« Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme »

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 En quittant le domaine Horikawa, je m’interroge sur ce que je suis en train de faire. Pourquoi me suis-je précipité comme ça ? L’histoire de la mère de Nakashima m’a-t-elle bouleversé à ce point ? La perte d’un proche, je sais très bien ce que ça fait. Est-ce pour cela que je me sens concerné ? Pourquoi aider de simples inconnus ?

Je ne sais pas. Mais je veux lui venir en aide.

 Dans les rues, je cherche, je cherche, je cherche, sans relâche, si bien que le soleil s’est couché. Après de longues heures à faire le tour du village en solitaire, je me décide à demander des informations aux habitants. Ils m’indiquent rapidement le bon endroit. C’est une sorte de gros entrepôt situé près du port. Il n’y a aucune inscription dessus, ce n’est pas étonnant que je n’ai pas trouvé… Je frappe à la porte une fois, personne ne répond. Une deuxième fois, personne. La troisième est la bonne. Un homme imposant avec des cicatrices sur tout le corps apparaît et me demande ce que je fais là. Il porte une arme à sa ceinture, c’est un pistolet. N’ayant pas envie de finir en gruyère, je reste poli, bien que mes pensées intérieures me pousseraient plutôt à engager un combat.

  • Vous pouvez libérer votre otage, s’il vous plaît ?
  • Quoi ?!

 Il m’attrape brusquement le bras et me tire à l’intérieur avant de refermer la porte puis de me plaquer au sol. Bien évidemment, s’il a réussi à me faire tomber, c’est uniquement parce que je l’ai laissé faire. Il me ligote puis me jette par terre, en plein milieu d’une énorme salle.

Ses compagnons arrivent alors, ils sont nombreux, je dirais une bonne vingtaine, tous aussi baraqués les uns que les autres. L’homme qui m’a capturé explique alors la situation à ses collègues.

  • Ce petit con a découvert un truc sur nous, mais je sais pas comment, heureusement que j’ai vite réagi avant qu’il le dise à tout le monde !
  • Vraiment ? On a de la chance que tu sois là, mon gars ! répond l’un des autres.

 Assis sur le sol, je baisse la tête. Mes cheveux cachent mes yeux, ce qui me permet de voir sans être vu, d’observer ce qui m’entoure. La salle est vide. Autour de moi, une ribambelle d'hommes menaçants. Il n’y a que celui de tout à l’heure qui porte un pistolet, il doit être le chef d’ici. C’est parfait, cela réduit le danger. Je lève alors la tête avant de le regarder dans les yeux.

  • Vous avez peur d’un simple lycéen ?
  • Hein ? Te fous pas de ma gueule ! On a pas peur de toi, juste qu’on veut pas que tu ouvres trop ta bouche. D’ailleurs dis-nous tout ce que tu sais.
  • Je sais juste que vous êtes des pêcheurs et que vous avez un otage…
  • C’est déjà trop, tu vas pas repartir d’ici en un seul morceau !
  • C’est ce que tu crois ? demandé-je avec un sourire narquois.
  • Quoi ?!
  • Et si par miracle j’arrivais à sortir d’ici ?
  • N’importe quoi, ça peut pas arriver.

Je me mets alors debout puis je m’avance en direction du chef, levant la tête pour le fixer avec fermeté.

  • Alors prouve-le.

 Je me précipite sans prévenir vers un des pêcheurs. Il tient une bouteille d’alcool à sa main. D’un coup de pied, je fais valser l’homme et la boisson en même temps. Personne n’a eu le temps de me voir bouger. La bouteille se fracasse alors par terre en mille morceaux. Je saute vers elle pour prendre un éclat puis je tente de couper la corde avec. Cette méthode est très utilisée dans les films et c'est le seul moyen que j'ai, on dirait qu'aucun de ces hommes ne possède d'arme blanche. Heureusement, la corde est fine, elle n’est pas très solide. Avant que je réussisse à me libérer, je reçois un violent coup de poing à la tempe. Cela me sonne, mais pas énormément, des coups de poings comme celui-là, j’en ai reçu une bonne quantité dans ma jeunesse…

 Au bout de quelques minutes pendant lesquelles je n’ai fait que tenter de couper la corde en esquivant tant bien que mal les coups de mes adversaires, je réussis finalement à me détacher. Mes mains sont enfin libres. Le chef dégaine alors son pistolet et le pointe vers moi. Ses subalternes s’arrêtent de bouger.

 Avant même qu’il ne s’en rende compte, je suis juste devant lui, baissé, afin de saisir son bras par en dessous et de le projeter en avant. Il n’a pas eu le temps de tirer. Son pistolet est éjecté dans les airs. Je me précipite pour l’attraper avant de le lancer par une petite fenêtre le plus loin possible. Le chef se relève, il fonce alors vers moi en criant. Je l’esquive puis lui donne un bon coup de poing dans le ventre. Il recule un moment avant de tousser légèrement. Ses hommes chargent tous dans ma direction. Je suis seul contre vingt personnes. L’esquive est mon point fort, de même que les arts martiaux, mais ils sont trop nombreux, je suis vite submergé. Quelques coups se perdent et atteignent leur cible, cela m’affaiblit un peu. À force d’être traîné par terre, mes vêtements se déchirent. Je réussis tout de même à en neutraliser la moitié pour de bon.

 Nous nous arrêtons un moment, épuisés. Ils ne sont plus qu’une dizaine. Essoufflés, mes adversaires essuient leurs différentes blessures et leur sueur.

  • T’es balèze, gamin où t’as appris à te battre ? me demande le chef.

Je ne réponds pas.

  • Pourquoi tu nous rejoindrais pas ? On a besoin d’hommes forts comme toi, tu pourrais gagner pas mal d’argent !
  • Et puis quoi encore, arrête avec cette réplique de film, c’est pas crédible.

 Soudain, alors que je ne m’y attendais pas, une sensation de métal froid caresse mon cou. Un homme a pris une barre en fer. Peu à peu, la caresse se transforme en douleur. Elle est atroce. Je tombe raide au sol.

Peu à peu, ma vision devient floue, je crois que je perds connaissance…

Celui qui m’a presque assommé s’effondre, inconscient. Je lève difficilement le regard et qui vois-je ? L’homme à capuche que j’ai rencontré il y a peu. Il tient lui aussi une barre de fer et me regarde d’un air surpris, comme s’il se demandait ce qu’il vient de faire.

Avec difficulté, je me lève en titubant. Le temps que les pêcheurs se rendent compte de ce qui vient de se passer, j’ai pu me remettre du coup que j’ai pris.

  • C’est l’esclave ! Espèce de sale traître ! crie le chef.

 Ils foncent sur nous. Je m’élance à leur rencontre en donnant de violents coups. Ce n’est pas dans mon habitude de jouer les brutes comme ça, on dirait que je suis bien sonné…. Quoi qu’il en soit, j’arrive à en neutraliser quatre de cette manière. De son coté, l’homme à capuche se confronte au chef qui a saisi le bâton de métal. Je me précipite vers lui mais il m’intercepte en se retournant rapidement et en brandissant son arme contre moi. Heureusement, mon allié l’assomme violemment grâce une frappe bien placée à la nuque.

 Je me retourne vers les quatre hommes restants. Ils commencent à hésiter. C’est compréhensible, plus du quart d’entre eux a été vaincu. Je les fixe d’un regard de haine, puis dans un dernier élan, je me jette sur eux pour en finir.

Une fois que le dernier est à terre. Je le fixe quelques secondes avant de m’écrouler moi aussi. Allongé sur le dos, écartant les bras et regardant le plafond, je lâche un énorme soupir. L’homme encapuché s’approche de moi.

  • Tu es vraiment fort, toi ! Ha ha ha !

Je me redresse alors en position assise, toujours essoufflé. Il continue.

  • Mais pourquoi tu es venu jusqu’ici pour te battre avec tout un équipage ? demande-t-il en me mettant la main sur l’épaule.
  • Je viens vous ramener chez vous, votre famille vous manque, non ?
  • Hein ? Mais que…
  • Monsieur Horikawa m’a tout raconté, vous êtes le grand-père de Nakashima, n’est-ce pas ?

Il enlève alors sa capuche. Je peux enfin voir son visage. Ses cheveux sont gris clair et sa peau est légèrement ridée. Ses yeux noirs expriment une extrême bonté. On dit que les yeux sont le reflet de l’âme, et c’est bien vrai. Je peux dire tout de suite rien qu’en le voyant que cet homme est bon.

  • Comment tu as su ?
  • Vous étiez très intéressé par Nakashima, et des hommes vous ont appelé « esclave ». Quand j’ai appris votre histoire, j’ai tout de suite fait le rapprochement.
  • Je suis censé être mort, tu sais ? Personne n'aurait fait un tel rapprochement avec si peu d'éléments...
  • Je me suis juste fié à mon intuition.
  • Je vois… tu es vraiment inconscient, haha… !

Le vieil homme m’a ensuite raconté ce qui est vraiment arrivé.

 Les pêcheurs qui l’avaient recruté faisaient partie d’un gang qui utilise la pêche pour s’enrichir. En voyant les talents de Kazunaga – car c’est son nom – ils ont tout de suite voulu l’avoir pour eux seuls. Il a suffit d’une proposition alléchante pour le faire tomber dans le piège. À peine avait-il commencé son travail qu’ils lui avaient déjà interdit de revenir, ils le faisaient travailler sans relâche. En temps normal, le vieil homme n’aurait jamais accepté d’être mis en servitude, mais ses persécuteurs l’avaient menacé de s’en prendre à sa famille, et il ne pouvait tolérer une telle chose. C’est pourquoi il a accepté de se sacrifier et de se faire passer pour mort, pour le bien de ceux qu’il aime. La tombe sur laquelle je l’ai surpris en train de se recueillir n’est autre que la sienne, qui a été érigée par Nakashima et sa mère.

 En me racontant tout cela, Kazunaga en a profité pour ligoter tous les hommes inconscients avec une corde solide, avant de les enfermer à clé dans une sorte de cachot, l’endroit même où ils le faisaient croupir. Il m’a laissé me reposer quelques minutes, puis lorsque j’ai finalement récupéré mes forces, nous nous sommes dirigés en pleine nuit vers la maison de Nakashima.

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