Pour contrôler un peuple, commençons par contrôler la musique

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 Le jour du festival est enfin arrivé. Habituellement, c’est mon réveil qui me tire du sommeil, mais aujourd’hui, c’est moi qui me suis fait cet honneur. Il semblerait que même moi je peux être stressé… Quoi qu’il en soit, le lycée fourmille d’élèves même aussi tôt le matin. Tous les couloirs sont décorés de banderoles, de pancartes, d’affiches, et les salles de classe ressemblent plus à des attractions qu’à autre chose. Des restaurants, des maisons d’horreur, des salles de spectacle, des cuisines improvisées, voilà en quoi elles ont été transformées pour la plupart. La classe 1-B, qui n’est autre que la mienne, n’a pas été changée, puisqu’elle va faire une pièce de théâtre. D’ailleurs, c’est par cela que je vais commencer. Akatsuki-sensei m’a ordonné d’aller aider mes « camarades » dans les préparations de dernière minute. Je ne peux aller contre la volonté d’un professeur, c’est pourquoi j’ai accepté. Cela ne change pas de d’habitude, me direz-vous… J’accepte toujours ce qu’on m’ordonne, un véritable esclave des temps modernes…

 Dans le théâtre du lycée, car oui, il y a même un théâtre, les élèves qui partagent mon quotidien – de loin cela dit – s’affairent dans tous les sens. La première représentation a lieu cet après-midi vers quatorze heures. Il est bientôt midi. Je me dirige vers l’un d’eux.

  • Salut, je peux aider ?
  • Ah oui, ça tombe bien, il faudrait que… commence-t-il en se retournant.

Lorsqu’il se rend compte que c’est moi qui lui ai parlé, il prend un visage dégoûté.

  • Ah, c’est toi… Non, on a pas besoin des services d’un flemmard, laisse-moi j’ai à faire.
  • D’accord, tant mieux, dis-je.

Cela m’arrange, du travail en moins, c’est tout ce que je demande. Cependant, alors que je me dirige vers un coin tranquille, je sens une tape sur l’épaule : c’est Arima Akio.

  • Salut, Yamatori ! Tu es venu aider ? Je te remercie ! Excuse les autres de la classe, ils ne sont pas très à l’aise avec toi…
  • Je m’en fiche, ça me va très bien comme ça.
  • Ah… Je vois… Bref, j’ai du travail pour toi si tu veux bien !

C’est ainsi que j’ai été assigné à une mission : distribuer des flyers aux visiteurs pour les attirer vers la pièce. Ce n’est pas vraiment une tâche appropriée à un asocial comme moi...

 Quoi qu’il en soit, je m’exécute et j’arpente les couloirs. On m’a dit de sourire, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai l’habitude de faire, je me contente donc de prendre une intonation joyeuse, pour donner un minimum envie aux gens de venir. J’en profite pour faire de la publicité pour le concert que j’ai organisé. Ainsi, lorsque quelqu’un passe, je lui donne le flyer, puis je glisse un subtile « N’oubliez pas de venir au gymnase à vingt heures, il y aura un évènement inédit ! » avec une fausse mine enjouée. Lorsqu’on me demande ce dont il s’agit, je ne réponds pas et passe à la prochaine cible. Je peux être sûr qu’avec cette rumeur que je propage, nous aurons un maximum de visiteurs.

***

 L’après midi est arrivé et il est temps de rejoindre le gymnase. Dans quelques heures aura lieu le concert. Sur le chemin pour y aller, j’ai assisté sans le vouloir à une scène pour le moins étrange : un jeune homme était là, dans un coin sombre de la Cité, en train de frapper le mur avec une batte de base-ball. Il lâchait de temps à autre quelques insultes. Bien que ce spectacle soit assez inhabituel, je n’ai pas cherché à en savoir plus et j’ai continué ma route.

 Dans la salle de concert improvisée, les participants sont déjà tous affairés. Chacun a un rôle défini : le Conseil des Étudiants s’occupe de toutes les tâches en coulisse, tandis que moi et les autres devront briller sur scène. Je n’ai aucune intention de briller, c’est pourquoi j’ai amené du matériel qui devrait me faire passer incognito.

  • C’est quoi dans tes mains ? me demande Koe-chan.
  • C’est ce que je vais porter sur scène.

Il s’agit en effet d’une casquette, de lunettes de soleil noires comme la nuit, ainsi que d’un masque chirurgical. Cela cachera entièrement mon visage et je ne serai pas reconnu.

  • Pourquoi tu veux te cacher ?!
  • C’est évident, j’ai pas envie de me faire remarquer.
  • Je te comprends vraiment pas… marmonne-t-elle avant de continuer ce qu’elle faisait.

 Petit à petit, les secondes sont devenues des minutes et les minutes des heures. Le temps s’écoule toujours plus vite lorsqu’on en a besoin. Vers dix-neuf heures trente, les premiers spectateurs se posent devant le gymnase. Hinokuni, la présidente, tient le rôle d’un videur de boîte de nuit et surveille l’entrée, toujours munie de son sabre en bois. Au moment de faire entrer ceux qui attendent, elle leur demande d’éteindre leurs téléphones, ce qu’ils font sans broncher. C’est l’avantage de traiter avec des Japonais : ils sont obéissants. Lorsqu’ils entrent enfin dans la salle, ils découvrent la scène, le piano ainsi que ceux qui s’y trouvent, à savoir deux jolies danseuses et un pianiste masqué qui ressemble plus à un cambrioleur qu’à un artiste. Quoi qu’il en soit, les remarques fusent.

  • C’est un concert ?
  • Il y a la major de promo comme danseuse, elle est trop belle !
  • C’est qui le chanteur à ton avis ?
  • Le pianiste a l’air louche…
  • La présidente faisait trop peur en tout cas !

 Tout à coup, les lumières s’éteignent, et un spot vient éclairer les principaux protagonistes : moi, Fuyuno et Nakashima. Koe-chan fait son entrée dans la pénombre et, lorsqu’elle arrive au milieu de la scène, elle finit aussi par être éclairée, se dévoilant ainsi au public qui est en folie. Elle se retourne vers moi, l’air assez anxieux. Elle doit probablement s’inquiéter par rapport au fait que je n’ai eu qu’un nuit pour apprendre les partitions. Je la rassure du regard et commence à jouer. Voyant que je m’en sors assez bien, elle sourit puis commence à chanter en rythme avec la musique. Les danseuses font aussi du très bon travail. Le public a l’air d’adorer le moment et chante en chœur avec son idole.

 C’est ainsi que nous avons fini par faire quatre chansons sur les cinq prévues. Tout va pour le mieux, nous sommes dans les temps et tout est sous contrôle. Enfin c’est malheureusement ce que nous pensions. Au moment même où nous allions commencer l’ultime chanson de la soirée, un bruit retentit au fond de la salle. En regardant plus attentivement, c’est le bruit d’un homme qui avance vers la scène, faisant traîner un objet sur le sol. Cet objet, c’est une batte de base-ball…

Une batte de base-ball ? Mais c’est l’homme que j’ai croisé cet après-midi ! Que vient-il faire ici ?!

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