur la trace de la tigresse. Sangaë avait commencé à descendre le volcan, à un rythme effréné, esquivant avec difficultés les multiples attaques du dard qui la poursuivait. Ainsi ballotté, Feorl reprit ses esprits et observa d'un œil nouveau sa situation. Tapie dans la fourrure de sa sœur, Tilaë lui chuchotait à l'oreille la direction à prendre, les attaques à éviter, elle devenait les sens de la tigresse. L'Itsiole jeta un regard vers lui, un sourire désabusé aux lèvres, comme une mère regarde son enfant. Honteux, Feorl baissa les yeux en murmurant un timide : "Désolé..."

La course de Sangaë lui donnait la nausée mais il força son estomac à tenir le coup. Les deux bêtes dévalaient le talus à une vitesse inouïe, mais la tigresse perdait peu du terrain, forcée de bondir en tous sens pour esquiver les coups de queue hystériques du monstre. Sous ses pattes d'insecte, des couches de poussière se détachaient du pan de la colline, parfois accompagnée de pierres. Ils étaient en train de provoquer une avalanche de cendre.... En dessous d'eux, la longue file d'Istiols commençait à les pointer du doigt en poussant des cris d'effroi. L'écoulement de pierre allait trop vite, ils allaient se retrouver écrasés par la vague de sable qui poursuivait le scorpion et les deux Gardiens. 

***

Saylin, Arse et Maya venait à peine de remarquer l'absence de Feorl que, déjà, des cris fusaient dans la longue file d'Istiol qui les suivait. Alertée, Saylin se retourna, suivit les regards des petits êtres et remarqua enfin la catastrophe ne devenir. Le Passager, accompagné de Tilaë et juché sur Sangaë, avait sur les talons un immense scorpion blanc, lui-même poursuivi par une avalanche noire comme la nuit. Arse et Maya le distinguèrent quelques fractions de seconde après elle. 

" Il a réveillé un Uracus, cracha furieusement le lézard. "

L'inquiétude se lisait dans ses yeux de braise alors qu'il se précipitait vers les Istiols pour leur donner des instructions. Terrifiée, Maya s'élança à sa suite, laissant Saylin seule pour se concentrer. Une idée illumina son esprit alors qu'elle murmurait en un sifflement : 

"J'ai besoin de vous..."

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