XVII. Provocation

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D'un geste négligent, le champion balaya le filet de sang à la commissure de ses lèvres et s'engouffra dans la brèche qu'il avait provoquée au sein du cercle. Tout en lui hurlait de se métamorphoser et de clouer le bec à ses grands gaillards mais trop d'images de corps disloqués le hantaient pour qu'il cède encore une fois. Bien qu'il soit vif, les humains, du fait de leur taille, avançaient bien plus rapidement que lui dans ce tapis de neige. En un coup d'œil, il les aperçut l'entourer, comme les loups de sa forêt natale lors de leur chasse. Ils seraient bientôt sur lui, quoi qu'il fasse. Après une brève hésitation, l'Istiol se retourna vers eux, et avec un sourire aux lèvres s'exclama :

" Désolé mais vous l'avez bien cherché les gars... Vous voulez jouer au loup ? Je veux bien à une condition, vous êtes les brebis !"

À ces mots, il tomba à genou, s'enfonçant presque entièrement dans la poudre glacée. Lentement, son corps s'allongea, se couvrit d'une fourrure blanche comme neige, un museau le défigura tandis que deux oreilles se formaient sur le sommet de son crâne. Ses bras et jambes s'épaissirent, se prolongèrent tandis que ses mains devenaient de larges pattes aux griffes acérées. Quand il releva la tête, tous ne virent qu'un immense loup immaculé, fermement ancré au sol dans une attitude intimidante. On retrouvait dans son regard la lueur moqueuse qui habitait celui de l'Istiol, mais la ressemblance s'arrêtait là. Les hommes, auparavant plus grand que lui de deux têtes, devaient lever les yeux pour espérer croiser ceux du loup. À nouveau la foule s'enflamma, obtenant enfin ce qu'elle cherchait de la part du champion. Voilà donc le spectacle qu'offrait le Passager. Voilà pourquoi tant de gens le harcelaient en lui demandant de se battre. Les bandits s'arrêtèrent brusquement devant cette apparition, hébétés. Ils se regardèrent de concert, certains apparemment plus braves — ou fous ? — que d'autres. Ces derniers s'enfuirent en courant, aussi vite que possible, s'enfonçant désormais dans la neige comme des bêtes blessées, tandis que leurs compagnons restaient en garde devant l'énorme bête. Celui-ci n'esquissa pas un geste pour les suivre et se contenta de faire un pas vers les plus courageux, tout crocs dehors. C'en fut trop pour les derniers brigands, qui s'en furent à la suite de leur camarade. Le loup ne bougea pas davantage quand ses proies s'enfuirent et se coucha paresseusement dans la neige, un semblant de sourire à la gueule. La foule le hua sans ménagement, déçue de ne pas avoir le sang qu'elle cherchait désespérément. Parmi les nombreuses voix plaintives des spectateurs, l'une d'elle se dégagea par sa puissance:

" Ne vas-tu pas te battre, espèce de lâche ?"

L'oreille du loup frétilla en entendant ces paroles malavisées. Il se leva avec une lenteur exagérée, bailla au ralenti avant de tourner peu à peu la tête vers l'audacieux homme. Son regard, désormais d'un bleu glacial, le transperça tandis qu'il relevait ses babines pour dévoiler une rangée de crocs luisants de bave. A pas feutré et sans quitter sa cible du regard, le loup s'approcha du gradin où elle se trouvait. Tous les projectiles, et huées s'étaient arrêtés, chacun regardait à présent le terrible affrontement silencieux entre le loup et le spectateur. Quand la bête arriva au pied du bâtiment, il s'accroupit, à une vitesse délibérément lente, comme s'il se préparait à sauter. L'homme, en nage, absorbé par le regard de l'animal, remua la tête et les bras dans tous les sens en l'implorant de ne pas lui arracher la tête. A ces mots, la bête se détendit petit à petit, avec la grâce d'un félin, et se détourna pour retourner se coucher dans le creux qu'il avait formé auparavant. Là, sa gueule s'ouvrit et un étrange son, assez guttural, sortit de sa gorge tandis qu'il se roulait le dos dans la neige. Il riait ? Au moins nous sommes sûrs que c'est toujours l'Istiol, pensa Saylin avec un sourire.

Arse se délaissa de ce spectacle et se tourna vers la structure de l'arène cherchant la moindre issue maintenant que la plupart des participants gisaient au sol. Les gradins, de pierres noires comme les cachots, s'érigeaient abruptement, mais solidement. La construction était primaire et laide, mais incassable à moins d'être doté d'une force de géant. Finalement, le public sortit de la torpeur provoquée par le loup géant et quittait les gradins à mesure que la nuit tombait sur la clairière blanche, maintenant tâchée de rouge. Cela ne résolvait pas le problème du lézard. La seule issue était toujours la grande porte cernée de métal, gardée par trop de geôliers pour qu'il puisse les compter. Le ciel était protégé par un filet, impossible de quitter l'arène par la voie des airs. Avec un soupir il se détourna. Rien n'avait bougé dans l'arène, hormis les spectateurs. Les gradins étaient désormais vides, mais le nombre de geôliers s'était décuplé.

" Pas d'spectacle la nuit, gardez c'qui vous reste d'énergie pour d'main, c'est clair ? "

La voix avait retenti dans tout le champ de bataille, désormais fantôme. Rassuré, le petit groupe se sépara. Maya, ne craignant plus rien pour le moment, quitta ses amis pour s'exercer avec ses dons. Saylin et Arse, plus méfiants, restèrent postés sur le rocher à observer l'arène. Le lézard remarqua que les bandits s'étaient réfugiés derrière un amas de cadavres et que le loup... Le loup n'était plus là. Il donna brièvement un coup de coude à son ami puis désigna du menton le trou creusé dans la neige par la bête. Dans la pénombre ambiante, il ne parvint pas à repérer les empreintes, qui devaient pourtant être gigantesques.

Quand enfin, au bout de moult prières, Maya parvint à former une épaisse boule de glace et à la faire voltiger dans les airs, elle sentit sa marque, son lien avec Aïa, la picoter, onduler, mais pas de manière désagréable. La voix de la déesse retentissait dans son esprit, mais elle ne parvenait pas à comprendre ses paroles. Subitement, une immense patte velue envoya la boule rouler au sol. Le cœur de Maya se figea alors qu'elle levait les yeux vers le monstrueux loup. Elle se sentit incapable de hurler, de fuir, de protéger sa vie, trop impressionnée par la somptuosité de la bête. Sous son regard effaré, l'Istiol reprit cependant sa forme originelle, un grand sourire barrant son visage malicieux. Ses yeux brillaient d'une euphorie bouillonnante. Maya se calma peu à peu, comprenant que le champion ne lui voulait aucun mal. Il avait seulement l'air d'un enfant ayant trouvé un nouveau jeu. En se passant la main dans les cheveux, il s'exclama dans un chuchotis surexcité :

" J'ai la solution ! Et j'ai besoin de vous autant que vous avez besoin de moi..."

Maya ne sut comment répondre. Pendant un moment, elle le fixa, bouche bée.

" Mais... Mais Monsieur, on ne sait même pas qui vous êtes ! bafouilla-t-elle finalement.

– Merci de votre coopération, répliqua-t-il, un de ses longs et fins sourcils arqué dans une expression faussement choquée. Devant la mine déconfite de la jeune fille, il se reprit et cessa son petit jeu moqueur. Feorl, de la Grande Forêt, ajouta-t-il en tendant sa main, un sourire charmeur aux lèvres. "

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