XXIV. Sangaë

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En deux autres aller-retours, Feorl amena tous ses compagnons au bord des prés où tombait le Rideau. Son cœur battait la chamade à la simple pensée de revoir la magnifique cime des majestueux arbres de son pays. En jetant un bref regard à ses camarades, encore raidi de leur premier vol, il s'exclama avec un sourire narquois :

" Après vous jeunes gens !"

Les trois lui répliquèrent par un regard noir avant de, avec une lenteur calculée, se laisser tomber dans le cours de la cascade. La sensation était affreuse et sublime à la fois. Entourés de la lumière matinale du Rideau, ils chutaient, totalement libre, au rythme des gouttes qui le composaient. Nulles traces de la sensation de contrôle lors de leur premier voyage. Ils se laissaient porter, tomber au milieu de cet élément rassurant. Feorl, habitué à ce moyen de transport, se délecta de ses sensations, oubliées depuis si longtemps.

Quand, à travers le filet d'eau, il distingua à nouveau la splendide cime touffue de la Grande Forêt, son cœur bondit de joie. Il sentait, malgré la hauteur et la distance, la vie de sa famille au loin. Lui-même se trouva soudain plus frais, plus apaisé. Peu à peu, il goutait à nouveau aux sentiments qui animaient son ancienne vie. Alors que l'orée de la forêt n'était que quelques pieds sous eux, l'Istiol s'extirpa brusquement de la cascade, chuta lourdement au sol et se releva, couvert de terre et d'humus, un sourire radieux sur son visage narquois. Ses trois compagnons atterrirent en douceur à ses côtés, ébahis par l'importance de la forêt. Le premier arbre, qui trônait juste devant eux, faisait au minimum deux fois la taille de ceux du pays de Saylin. Impressionnée par sa magnificence, elle s'approcha à pas mesurés de son tronc, avant de poser délicatement sa paume dessus. Sous l'écorce, une marbrure verte, lumineuse parcourait le tronc. Sa sève. Sa vie. Puis, son regard se tourna vers un autre géant, parcouru des mêmes veines lumineuses. Feorl l'avait rejointe et avait, lui aussi, aplati sa paume sur un tronc. Seulement, ses grands yeux en amande s'était fermé, sa tignasse de tresse retombait sur son front alors que sa tête était penchée en avant. Sous sa main, l'éclat de la sève semblait pulser légèrement, comme un battement de cœur. Instinctivement, la jeune fille comprit : il communiquait avec l'arbre. Ses traits, apaisés comme elles ne les avaient jamais vus se détendaient au fur et à mesure de ce contact.

Derrière eux, Arse et Maya s'était approchés à pas feutrés sur le sol mousseux. Le lézard, par respect pour son compagnon, réprimait sa haine des bois et des forêts. Il se sentait mal, mais le dissimulait au mieux, conscient de la bienfaisance de ces arbres. Maya, pour une fois, ne pipait mot. Ses yeux éblouis papillonnaient d'une merveille à une autre, la seule végétation qu'elle n’ait jamais vue de près étant les fleurs du Rideau. Apercevoir la vie, sous son état pur, la bouleversait profondément. Lentement, elle logea sa main au cœur des doigts griffus du lézard pour le rassurer.

Feorl sortit peu à peu de sa communication, rejeta sa chevelure sauvage en arrière et fit signe à ses compagnons de le suivre vers le cœur de la Grande Forêt.

" Je les ai informés que le prince revenait, s'exclama-t-il.

– Dites-moi Feorl, commença Maya de sa voie douce, vous n'arrêtez pas de répéter que vous êtes prince mais, pour avoir beaucoup étudié et côtoyé votre peuple, il me semble qu'il est assez indépendant, et ne reconnait pas de roi ou de prince...

– Bien vu, jeune demoiselle. Je ne suis en effet pas un prince ici, je suis... Je suis comme qui dirait un Gardien. Un des plus fidèles et puissants protecteurs de cette chère forêt. Ironique pour un Gardien de se faire enfermer par des geôliers non ? gloussa-t-il. "

Maya, par respect plus que par réel amusement, parti dans un grand éclat de rire, accompagnée par l'Istiol.

" Vous me plaisez Maya, il est rare que les étrangers soient sensibles au sens de l'humour Istiol.

– Je les comprends, murmura Arse, les dents serrées. "

Le Passager ne parut pas relever le commentaire, mais la scène arracha un maigre sourire à Saylin. Elle continuait d'observer les arbres, de plus en plus lumineux au fur et à mesure que la lumière du Rideau s'étouffait sous leur cime. Les rainures vertes étaient désormais la principale source de lumière, rehaussée par quelques étranges plantes aux fleurs colorées et fantaisistes. Quelque chose de magique imprégnait les lieux, comme s'ils se baladaient en plein rêve éveillé. Saylin ne pouvait s'empêcher d'admirer chaque fleur, chaque merveille qui l'entourait, afin de les ancrer dans son esprit et de ne jamais les oublier.

Aucun bruit hormis ceux de leur pas sur l'humus ne troublait le silence apaisant de la forêt quand Feorl s'arrêta brusquement.

" Je crois que je dois vous présenter quelqu'un, annonça-t-il, son teint verdâtre virant au rosé. "

À ces mots, les branches d'un arbre alentour s'écartèrent, deux perles ambrées luirent dans l'obscurité et un grondement rauque se fit entendre. Avant que les compagnons ne puissent prononcer la moindre parole, un immense fauve jaillit de l'ombre et atterrit aux côtés de l'Istiol, qui semblait désormais minuscule. La bête était couverte d'une fourrure noir de jais. Cependant, de nombreuses rayures, pareilles à celles d'un tigre, la parsemaient, d'une étrange couleur ambrée, étincelante et assortie à ses yeux. Le fauve se coucha placidement aux côtés de Feorl, mettant son large museau au niveau de sa tête.

" Je disais donc, avant qu'on ne m'interrompe, reprit l'Istiol en jetant un regard noir à la bête qui ne s'en offusqua pas, que je devais vous présenter quelqu'un. Voici donc Sangaë, ma... Sœur ? finit-il en lui lançant une œillade implorante.

Ses compagnons étaient ébahis. Aucun mot ne parvenait à franchir la frontière de leur bouche. Ils restaient cloués sur place, à la fois émerveillés et exaspérés.

" Ce... Cette bête, pardon, cette Sangaë, est ta sœur ? s'exclama Maya au bout d'un instant.

– Mmh... Oui et non. Ce n'est pas une Istiole, c'est une tigresse, mais nous nous considérons comme des frères et sœurs. Nous sommes liés en quelque sorte... s'expliqua le Passager, mal à l'aise.

– Très bien, enchantée Sangaë, répliqua Maya, une expression enfantine au visage. "

La tigresse battit des paupières et baissa doucement la tête en signe de réponse. Puis elle se leva scruta de ses yeux ambrés chacun des voyageurs avant de donner un coup de museau à Feorl.

" Oui, oui, on y va, râla celui-ci. "

Lentement, le petit groupe se remit en marche. Saylin se rendit compte, au bout d'un instant, que les rayures de Sangaë, tout comme la sève des arbres ou le pollen des fleurs tenait le rôle de lumière dans le bois. Tout ce qui vivait l'illuminait. Au bout d'une autre heure de marche, s'enfonçant de plus en plus profondément dans la forêt, un immense arbre apparut au loin, répandant sa clarté jusque sur leur visage.

" Voici le cœur de la Grande Forêt, murmura Feorl, trop heureux de le revoir pour ne dire davantage."

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