IX. Confrontation

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Saylin refusait de remarquer la lenteur du temps qui s'écoulait. Elle ne savait pas et ne voulait pas savoir quand était partie la jeune fille. Arse ne bougeait pas d'un pouce, ses yeux étaient restés braqués sur la porte derrière laquelle l'image de Maya s'était évanouie. Son regard de braise était traversé d'une étrange lueur, conjuguée à celle étincelante qui s'émanait de la foule en prière. Une sorte d'éclat, plus flamboyant que la plus majestueuse des fournaises. Saylin ne parvenait pas à déchiffrer cette émotion si puissante qui enveloppait le cœur de son ami, et cela l'agaçait. Apercevoir Maya revenir sonna donc comme une libération.

" Je suis désolée de vous avoir fait attendre, mais je ne suis qu'une Reflétée, l'accès aux Immaculées m'est donc compliqué. Ils ont accepté de vous recevoir. Enfin, seulement deux d'entre eux, les cinq autres doivent maintenir le Rideau et ils exigent d'être pleinement concentrés sur cette tâche."

Avec un nouveau sourire, Maya tourna les talons et les invita à la suivre. Arse pressa le pas et se rangea à ses côtés.

" Que veux-tu dire par maintenir le Rideau ?

– Et bien, le faire couler, maintenir la structure des bâtiments, des rues, des ponts et de tout Aïane.

– Aïane, c'est ici ? C'est le nom de la ville ?

– Oui bien sûr, acquiesça Maya."

Intérieurement, la jeune fille était très occupée à éviter de se laisser submerger par ses émotions. Elle était en train de parler avec un personnage tout droit sorti des contes de son enfance ! Comment ne pas perdre la face après cela ? Elle sentait son regard de flammes sur elle, et ne parvenait pas à le soutenir. Les légendes disaient que certains guerriers hommes lézards ne faisaient qu'un avec le feu de leur terre calcinée. C'est d'ailleurs comme cela qu'on les appelait : les Calcinés.

" Sais-tu, toi qui appartiens à ce peuple, si les Calcinés existent réellement ? Ces guerriers ont-ils, eux aussi, été changés en légende alors qu'ils tombaient dans l'oubli ?"

Le ton de Maya était curieusement enfantin, comme une fillette qui demanderait à ses parents de lui raconter une histoire.

Arse lui décocha un regard amusé et laissa planer un silence mystérieux avant de répondre.

" J'ai beaucoup entendu parler des Calcinés durant toute ma vie, mais je crains qu'ils soient bien moins impressionnants que dans les légendes de ton enfance... murmura le lézard avec un sourire mélancolique."

En voyant sa réaction, Maya rougit, honteuse de l'avoir attristé, et reporta son attention sur ses pieds . Saylin, derrière eux, perçut cette gêne et jeta un regard surpris à Arse. Ce dernier sembla le sentir car il se retourna vers elle avec une moue déconfite.

Aucune parole ne vint troubler le silence pesant jusqu'à ce que Maya affirme, d'une voix mal assurée :

" Nous voilà arrivés."

Elle laissa les deux compagnons entrer dans une pièce, d'eau toujours, où deux individus en toge étaient assis en tailleur. Saylin les salua par un hochement de tête. L'un des deux, un homme brun aux cheveux courts et aux yeux verts l'invita à s'assoir devant eux. Quand Arse pénétra à son tour dans la pièce, son corps entier se raidit. Saylin vit ses muscles se tendre et rouler sous ses écailles tandis qu'il fixait, de son regard enflammé, le deuxième Immaculé. Celui-ci était une femme, une minuscule femme par rapport à son collègue. Sa peau était noire comme la cendre, créant un contraste saisissant avec ses longs cheveux gris, noués en queue de cheval. Malgré sa peau ridée, ses yeux violets étincelants lui donnaient un air d'extrême jeunesse. Saylin n'en avait jamais vu, mais elle comprit instinctivement que l'Immaculée était une gnome. La gnome dont parlait Maya lors de leur entretien. Arse, retenant sa fureur en se lacérant les paumes de ses griffes, cracha au sol avant de fulminer :

" Si c'est cette aide que vous me proposez, alors je préfère encore allez admirer mon peuple crever ! Jamais je ne pactiserais avec ces chiens !"

Puis il se détourna et partit à grands pas dans le couloir. Alors qu'il passait tel un ouragan devant elle, Maya aperçut des flammes naissantes entre ses doigts. Ses yeux brillèrent alors d'un nouvel éclat.

En entendant ces mots, Saylin avait bondi et bafouilla quelques mots d'excuse aux grands prêtres :

" Je suis navrée, je suppose que Maya vous a expliqué la raison de sa colère. Je n'avais pas prévu cela, je vais le chercher..."

Curieusement, elle ne sentit aucune haine, ni même tristesse dans le cœur de la gnome. Elle hocha sagement la tête et murmura en retour :

" Je suis désolée..."

Saylin eut un sourire avant de s'élancer à la poursuite de son ami dans le labyrinthe de couloirs lumineux qu'ils avaient traversés sans encombres quelques minutes auparavant. La jeune fille n'avait pas prêté attention au chemin qu'ils venaient d'emprunter et se retrouva bientôt totalement perdue dans le dédale immense du temple, ne parvenant pas à trouver la sortie. Une main se posa alors doucement sur son épaule. La jeune fille se retourna brusquement, en saisissant sa capuche pour la rabattre devant ses yeux. Elle se trouva nez à nez avec les yeux noisette de Maya, brillants d'une lueur inquiète.

" Je sais où il est parti, murmura-t-elle.

– Emmène-moi s'il te plait, je dois absolument le retrouver."

Maya acquiesça d'un hochement de tête et partit en un éclair dans un des nombreux couloirs. Saylin la suivit tant bien que mal, essayant de repérer la moindre intersection qu'elle prenait, cherchant des traces de pas au sol. Malheureusement, l'eau en perpétuel écoulement emportait avec elle tout ce qui y reposait, y compris les indices. Finalement, Maya les ramena dans la grande salle de prière, désormais vide. À l'entrée du temple, Saylin aperçut son ami, adossé à la gigantesque porte, les yeux clos. Elle se précipita vers lui, sa cape violette voletant derrière elle.

En la sentant approcher, Arse ouvrit brusquement les paupières et fixa son regard incandescent sur elle. En le croisant et en y percevant une dureté inhabituelle, Saylin ne se démonta pas. Elle se planta devant lui et croisa les bras dans une position résignée.

" Que crois-tu faire ? Penses-tu que nous sommes venus jusqu'ici pour une querelle stupide avec une femme dont tu ne connais ni le nom ni le son de sa voix ? Maya nous a dit que cette gnome n'avait jamais vécu parmi son peuple ! Serais-tu donc prêt à sacrifier le destin de ta race pour une apparence qui te déplait ? Je suis désolée mais je ne te laisserai pas commettre une erreur pareille ! Jamais je ne me serais attendu à ce que toi, redoutable guerrier Calciné, tu abandonnes aussi vite... N'as-tu, malgré ce que tu veux bien montrer, aucun honneur ? Ne sais-tu pas te dépasser et te sacrifier pour ce que tu crois juste ?

Saylin avait conscience d'être allée trop loin quand le lézard lui jeta une œillade de fureur pure. Elle avait l'impression que sa seule volonté allait l'enflammer de la tête aux pieds mais elle tint bon. Elle ne pensait pas ce qu'elle avait dit, percevait un véritable sens de l'honneur et de la justice au plus profond du cœur du lézard, mais trouvait judicieux de remuer le couteau dans la plaie pour que ses valeurs se réveillent.

Après ce regard assassin, Arse la bouscula, encore furieux, pour rejoindre Maya, et lui demanda sans ménagement de la guider à nouveau vers les Immaculés. Saylin s'empressa de les suivre, un mince sourire aux lèvres, heureuse de retrouver le lézard entêté et fier qu'elle avait rencontré.

Quand ils arrivèrent à nouveau devant les deux sages, Arse ne prononça pas un mot et s'assit aux côtés de Saylin, les poings crispés, le regard fixé sur la gnome. Celle-ci soutint son regard jusqu'à ce que son compère prenne la parole :

" Je suis navré jeune lézard de ta colère, mais tu n'as rien à craindre d'Aëstelle. Elle n'a jamais foulé le sol qui t'est si cher et encore moins adressé la parole à un individu de son peuple. Elle est arrivée ici comme nourrisson et, dorénavant, elle est une grande prêtresse d'Aïa, une Immaculée. Je me nomme Maëross et je dois avouer que la présence d'un lézard dans ce temple fait partie des situations que jamais je n'aurais crues vivre. Pourrais-tu nous expliquer ta situation car le discours de notre jeune Reflétée ici présente, déclara l'homme, un sourire aux lèvres en désignant Maya, était... légèrement confus dirons-nous. "

La jeune fille s'empourpra en admirant ses pieds, un sourire gêné en travers du visage.

"Disons que nous avons seulement compris que ton peuple est en guerre contre les gnomes et qu'il te faut de l'aide. Mais permet nous de nous demander qui tu es, jamais nous n'avons eu vent de la réelle existence de ta race, ajouta l'homme en penchant la tête, songeur. "

Arse décrocha enfin son regard du violet intense qui emplissait ceux de la gnome et, choisissant soigneusement chacun de ses mots, les prononçant avec solennité, il rétorqua :

"Je suis le Dernier des Calcinés..."

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