XIII. Ensemble dans l'obscurité

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Quand Saylin rouvrit les yeux, elle ne fut pas éblouie par les rayons étincelants du Rideau sur son visage, ni chatouillée par les caresses du vent contre ses joues. Quand elle se réveilla, elle ne ressentit rien, rien hormis une douleur infernale à la tête. L'environnement tourbillonnait sous ses yeux, comme en pleine tempête, sauf qu'aucun mouvement ne l'entourait. Avec maladresse, la jeune fille se frotta les yeux puis les tempes du bout de ses longs doigts. Où était-elle ? Que s'était-il passé ? Pourquoi ce mal de tête atroce ? Trop de questions sans réponse tournoyaient dans ses pensées, sans qu'elle parvienne à les arrêter pour s'y pencher. Au bout de quelques instants, elle regarda à nouveau devant elle et analysa avec patience sa situation. Elle se trouvait à genou sur des roches humides et granuleuses, seulement éclairées par un fébrile rayons de lumière filtrant à travers un interstice, entre deux blocs de pierre. En levant le regard, elle aperçut, loin au-dessus d'elle, une petite trappe en bois, la seule issue du cachot. En évaluant la hauteur à laquelle elle se trouvait, Saylin grimaça. La chute n'avait pas dû être agréable.

Dans l'obscurité, elle peina à discerner une silhouette, allongée au sol juste sous ses yeux. En serrant les mâchoires, elle se traina à tâtons vers le corps, chacun de ses mouvements faisant naître de nouvelles douleurs. Ses jambes flageolaient sous son poids, si bien qu'elle dut s'avancer à quatre pattes, non sans peine avant de pouvoir poser ses mains sur l'être inanimé. De plus près, elle reconnut la longue chevelure immaculée, la marque sur le visage encrassé de boue. Maya... Elle était enveloppée dans un long manteau bleu foncé, si sale qu'il paraissait noir. La jeune Reflétée semblait seulement assoupie et épuisée mais respirait paisiblement. Avec douceur, Saylin la secoua légèrement, provoquant un léger grognement. Maya ouvrit péniblement ses grands yeux noisette et se redressa, l'esprit encore embrumé. Elle bailla lentement, comme si rien d'étrange ne l'entourait. Perdant patience devant tant de légèreté, Saylin la secoua à nouveau, sans doute moins délicatement cette fois. Maya sursauta en braquant son regard sur elle.

"Oui... Oui ! Qu'y a-t-il ? s'exclama-t-elle d'une voix pâteuse. "

En réprimant avec difficulté son agacement, Saylin s'écarta d'elle pour la laisser admirer leur situation. Immédiatement, Maya se ressaisit et redirigea son regard vers Saylin.

" La chute a dû faire mal, soupira-t-elle, tout en se levant."

Saylin ne put réprimer un sourire également, songeant à sa pensée similaire quelques minutes plus tôt. Maya chancela brièvement, se rattrapa en s'appuyant contre le mur de pierre puis lui tendit la main pour l'aider à se relever. Saylin accepta avec joie et se hissa aux côtés de la Reflétée.

" Que s'est-il passé ? l'interrogea Maya.

– Je comptais justement sur toi pour m'informer... Où est Arse ?

– Je... Je ne sais pas..."

Les souvenirs de Maya remontèrent brusquement à son esprit. L'attaque, les cadavres, la griffe... Elle ouvrit son poing encore crispé sur un petit objet. Au creux de sa paume reposait le petit morceau effilé et blanc comme neige issu du Calciné. Saylin se pencha par-dessus son épaule pour apercevoir l'objet.

"Où l'as-tu trouvé ?

– Au bord du Rideau, à Aïane. Entre trois flaques de sang il me semble, ajouta-t-elle avec un rire amer.

– Du sang ? Mais par les Sept Rafales, que s'est-il passé ? s'exclama Saylin.

– Quand je suis arrivée, il n'y avait aucune trace de vous. Un affrontement avait eu lieu, contre des gnomes vêtus de cuir et armés de poignards. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé mais j'ai le sentiment que notre ami les a, disons, massacrés, répondit Maya en un souffle, le regard fixé sur ses pieds.

– Je... Je ne me souviens de rien. Je suis tombée, on visitait la ville. Dans l'eau... Puis plus rien, bafouilla Saylin en retour.

– J'ai sauté également dans le Rideau, en espérant vous retrouver. Jamais je n'avais voyagé de cette manière... murmura Maya en frottant anxieusement ses bras. Quand je vous ai aperçu en sur le bord d'un autre anneau, vous étiez ensemble, allongés au sol. Tant bien que mal, je vous ai rejoint mais l'atterrissage n'a pas été très agréable. La dernière chose dont je me souviens est un coup sur mon crâne, puis tout est flou...

En voyant le désemparement de la Reflétée, Saylin essaya de lui transmettre un peu de son calme, remarquant au passage que tout ce qu'elle disait était la stricte vérité. Maya parut se détendre un peu mais, rapidement, commença à parcourir de coup d'œil frénétiques le cachot. Ne semblant pas trouver l'objet de ses désirs, elle se jeta au sol et fouilla à tâtons chaque interstice entre les pierres, s'écorchant les mains et les genoux par la même occasion. En voyant qu'elle se blessait, Saylin se pencha sur elle et lui déposa sa main sur l'épaule.

" Que cherches-tu ? souffla-t-elle.

– Mon plateau ! Il me faut mon plateau ! Sans ça je suis perdue ! cria Maya.

– Il n'est pas ici de toute évidence, s'il est précieux à tes yeux, il l'est sans doute aussi à ceux qui nous ont laissées là.

Saylin commençait à s'inquiéter pour la santé mentale de la Reflétée. Elle ne comprenait pas en quoi un plateau pouvait être si indispensable et encore moins l'intérêt de faire un remue-ménage pour cela. Délaissant la jeune fille à sa frénésie, elle s'approcha de la fine ouverture donnant sur le monde extérieur. Dans quel anneau avaient-ils atterris ? Où étaient-ils tout simplement ? Elle se tendit et, sur la pointe des pieds, parvint à jeter un coup d'œil au dehors. De la neige, tout était blanc. Elle resta un moment à s'éblouir de la clarté du paysage avant de remarquer une minuscule tempête ne formation. Enfin, plutôt un tourbillon de neige dû à un coup de vent. Un coup de vent... Immédiatement, son esprit s'illumina, ses pensées s'éclaircirent... Elle était chez elle ! Maladroitement, elle se hissa sur les premières pierres du bas du mur pour mettre sa bouche à la hauteur de la fente. Espérant sentir le vent sur son visage, ses souhaits se ternirent. Le vent ne se frottait pas à ce bâtiment apparemment, et impossible de lui parler s'il n'écoutait pas. Dépitée, Saylin se retourna et s'assit, les jambes repliées, contre la paroi de pierre. Maya n'avait pas bougé, les yeux rivés au sol, songeant à tous ses malheurs.

" Tu sais, je suis une Reflétée, mais aussi une Voyante. Je communique avec ma déesse, je suis même très proche d'elle. Seulement, j'ai besoin de mon plateau d'argent, sans lui je suis impuissante...

– Que peut bien faire ta déesse quand nous sommes bloquées au fond d'un cachot ?

– C'est elle qui m'a dit de vous suivre. Elle avait sans doute des plans, quelque chose, je ne sais pas...

– Je pense que tu devrais arrêter de compter sur ta déesse et prendre des initiatives par toi-même. Ce n'est pas parce que tu n'as pas ton soutien habituel que tu n'as rien. Tu t'as toi et c'est déjà pas mal, maugréa Saylin, agacée par les plaintes de Maya. "

Cette dernière ne répliqua pas, songeant aux paroles de sa camarade. Jamais elle n'avait quitté Aïane, jamais elle n'avait quitté sa déesse, tous ses repères... Au fond d'elle-même, une petite voix lui chuchotait que cette étrange jeune fille en violet était bien impatiente mais Maya se refusait à l'écouter. Elle était l'amie du Calciné et lui vouait une totale confiance.

" Nous sommes chez moi, reprit Saylin. Mais je ne sais pas où précisément..."

Soudain, un bruit sourd se fit entendre. Saylin se retourna brusquement pour apercevoir Maya adossée à la paroi rocheuse opposée.

" Ça vient de là, chuchota-t-elle en pointant du doigt quelques blocs de pierre."

Saylin s'approcha et colla son oreille contre les roches désignées. Un deuxième coup survint, forçant Saylin, surprise, à s'écarter de la paroi. Quelqu'un, de l'autre côté du mur, frappait de toutes ses forces sur les pierres. La jeune fille s'approcha à nouveau et chuchota d'une voix fébrile :

" Arse, c'est toi ?"

Pour toute réponse, un nouveau coup, plus puissant encore que le dernier, vint ébranler les pierres. À ce rythme-là le mur, qui semblait assez mal construit, ne tarderait pas à s'effondrer. De la poussière tombait en un fin rideau alors que de nouvelles frappes faisaient trembler la paroi. L'écoulement de poudre se fit de plus en plus épais alors que la stabilité de la pièce s'effritait. Maya, saisissant Saylin par la manche, se recula jusqu'à la paroi opposée, les poings maladroitement armés, mais prête à se défendre. Loin au-dessus d'elles, sans doute sur la trappe, les jeunes filles perçurent des bruits de pas, désorganisés mais en nombre.

Tout à coup, la lourde trappe de bois s'ouvrit, dévoilant un visage d'homme tailladé de cicatrices et embroussaillé de barbe mal rasée. Au même moment, l'extrémité d'une corde atterrit aux pieds de Maya.

" Montez et arrêtez de faire du grabuge... Z'allez p'voir visiter l'lieux ! s'exclama l'homme d'une voix tonitruante. "

Alors que Maya attrapait prudemment la corde, il reprit :

" 'Vous souhaite la bienv'nue à l'Arène d'trois Blizzards ! Ou plutôt, j'vous souhaite un bref séjour parm'nous."

Son image s'effaça dans un rire grinçant alors que le bruit de ses pas s'éloignait.

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