XVI. Petit mais costaud

6 minutes de lecture

À travers l'ouverture de la porte, Maya aperçut une immense masse humaine, grouillante et perchée au-dessus d'un grand champ de bataille. Ce dernier, parsemé de traces de sang, d'arbres abattus, de cadavres en décomposition ou gelés, était recouvert d'un épais tapis blanc. Jamais elle n'avait vu si étrange matière, à la fois molle et froide quand ses pieds entrèrent en contact avec. Ses amis ne semblaient pas étonnés le moins du monde, tout comme les autres prisonniers.

Chacun avançait à pas mesurés sous les hurlements hystériques de la foule, qui réclamaient avec ardeur du sang, du combat, du spectacle... Aucun gladiateur ne paraissait pourtant volontaire à se battre. Chacun s'écartait des autres, effrayé par un éventuel coup dans le dos. Devant tant de cruauté de la part d'inconnus, Maya lutta pour ne pas se tétaniser. Terrifiée, elle jeta sa hache au sol et porta ses mains gelées à ses oreilles, tout en fermant les yeux. Une main lui saisit brusquement le bras et la tira vers l'avant. Surprise, Maya trébucha, manqua de tomber, et rouvrit les yeux. Arse était agrippé à son poignet et l'entrainait avec lui en direction de Saylin, plus loin devant. Le lézard s'était fait distancer par la jeune fille, s'enfonçant jusqu'aux genoux dans la neige, tandis qu'elle, plus habituée, avançait avec grâce et légèreté sur le tapis blanc. Maya ne parvenait pas non plus à être à l'aise. Elle se savait dans un endroit dangereux, embourbé dans un élément inconnu, poursuivie par d'autres prisonniers armés. Cette fuite sur le champ de bataille l'épuisait mais elle tâchait de garder la tête haute et de rattraper son retard, aux côtés du lézard.

Quand Saylin arriva enfin à sa destination, derrière un immense rocher couvert de sang gelé, elle s'arrêta pour attendre ses compagnons. Tout au long de sa marche, elle avait gardé un œil sur les autres gladiateurs, voulant s'éloigner au maximum d'eux. Seul l'Istiol semblait tranquille. Tous les regards étaient braqués sur lui, mais personne n'osait s'en approcher. Une sorte d'aura l'entourait, formant un cercle de solitude autour de lui.

Pour le moment, personne ne s'approchait d'eux, sans doute intimidé par la stature et la prestance du lézard. Brusquement, le sang de Saylin se glaça. Un cri venait de retentir dans l'arène, immédiatement suivi d'exclamations sauvages de la foule. Le premier sang avait été versé. Maya et Arse arrivèrent à ses côtés à ce moment-là. Les deux semblaient épuisés par leur marche dans la neige mais tachaient de le dissimuler au mieux. La jeune Reflétée s'adossa au rocher, retira la neige de ses chaussures en lambeau tout en maugréant :

" C'est quoi cette chose ? Déjà qu'ils nous mettent dans une arène au milieu de... D'une foule complètement malade, et en plus, il faut qu'on s'enfonce dans le sol ? Qu'est-ce qu'on fiche ici franchement ? Ce n'est pas notre place, une arène ? Mais pour qui nous prennent-ils ? Et en plus j'ai laissé ma hache...

— C'est de la neige Maya, souffla Saylin en ignorant délibérément les autres interrogations. Tu devrais aimer.

— Et pourquoi donc ? répliqua la jeune fille. "

Avant même que Saylin ne réponde, Maya reporta son attention sur sa main, qui contenait auparavant de la neige. De l'eau. Elle baissa le regard, honteuse, avant de le relever empli d'un nouvel éclat.

" Je devrais pouvoir faire quelques petites choses, s'exclama-t-elle. "

Arse et Saylin sourirent en retour, heureux de trouver une utilité aux pouvoirs de la Reflétée. Le lézard se tourna ensuite vers le reste du champ de bataille. Les hostilités avaient débuté brusquement. De tous les côtés, des affrontements fleurissaient, entre petits groupes, sans doute ensemble le temps d'une alliance. Les hurlements de douleur se joignaient à ceux de la foule dans un brouhaha oppressant. Ces escarmouches avaient, naturellement mais inconsciemment, formées un immense cercle autour du champion de l'arène. Celui-ci, bien qu'il ne prenne part à aucun combat, se retrouvait donc prisonnier, visible de tous. La foule, l'ayant vite repéré, concentrait ses exclamations sur lui, lançait des projectiles dans sa direction, en faisait le centre de l'attention. Tous ces hommes assoiffés de sang réclamait le spectacle qu'offrait un Passager au combat. Seulement, l'Istiol ne semblait pas chercher à se battre, il regardait simplement autour de lui, comme perdu, esquissant parfois quelques gestes pour venir en aide à un blessé puis se ravisait en le voyant mourir. Tout son corps respirait la paix, il n'était pas à sa place ici, si bien qu'Arse eut du mal à comprendre comment il avait pu survivre jusqu'ici. Il se retourna vers ses amies. Maya était penchée sur la neige et, en l'observant de plus près, le lézard remarqua qu'elle formait un minuscule tourbillon entre ses doigts. En sentant sa présence, elle se retourna brusquement, la neige retomba au sol, et ses joues s'empourprèrent.

" Possible en plus grand ? murmura Arse.

— A voir, répliqua-t-elle en se levant, un sourire malicieux aux lèvres. "

Ensemble, ils rejoignirent Saylin, toujours en pleine contemplation du champ de bataille. Elle réfléchissait à leur futur, ce qu'ils allaient faire une fois découverts. Intérieurement, elle s'étonnait que personne ne les ai remarqué, pourtant médiocrement dissimulés. Beaucoup d'autres prisonniers devaient être dans leur situation, à regarder ce massacre fratricide. Pourtant, quand elle arriva aux mêmes conclusions qu'Arse, l'évidence lui sauta aux yeux. Personne ne s'intéressait à eux car personne ne se doutait de ce qu'ils avaient à offrir. Enfin, "offrir" est un bien grand mot pour de tels massacres. Le champion portait tous les regards en raison de ces "exploits" passés. Eux n'étaient rien aux yeux de la foule, de la poussière, destinée à être écrasée à un moment ou un autre. Quand Maya et Arse se postèrent à ses côtés, sans même leur jeter un coup d'œil, elle souffla :

" Ils ne nous portent aucun intérêt, mais je crains que ça ne dure pas..."

En effet, de plus en plus de cadavres tapissaient la neige, à mesure que les hommes tombaient comme des mouches. Le cercle autour du champion se faisait de plus en plus fragile, mais rétrécissait à vue d'œil. Aucun des adolescents ne sut combien de temps ils avaient passé, cachés derrière ce rocher, à observer la folie des hommes. Cependant, quand le cercle fut réduit à une dizaine d'hommes, d'un accord tacite, ils se rapprochèrent de l'Istiol, armes au poing. Impossible de les prendre pour de simples paysans... Leur apparence s'apparentait plutôt à celle de bandits. Aiguisés dans l'art du combat déloyal, soupira intérieurement Saylin. Ils se mouvaient avec fluidité au milieu des cadavres, apparemment habitués à ce genre de tuerie.

Alors que l'Istiol tournait sur lui-même pour les surveiller tous ensemble, l'un d'eux, échappant à son regard, lança d'une main de maître un couteau en direction de son visage. Le champion esquiva d'un simple mouvement de tête au dernier moment, laissant une maigre éraflure sur sa joue verdâtre. Au même instant, deux autres bondirent sur lui, le dominant par leur taille. L'un lui envoya un coup de poing sous le menton tandis que l'autre tentait de ficher sa dague dans son dos. Le sang d'Arse ne fit qu'un tour, malgré son étrangeté, il ressentait une affection teintée de pitié pour la petite créature verte. Le plus vite possible, il bouscula ses compagnes et quitta l'abri que fournissait le rocher pour venir en aide au champion. Mais à peine avait-il fait un pas que l'Istiol, bien que déstabilisé par le coup de poing, saisit in extremis le poignet de l'homme à la dague et, le tirant de tout son poids vers le sol, le fit glisser à terre. La foule s'enthousiasma de ce premier geste du champion, et ses hurlements redoublèrent d'ardeur. Saylin se précipita vers le lézard et le tira sans ménagement en arrière. Le champion avait l'air de savoir se débrouiller seul et il était hors de question qu'ils se fassent repérer en raison d'un coup de sang du lézard.

" C'est pas la taille qui compte mon bonhomme, railla l'Istiol"

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Lëowenn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0