XXII. Infiltration

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Feorl jeta un regard derrière lui, essoufflé. L'affrontement entre Arse et Maya venait de commencer, lui laissant la voie libre. Sa course effrénée avait été épuisante, ses pattes endolories lui faisaient souffrir le martyre, mais il ne s'arrêterait pas. La gigantesque porte n'était plus qu'à quelques mètres, gardée par une dizaine de geôliers, tous concentrés sur le spectacle qu'offraient ses compagnons. Avec un semblant de sourire sur son visage de rongeur, Feorl s'élança vers les gardiens, parfaitement dissimulé dans la neige, aussi immaculée que son pelage. Sans aucune difficulté, il slaloma entre les pieds bottés et arriva en face du maigre interstice sous la porte. Anxieusement, il creusa à toute vitesse pour se dégager un passage entre la neige et le bois puis passa, bien trop lentement à son gout, dans le tunnel ainsi fondé. En arrivant dans le hall, son souffle se coupa. Il le savait grand, mais sous forme de souris, cette pièce était un véritable univers à part entière. Il était pour la première fois totalement vide, déserté par tous les geôliers voulant assister au combat apparemment phénoménal qui se déroulait dehors.

Après avoir jeté un dernier regard à l'entièreté de la salle, Feorl reprit sa forme d'Istiol. Il se tourna vers la porte et l'examina plus en détails. Sur ses battants, deux immenses anneaux de métal étaient liés par une lourde chaîne rouillée. Feorl n'avait aucune idée des propriétés du métal, et encore moins de la manière dont on pouvait le briser. Il se concentra donc sur ce qu'il savait, ce qu'il maitrisait : le bois. Entre les épaisses planches, les anneaux étaient encastrés maladroitement. Avec une force suffisante, il devrait être possible de les faire sauter. Cependant, cela attirerait inévitablement l'attention des hommes de l'autre côté. Tout serait basé sur la rapidité de réaction de Saylin, Arse et Maya. Vu l'étendue de leurs pouvoirs, ils ne feraient qu'une bouchée de ces quelques hommes, mais devraient agir avant que le branle-bas de combat ne se lance.

Avec un soupir, Feorl songea à la plus grosse créature de le Grande Forêt. Alors que sa silhouette se transformait, il perçut les couinements des rats dans les entrailles des alcôves de la pièce. L'Istiol tenait enfin sa revanche sur ces horribles bêtes. Une fois totalement métamorphosé, le Passager s'approcha, le plus discrètement possible malgré son poids, sa taille et sa carrure, vers l'un des battants du portail. Il se mit maladroitement debout, déposa ses lourdes pattes avants sur la porte dans un bruit sourd et attrapa l'anneau de métal entre ses mâchoires puissantes. Il le tira de toutes ses forces en arrière, tout en entendant de l'autre côté les exclamations surprises des geôliers. Le métal grinçait, le bois se fendait sous l'effort et la puissance mis en œuvre par l'immense créature. Les hommes tambourinaient sur le battant, tentait de l'ouvrir mais ne faisaient pas le poids face à la force de la bête. Pour le moment, les exclamations du public semblaient toujours concentrées sur le spectacle, la foule ne s'intéressait pas aux bruits extérieurs. L'effort déployé par l'Istiol était incroyablement épuisant mais il sentait que sa tâche était presque réussie. Dans un sursaut d'énergie, il tira d'un dernier coup sec, arrachant l'anneau de la porte, démantibula le bois et laissa un trou béant dans le battant.

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Un immense fracas retentit dans toute l'arène. Le public se tut brusquement, tous les regards se tournèrent vers la porte. Celle-ci, à travers l'un des deux battants déchiquetés, laissait entrevoir une gigantesque tête d'ours brun, deux fois plus grosses que celle d'un ours commun. De sa gueule pendait un anneau de métal, relié à un morceau de bois. Feorl avait réussi... Un immense sourire barra le visage d'Arse qui s'empressa de ramasser Maya, allongée au sol, de faire un signe de tête à Saylin et de s'élancer en direction de l'animal. Malgré sa blessure, la jeune fille le suivit de bon cœur, claudiquant maladroitement mais heureuse de ne pas avoir eu besoin de se battre contre lui pour prolonger le spectacle. Le public était bouche bée, ne parvenait pas à imaginer que tous ces affrontements n'étaient que mascarade, que tous ces ennemis étaient en fait alliés...

Les geôliers furent les premiers à réagir, terrifiés en voyant l'énorme gueule de la bête, dégoulinante de bave. Ils saisirent fébrilement leurs armes, les pointèrent en avant, tout en s'avançant à pas mesurés vers la créature. Celle-ci, pas effrayée le moins du monde, finit de défoncer la porte d'un coup d'épaule, l'enjamba et balaya d'un revers de patte le premier geôlier qui se présentait à elle. Toute notion de prudence avait quitté l'esprit de Feorl, qui jouissait déjà de sa liberté prochaine. Un des hommes lui enfonça profondément son épée dans l'épaule, lui arrachant un rugissement de douleur. Aveuglé par la rage, il saisit son insignifiante tête entre ses crocs et, d'un coup sec, lui brisa la nuque. Il distingua ses compagnons courir vers lui au loin et prit pour mission de leur dégager le passage en constatant que la Reflétée était évanouie. D'un nouveau coup de patte, il envoya voltiger un autre geôlier, provoquant des exclamations d'horreurs dans la foule. Les deux derniers encore debout s'approchèrent de lui, l'un parvint à le blesser tandis que l'autre se faisait déchiqueter par les monstrueuses griffes de la bête. Ignorant le pieu que l'on venait d'enfoncer dans son poitrail, l'ours sauta sur le survivant, le plaqua au sol et, dans un élan de rage sauvage, lui arracha la tête.

Saylin, Arse et Maya le rejoignirent avant les autres geôliers. La Reflétée n'avait pas repris connaissance et Saylin peinait de plus en plus à courir, épuisée par sa blessure. Le lézard semblait encore frais mais n'arriverait sans doute pas à porter la jeune fille tout au long de leur fuite. D'un mouvement de tête, l'ours les invita à entrer dans le hall et à se reposer quelques instants. La foule apeurée et les geôliers restants ne présentaient aucune menace urgente pour le moment. Soulagée, Saylin s'affala sur une chaise, trop fatiguée pour prononcer le moindre mot. Arse s'assit auprès d'elle, déposa Maya et lui demanda :

" Tu ne pourrais pas me donner un peu de ta fatigue, que cela te soulage ? "

Il s'inquiétait vraiment pour elle, mais n'ayant aucune connaissance en médecine, se révélait bien incapable de l'aider. Fébrilement, Saylin hocha la tête, lui saisit le poignet et lui partagea un peu de son épuisement. Immédiatement, un poids tomba sur le lézard. Il se sentait lourd, maladroit, fatigué... Saylin, elle, reprit du poil de la bête. Elle regarda avec un œil nouveau son environnement, l'ours qui montait la garde, Maya avachie sur une chaise. Elle se pencha sur la jeune fille et tenta de lui donner à nouveau l'énergie qu'elle avait gagnée d'Arse. Jamais elle n'avait réalisé une telle transaction mais elle s'avéra fonctionner plutôt efficacement. Au bout de quelques secondes, la Reflétée ouvrit ses grands yeux, se redressa et sourit :

"Beau combat non ? J'en ai plus qu'assez de cette arène, quand partons-nous ?"

Elle avait retrouvé son enthousiasme et son ton enfantin habituel, arrachant de légers éclats de rire à ses amis. La présence l'ours à l'entrée de la salle ne sembla pas la surprendre davantage lorsqu'elle s'en approcha.

" Je crois que j'ai compris, je ne dois pas en faire trop, murmura-t-elle, un sourire malicieux aux lèvres."

À ces mots, elle leva les deux bras, sa marque luit brusquement d'un bleu étincelant tandis que toute la neige du champ de bataille se soulevait en une gigantesque tempête. Elle comprenait enfin la voix dans esprit, qui lui murmurait les mêmes paroles, indéfiniment : " Suis ta voie Maya... Suis ta voie Maya..." Elle se sentait profondément bien, heureuse, elle-même. Elle avait compris. Sa puissance, ses pouvoirs, sa personnalité, son élément, s'étaient agencés dans une harmonie parfaite. En un claquement de doigts elle déplaça son ouragan sur les gradins, la foule, les geôliers qui s'avançait vers eux, dévastant tout sur son passage. Malgré les cris de terreurs, elle ne s'arrêta pas. Elle ne voulait plus aucun traces de cette arène. Au bout de quelques minutes d'effort intense, toute la neige retomba sur les décombres du champ de bataille, désormais fantôme. Arse, Saylin et Feorl, qui avait repris son apparence habituelle, la regardèrent, ébahis.

" Tu ne pouvais pas faire ça plus tôt ? s'exclamèrent-ils de concert."

Le jeune fille, rouge de honte, reporta son attention sur ses pieds.

" Je... Vous... Vous m'avez ouvert les yeux, je crois..."

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