Ce qu'on aime avec passion, on le quitte avec peine (2)

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  Le lendemain matin, après un dur réveil, je constate que toute la maison est en ébullition. Ils préparent la réception qui doit se tenir ce soir. Je descends les escaliers pour rejoindre les autres, non sans me perdre à maintes reprises. Cette maison au style traditionnel japonais est vraiment énorme. Le père de Nakashima est dehors, à l’entrée, et semble parler au téléphone, probablement avec ses contacts et les invités de la fête. Ma camarade de classe est avec sa mère, elles sont occupées à tout ranger avec l’aide de leurs domestiques. En me voyant, Nakashima se précipite vers moi.

  • Bonjour, Yamatori, tu as bien dormi ?
  • Avec des matelas aussi confortables, difficile de ne pas bien dormir…
  • Je vois, tant mieux ! Dis, tu peux venir nous aider ? On a plein de travail !
  • Ça dépend de ce qu’il faut faire…
  • Je sais que tu n’aimes pas faire d'efforts, alors je te propose de juste remplir la liste des invités qui seront là ! Mon père t’aidera en te donnant les noms, m’explique-t-elle.
  • Il peut pas le faire lui-même ?
  • Il est très occupé, il doit appeler tous les gens un par un pour confirmer qu’ils viennent bien !
  • Je vois, vous vous y prenez vraiment à la dernière minute… (en soupirant) Bon, c’est d’accord… ça n’a pas l’air trop fatiguant…

 Je me mets donc au travail. Le président me dit au fur et à mesure les noms tout en parlant au téléphone. Je remarque qu’il est très doué pour les négociations et la communication, contrairement à ce que son apparence imposante laisse penser. Il y a au moins une trentaine d’invités, je sens venir la soirée mondaine dans laquelle je vais faire tâche…

 Après avoir fini mon travail et déjeuné, je flâne quelques temps en ce début d’après midi. Petit à petit, certains invités arrivent. L’un d’eux est un garçon d’à peu près mon âge, il a la peau bronzée et les cheveux blonds. Il n’est pas Japonais. Il porte un costume blanc comme neige qui a l’air de coûter cher. Il est sûrement aussi fortuné que Nakashima… Ses yeux bleus se tournent vers moi, qui suis assis tranquillement sur une marche d’escalier à l’entrée. Après quelques secondes d’échange de regards, il vient me faire face avec un léger sourire en coin.

  • Hello, mon cher, qu’est-ce que tu fais here ? La plèbe n’est pas la bienvenue !

Il parle parfaitement japonais mais il fait exprès de glisser des mots étrangers pour se donner un style. Son ton condescendant commence déjà à m’énerver…

  • La plèbe ? Je suis juste invité à la fête, moi aussi… réponds-je sans prendre la peine de le regarder.

Il écarte alors brusquement les bras, lève la tête et se met à hausser le ton en riant.

  • Unmöglich ! (Impossible !) Un roturier ne serait jamais invité ! Tu es en train de mentir, aren’t you ?
  • Pas du tout, je suis un roturier qui vient de la plèbe, oui, mais j’ai quand même été invité… Ça veut peut-être dire que tu ne vaux pas mieux que moi, isn’t it ? lui dis-je avec sarcasme.

Il enrage mais n’a rien à répondre. Après un petit grognement, il change de sujet pour garder la face.

  • Où est Miss Nakashima Aiko ?
  • Elle se prépare à l’abri des regards indiscrets.
  • Hmph ! Une fois qu’elle verra mon regalo (cadeau), tu n’auras plus aucune importance à ses yeux !

Je le laisse alors dans ses délires farfelus puis m’en vais en marmonnant une dernière réponse.

  • Ouais, ouais, c’est ça, allez salut…

 Malgré tout, heureusement qu’il est venu me voir, j’avais complètement oublié cette histoire de cadeau. Si je suis ici, c’est pour un anniversaire. Et un anniversaire sans cadeau, c’est comme une Nakashima sans conversation… C’est pour cela que je me dirige à l’intérieur. Le président est là, avec sa femme. Ils sont en train de planifier les derniers détails. Je rentre alors nonchalamment dans la pièce en baillant, puis leur fais part de mon oubli.

  • Euh… Je voulais vous dire que j’ai pas de cadeau pour votre fille, j’ai été prévenu tard et…

Je me fais couper par la mère qui se lève et me regarde avec des yeux pleins de mépris.

  • Je m’en fiche, Yamatori, nous n’avons pas besoin de ton cadeau.
  • (En prenant un air surpris) Bah… ça m’arrange… réponds-je.

Elle s’en va sans manquer de soupirer, puis monte à l’étage se préparer. Le père m’invite alors à m’asseoir.

  • Yamatori… Excuse-la, elle est comme ça avec les inconnus depuis que…
  • Depuis quoi ? demandé-je en m’asseyant.
  • Eh bien…

C’est alors que le président m’a tout raconté.

 Il y presque deux ans, le grand-père de Nakashima vivait encore avec eux. Il était très gentil et vraiment le plus bienveillant de tous les hommes. Sa présence apportait du bonheur à toute la maison. Nakashima l’aimait énormément, ils étaient toujours ensemble. Le vieil homme aimait raconter des histoires drôles de sa jeunesse à sa petite fille. Murasaki, la mère de ma camarade, adorait également son père. Il leur avait confectionné à toutes les deux un pendentif qu’elles gardent encore aujourd’hui.

 Il était aussi très doué pour la pêche. Si doué qu’il a été repéré par une entreprise locale. Ces gens lui ont proposé de le recruter, ce qu’il a accepté directement, car c’était sa passion. Cela s’est passé il y a un an et demi. Le grand-père est parti, et on ne l’a plus jamais revu. Six mois après son départ, l’entreprise est venue annoncer qu’il était tombé à l'eau et que son corps n’avait jamais été retrouvé.

 Depuis ce jour, Nakashima garde toujours son pendentif et repense à son grand-père tous les soirs. Sa mère, elle, a profondément changé. Elle est devenue méfiante, elle ne fait plus confiance à personne, elle est froide comme un corps sans vie. Au moment où la nouvelle est tombée, c’est tout son monde qui s’est effondré sous ses pieds. Elle n’a plus jamais souri de bon cœur, devenue vide de l’intérieur.

 Je comprends mieux pourquoi Nakashima tenait tant à son pendentif, et pourquoi sa mère m’inspirait autant de compassion. Nous avons vécu la même chose. Tous les deux, nous avons perdu un être cher.

 Pris d’une pulsion étrange, mes jambes se sont mises à m’emmener à l’extérieur, d’abord en marchant, puis en courant. Tout s'est connecté dans mon esprit et j'ai réalisé quelque chose : il me reste une affaire à régler.

 Nous sommes en fin d’après-midi, le soleil va se coucher dans quelques heures, et les invités arrivent l’un après l’autre. Alors que le président me demande où je vais, c’est sans réfléchir que je lui réponds.

  • Je vais chercher un cadeau.

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