XXIII. Premiers doutes

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Plus rien ne bougeait aux alentours. Seuls les quatre compagnons se tenaient debout, profitant du spectacle, désormais calme et sauvage. Au loin, sur la chaîne de montagne en face, Saylin reconnaissait son Pic, sa maison, son refuge. Maya, un sourire béat aux lèvres, admirait encore l'époustouflant résultat de son travail. Elle qui, moins de deux jours auparavant, ne savait même pas former une boule de neige... Les progrès avaient été fulgurants. Feorl, bien que plus âgé que ses camarades, trépignait sur place, comme un bambin. Il lui tardait de rejoindre son peuple, sa forêt, sa nature. Arse, en détaillant chacun d'eux, fut pris d'un élan de mélancolie. Il aurait tant aimé, lui aussi, avoir hâte de rentrer chez lui, de montrer ses capacités à ses proches... Alors qu'il contemplait la neige, réfléchissant à la suite de leur périple, un détail lui revint en mémoire :

" Les amis, je ne sais comment se profilera l'avenir, seulement j'ai cru... Dans le public, j'ai cru distinguer une toge, une toge immaculée... "

Il tâchait de retenir tant bien que mal sa fureur, mais n'entendant aucune réaction chez ses camarades, il explosa :

" Et c'te foutu sage n'a pas bougé le petit doigt pour nous !

– Qu'en sais-tu ? répliqua Saylin en lui déposant une main réconfortante sur l'épaule.

– Regarde où nous en sommes ? Cela ne te suffit pas ? Nous avons été trahis... D'abord les gnomes, et maintenant ça ? Jamais je n'aurais dû t'écouter, Aëstelle nous a menti ! cracha-t-il en se dégageant. "

Il quitta à grands pas ses compagnons, fatigués de leur naïveté. Ils n'avaient jamais connu le malheur, le vrai. La dureté de la vie, la cruauté, l'avidité, tout cela leur était inconnus. Ils ne vivaient pas dans le même monde... En relevant la tête, son regard croisa celui de Maya, debout juste devant lui. Elle s'inquiétait, elle avait peur, elle était blessée de ce manque de confiance. Seuls ses yeux exprimaient cela. Elle était incapable de le dire au lézard. Rageusement, il détourna le regard, agacé de ses reproches. Sans un mot, Maya s'éloigna, bouleversée. Le Calciné s'en voulut immédiatement. Alors qu'il se préparait à la rattraper, un immense mur de glace s'éleva dans le dos de la jeune fille, lui bloquant le passage. Plein de remords, le lézard s'effondra au sol, cherchant une solution qui ne les mettrait pas en danger, malheureux de se sentir aussi seul.

" Que faisons-nous ? murmura Maya, de retour auprès de Saylin.

– Je pense que nous pouvons passer la nuit ici, nous en avons tous besoin. Et ensuite, chacun sera libre de partir où il le souhaite. Je continue pour ma part avec Arse, nous devons choisir notre destination. Mais vous, vous êtes libres, ajouta-t-elle en faisant un signe de tête au Passager et à la Reflétée.

– Hors de question que je vous laisse, protesta Maya. Je suis arrivée ici avec vous, j'ai failli mourir avec vous, je ne vous laisserai pas terminer l'aventure sans moi !"

Saylin réprima un sourire. La Reflétée voyait ce voyage comme une aventure. Une aventure qui les avait mené dans une arène délabrée, pas le genre de quête que l'on raconte dans les histoires...

" Voudriez-vous m'accompagner dans la Grande Forêt ? Je vous suis redevable, et même si je ne sais ce que vous appelez " aventure", je serais heureux d'y prendre part si cela peux vous aider. De plus, ricana Feorl, je jouis d'une certaine réputation au sein de mon peuple, et tout me porte à croire qu'il sera prêt à vous aider également. Voyez-vous, ce n'est pas tous les jours que l'on peut se vanter d'avoir aidé un prince Istiol à s'évader !"

Il partit dans un grand éclat de rire. Quel étrange sens de l'humour, songèrent les deux jeunes filles en se jetant un regard interloqué.

                     *

Le lendemain, alors que les premières lueurs du Rideau étincelaient sur la neige, le petit groupe se réveilla difficilement avant de se rassembler. La situation entre le lézard et la Reflétée ne semblait pas s'être apaisée mais aucun commentaire ne raviva les hostilités.

" Que faisons-nous ? J'ai entendu ta proposition hier soir Feorl, et je l'approuve totalement. Sais-tu comment nous pouvons nous rendre sur ton anneau depuis ici ? Saylin, veux-tu repasser chez toi tant que nous sommes là ?

La voix d'Arse se faisait autoritaire, décidée et ferme. Rien ne serait fait au hasard, chaque choix devrait être murement réfléchi...

Saylin fit un signe négatif de la tête. Elle reverrait son père bien assez tôt, pas besoin de ralentir tout le monde pour elle.

" Je me rendais à Aïane quand je me suis fait intercepter ici. Mon anneau se trouve en dessous, nous devons descendre. Vous comprenez, un prince vaut de l'or, gloussa Feorl.

– Très bien. Si j'ai bien compris, nous allons donc au bord extérieur pour descendre par le Rideau. Connais-tu cette partie de ton pays Saylin ? Est-ce loin d'ici ?

– Je ne pense pas, nous devons seulement trouver un chemin pour descendre le mont. Je ne suis jamais venue ici, mais le Vent pourrais sans doute m'aider.

- Si je peux me permettre, je crois que j'ai une solution bien plus simple... commença Feorl. Loin de moi bien sûr l'idée de remettre en cause votre efficacité... ajouta-t-il suite au regard noir de la jeune fille. "

Il lui fit un bref clin d'œil, ses bras s'allongèrent, son corps se couvrit de plumes, ses pieds devinrent des serres, sa bouche, un bec. Un majestueux rapace, le même que celui de l'arène, quoi qu'un peu plus gros, se tenait devant eux. En un battement d'aile, il prit son envol, saisit Saylin aux épaules, la souleva dans les airs et se dirigea vers le Rideau, par delà la montagne. Arse ne put réprimer un sifflement impressionné. Il jeta un coup d'œil à Maya, aussi ébahie que lui et murmura :

" Désolé... Si tu savais comme je m'en veux... Je ne remets pas en cause ton peuple et tes croyances et pourtant, je suis persuadé d'avoir vu un Immaculé dans la foule. J'aurais aimé que tu me croies, mais je comprends ton choix. Je ne t'en veux pas et... Et j'aimerais vraiment que tu me pardonnes pour mes mots si crus. Je me suis laissé emporter... Tu... Tu comptes vraiment pour moi."

Avec un sourire et des yeux embués de larmes devant les maladroites excuses et confessions de ce puissant guerrier, Maya hocha la tête, trop heureuse pour prononcer le moindre mot. Le lézard sentait qu'il s'était empourpré, pour une des premières fois et remercia la noirceur de ses écailles de l'avoir dissimulé. La jeune fille croisa à nouveau son regard, se sentit brûler de l'intérieur par la simple puissance de son éclat et, sans une parole, lui répondit. Pas besoin de mots quand les yeux parlent pour le cœur, le silence est d'or...

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