II. Premières paroles

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Saylin se concentra quelques minutes sur le lézard, tentant de comprendre sa réaction et sa douleur. Elle percevait en lui une tristesse infinie, qui venait s'ajouter à sa souffrance physique. Elle ressentait le mal que lui faisait l'objet brillant au fond de sa blessure et était persuadée qu'elle devait l'enlever avant de le soigner. Retenant son souffle, elle s'approcha à nouveau de la plaie et se concentra de tout son esprit sur la douleur du lézard. Elle savait qu'elle en était capable mais n'avais jamais essayé sur une créature aussi grande. Elle focalisa ensuite son attention sur son propre bien-être, en perçut toutes les nuances, et tenta de le partager avec le jeune homme. Elle se concentrait de toutes ses forces pour lier ses émotions avec les siennes et lui faire oublier, un instant, sa douleur. Elle s'efforçait de penser que son propre ventre était vide de toute douleur pour que lui le pense aussi. Elle sut qu'elle avait réussi quand les muscles du jeune lézard se décontractèrent les uns après les autres, comme si soudainement tout allait bien. Profitant de ce succès, elle plongea à nouveau ses mains pleines de sang dans la blessure pour en enlever l'objet. Cette fois, le lézard ne réagit pas, au grand contentement de la jeune fille. Elle parvient à effleurer, parmi la chair et le sang visqueux du blessé, une surface lisse et froide, qu'elle n'avait jamais senti de toute sa vie. Elle parvient à attraper l'objet, parfaitement sphérique, et tenta de le retirer de la blessure. Cependant cette étrange matière pesait extrêmement lourd, Saylin dut donc s'y reprendre à plusieurs fois avant d'extraire ce qui avait sans doute provoqué la blessure. Le souffrant n'avait pas bougé, et Saylin entendait encore son cœur battre paisiblement alors qu'elle observait l'objet en détailLa sphère, parfaite, ne semblait conçue que d'un seul matériau, brillant sous la lueur du Rideau mais sentait atrocement le brûlé. Sa surface était recouverte d'une poussière noire, épaisse, qui cachait sa couleur grise d'origine. Intriguée, Saylin déposa la boule au sol, se promettant de demander au lézard ce que c'était. Elle se concentra sur le blessé, apaisa à nouveau sa douleur, qui semblait s'être atténuée et s'assit à côté de lui. Elle saisit sa tête entre ses mains et, focalisée sur son esprit, tenta de le réveiller en douceur. Elle percevait son âme et essayait de la titiller doucement, comme si un songe le réveillait.

Après quelques minutes, le lézard ouvrit doucement ses paupières. Les deux brasiers brûlaient encore à l'intérieur. Un éclat de surprise les traversa alors qu'il tentait de se relever. Saylin posa doucement sa main sur le torse du blessé pour le maintenir au sol et le calmer. Affaibli, il ne se débattit pas et effleura de sa main griffue la blessure qui lui perçait le ventre. Ce léger contact lui arracha une grimace puis un long soupir de résignation. Il tourna la tête, toujours dans les mains de Saylin, vers le Rideau, dont la splendide lueur l'éblouit tant qu'elle lui déposa une larme au coin de l'œil. Puis, sans lui jeter un regard, Saylin comprit qu'il s'adressait à elle :

"Qui êtes-vous ? Et pourquoi m'avoir soigné ?"

Sa voix était très étrange, à la fois rocailleuse et sifflante, comme un murmure. Saylin aimait les murmures, en écoutant le blessé, elle avait cru entendre son ami, le Vent. Elle retint un sourire à la pensée que le timbre rocailleux de sa voix sonnait légèrement faux, peu naturel. Cependant Saylin ne savait pas quoi répondre au jeune lézard. Elle hésitait à lui dire la vérité mais il la prendrait pour une folle. J'ai l'habitude de toute façon, se dit-elle. Pourtant, dire à cet inconnu que le Vent lui avait dit de venir le chercher et de le soigner était un peu étrange. Ne pouvant réfléchir plus longtemps, Saylin s'empressa de répondre.

— Je m'appelle Saylin, Saylin Fir. Et, pour votre autre question, je... Je ne pouvais pas vous laisser souffrir et vous vider de votre sang dans l'herbe.

Sans s'en rendre compte, la jeune fille avait resserré sa prise sur les tempes du blessé, crispée comme à chaque fois qu'elle parlait à quelqu'un.

— Je ne vous veux aucun mal... Comment pouurai-je de toute façon ... rétorqua le garçon, qui semblait s'être rendu compte de l'anxiété de Saylin. Il avait terminé sa phrase avec un petit rire rauque, comme si ce moindre geste le faisait souffrir. Je vous remercie d'avoir atténué ma douleur. Je m'appelle Arse le Sombre Écaille. Où sommes-nous ? Je ne suis jamais venu ici.

Son ton avait radicalement changé, il était plus paisible et amical. Bien que la douleur fît encore trembloter sa voix, il n'avait plus ce timbre guttural et effrayant. Chacun de ses mots étaient accompagnés d'un soupir, témoignage de l'effort qu'ils exigeaient.

— Nous sommes sur la terre du Vent. Je ne sais pas d'où vous venez mais je n'ai jamais rencontré quelqu'un venant d'ailleurs. Je vais finir de vous soigner chez moi, ici c'est impossible.

Le lézard acquiesça fébrilement et dégagea sa tête des mains de la jeune fille. Il posa une de ses paumes au sol et parvint à relever son buste pour s'asseoir, dos à elle. Puis il prit une grande inspiration et, la mâchoire serrée, se releva complètement. Il porta une main à sa blessure pour empêcher son sang de couler et chancela légèrement mais parvint à rester debout, sa queue traînant au sol. Saylin vint se camper à côté de lui en réajustant sa capuche afin qu'elle masque bien ses yeux. Arse regardait avec attention le paysage qui s'offrait à lui. La première chose intrigante était les brins verts sur lesquels il marchait. Jamais il n'avait vu aussi étrange végétation, si fine et fragile. Il faillit sursauter en entendant le bêlement d'un mouton juste derrière lui. La créature, semblable à un nuage sur patte lui paraissait vraiment exotique mais il ne se démonta pas, décidé à rester objectif sur sa situation. Il perçut la jeune fille qui l'avait trouvé derrière lui, et commença à avancer. Au premier pas, sa jambe flancha et il tomba à genou, les dents serrées. Saylin se pencha à côté de lui et passa un bras sous son épaule pour l'aider à se relever. Le lézard inclina légèrement la tête pour la remercier puis se redressa. Saylin continua à la soutenir et, avec son aide, Arse parvint à marcher sur la douce herbe du pré, à pas lents et mesurés, mais stables. Alors qu'ils s'éloignaient peu à peu du Rideau en direction du Pic où elle vivait, Saylin décida de ne pas éviter les bergers, inquiète pour la santé de cet étrange inconnu.

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